31.5.17

Le dadaïsme spontané des broyeurs de formes

Enterrer dans la commémoration
         On parle beaucoup ces jours-ci de rendre hommage à Dominique de Roux, mort il y a quarante ans cette année. On en parle avec raison car il s’agit probablement du dernier génie de la littérature française au XXe siècle, et puis selon le mot inégalé de Jean-Marc Parisis à son égard : On l’a salement oublié, et on s’est salement arrangé avec cet oubli…
         Mais, si l’on comprend et apprécie que les historiques — ses amis et sa famille — tiennent à évoquer celui qu’ils aimaient tant, il est des façons d’enterrer dans la commémoration qui ne sont qu’une forme d’oubli. À l’été 2014, nos fidèles lecteurs s’en souviendront peut-être, ce fut le thème d’un de nos articles polémiques avec les amis de Livr’arbitre au sujet d’un numéro de Roux assez platement funéraire, recyclage des thèmes éternels que suscite toujours la hâte catastrophique des passants considérables. L’exercice scolaire de l’admiration partisane ensevelit aussi sûrement alors que la loi du silence ou de la réprobation entretenus autour des figures controversées. C’est sensiblement la même équipe qui a entrepris une journée DDR le 10 juin, avec sensiblement les mêmes oraisons, et sensiblement les mêmes lacunes. On ne s’en étonnera guère, Les collisions flamboyantes de mots rares — pas souvent, dites— (…) chères à Jacques Vaché produisent un effet de stupeur du à l’éblouissement figeant le commémorateur dans la contemplation, voire le fétichisme, ankylosant le saisisseur de balle au bond pour relancer la partie.

         Dans Livr’arbitre, seuls échappaient aux morsures de notre appareil critique, l’excellent exégète du style Frédéric Saenen, et un autre auteur dont le nom nous échappe — qu’il nous en excuse — qui avait l’originalité de souligner l’intérêt que de Roux avait porté à la Beat Generation dans son ensemble, y compris les moins connus comme John Retchy, ou Jack Kaufman, dont on trouve mention dans Maison jaune. L’exégète et les Beat sont absents du 10 juin, où seront plutôt ressassées les tartes à la crème aventurier, éditeur, poète, homme d’action, DDR et l’empire, on en passera —par charité. C’est une des malédictions du déjà fusillé à Nuremberg, d’attirer les interprétations partisanes, sans parler de la mythologie des aventures africaines chères aux post-mercenaires. On ignore le dadaïsme spontané du formidable broyeur de formes, et par conséquent le hasard objectif le conduisant vers Burroughs et Ginsberg, parmi les derniers visiteurs de l’ermite de Meudon — à l'époque du Beat-hotel, rue Gît-le-Cœur — ce dont à l’autre bord, les thuriféraires post-structuralistes des Beat n’aiment pas trop se souvenir non plus. Ces derniers préfèrent également ne pas entendre que Ginsberg refusa de se joindre aux manifestations de masse de la Convention Démocrate à Chicago en 1968, parce qu’il avait rendez-vous avec… Ezra Pound, et que, devait-il confier dans une interview à l’auteur de ces lignes, « pour rien au monde { il} n’aurait manqué une entrevue avec le Vieux Maître » (documentaire sur Norman Mailer de l'émission Un siècle d'écrivains,  diffusé le 20 janvier 1999). Regardez autour de vous, partout des larves qui prêchent, selon le mot de Cioran que nous ne lasserons jamais de répéter — puisque personne ne l’entend. Quand il s’agit de DDR, incarnation de la curiosité foudroyante et décisive, ça chiffonne les tympans. Oui, il évoquait ici et là un gaullisme révolutionnaire, parti imaginaire qui confortait son image de Malraux sous acide et qui a complètement disparu des périscopes… Oui, il allait chataigner les communistes en Angola. Etc, ad nauseam, ou comment enfermer un homme dans des décisions ultimes prises aux instants existentiels, disait Norman Mailer, ceux qui signifient poursuivre ou disparaître. Cette mise à distance permet de figer un homme dans la gelée du mythe — et de continuer dans sa chapelle, et son train-train. Or, ce qui devrait aveugler chez un DDR, c’est la méthode des bottes de sept lieues, bondissant par-dessus les sectes. Qui songerait à résumer le jeune Malraux à l’assez colonial et pitoyable épisode du temple d’Angkor ?…

         Les raisons de cet aveuglement sont assez concrètes. Peu de nos commémorateurs ont l’expérience de l’édition, de l’écriture, de la traduction comme aventure en soi. Peu d’entre eux savent ce que signifie le glisser ici…Raccrocher là !… du sulfureux Céline parce que la plaie des chapelles qui sape les fondations et termite les charpentes, c’est l’immobilité. Peu d’entre eux savent d’instinct dénicher un auteur, l’imposer, le défendre à n’importe quel prix — peu d’entre eux savent écrire à contre-courant — Bien trop tôt !… se lamentait à notre sujet Jérôme Leroy — au risque des omerta et bannissements dont le milieu éditorial est si friand. Peu d’entre eux sont susceptibles de passer des bas-fonds de New York à ceux d’Odessa, de fréquenter tour à tour les révolutionnaires ou les banquiers à Moscou, les taulards d’Amérique, les dignitaires de l’Europe en décomposition, les camés de Pétersbourg, parce qu’un romancier se sert de tout, et qu’un journaliste authentique n’a pas de parti-pris.

         C’est en ceci qu’ils n’ont saisi en rien la méthode de DDR : s'électriser comme par hasard aux éclairs de génie des œuvres marquantes pour relancer le Grand Jeu de la littérature, vitaliser la hargne de tout dérégler et de tout renouveler. Se charger d’une électricité statique pour la diffuser dans le mouvement perpétuel.
Le travail contemplatif des commémorateurs est une œuvre de mort. Lorsque DDR affolait la machine en concassant une multiplicité de langages et de médias, il portait la vie plus loin — le dadaïsme spontané des broyeurs de formes.
TM, juin 2017.

         

25.5.17

La "mobilité fessière" dans l'œuvre expressionniste de Placid, peintre contemporain

Après Pierre-François Moreau, auteur de « La Soif », dont nous avons parlé récemment, il me reste à présenter Daniel Mallerin, un de mes rares amis survivants, avec Édouard Limonov, sans lesquels votre serviteur ne serait sans doute pas ce « personnage un peu sulfureux, liés à des milieux très noirs (John Farris, le meilleur poète du Lower East Side ?… Réminiscence freudiennne chez la donzelle de la gauche macronisée — mais John Farris était café au lait !…), en rupture avec la société » comme devait me définir, inénarrable (Dieu sait que mes copains et copines en ont fait des gorges chaudes !…), une journaliste de Libération, le week-end dernier. Nous sommes amis avec Daniel Mallerin depuis une éternité, quatre décennies, depuis qu’il me convainquit d’écrire, plutôt que de me défoncer… Et publia mes premières nouvelles au Dernier Terrain Vague, dont la légende, même en notre époque sans vergogne —, dans l’oubli instantané du prochain Tweet  des vedettes, ou de la vermine politicienne — devrait atteindre des dimensions proches de celles de  Éric Losfeld.  Au DTV, tout était possible : du roman punk Sang Futur (Kriss Vilà,  DTV, 1977,  Moisson Rouge, 2007),  à la BD anarchisante Benoît Broutchoux, jusqu’à, plus tard, la collection Compact-Livres, où votre serviteur publia’9’79, fiction sur Ben Johnson,  le sprinter stéroïdé des JO de Séoul 1988 , la Roche Tarpeïenne si près du Capitole, sujet romanesque par excellence,  Hervé Prudon,  Sainte-Extase, son oraison aux esprits du temps, quand il était nègre pour Patrick Sabatier, et Bruce Benderson à l’époque où il vantait son lit comme Le pire Endroit de New-York ( DTV, 1996).

Daniel Mallerin, un frère pour moi — comme Limonov  et Moreau— a toujours eu un œil graphique, un regard perçant sur les artistes arts plastiques de son temps, notamment Placid, vieille connaissance lui aussi, dont le regard acide sur la quotidienneté parisienne au troisième millénaire lui a inspiré les lignes qui suivent, qu’ Antifixion est fier de publier : 

 L’IMAGISTE DE LA VIE MODERNE 
SCENES PITTORESQUES – L’EXPOSITION DES NOUVELLES PEINTURE DE PLACID  

Sur les territoires de l’oeil, on s’attend à quelque coup de théâtre - effet dépeignant du mot « pittoresque » - ; quelque chose de cocasse et de trivial. Avant même de s’y rendre, on sourit, on gamberge. 
Hameçon mordu, promesse tenue, on en prend plein la vue. 
Le sourire court dans l’air. On l’attrape par l’ellipse pour le traduire - devant le tribunal de la culture - par un titre plus explicite : « Tableaux pittoresques de la vie parisienne en 2017» ‘. 
Les curieux sauront. 
Toutes ces « choses vues » dans la rue et bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
Une théorie de tableaux tout chauds, trempés dans l’huile et cadrés façon « cinéma direct » (à l’épaule). A chacun sa composition minutieuse, accordée à la chose observée ; à chacun sa trivialité, ses scintillements de couleurs. 
Tohubohu de sensations, bombardement d’idées, jeu à prises multiples. 

   Pour exemple ce tout petit tableau planqué dans une toute petite niche soustraite au chahut : deux grosses paires de fesses jumelles en marche, bleues comme des oranges, moulées dans un djinn, galbe galvanisé par la proéminence plate du portable fiché dans la poche de derrière, que l’artiste a croquées mentalement puis rehaussée sur la toile avec les dards verts d’un soleil de Tati, un blouson acrylique à bas prix électrisant la mobilité fessière. 
Une petite clef pour gamberger dare-dare l’histoire de l’art puisque le pari de Placid correspond à la définition du pittoresque donnée par l’Académie en 1732 : une « composition dont le coup d'oeil fait un grand effet » (ici, un plan très serré). On sourit : rien de tape à l’oeil, seulement le « coup d’oeil » lui-même, son instant, que Placid nomme un «croisement ». 
   Le « grand effet » du coup d’oeil détermine la recomposition de la « chose vue ». 
   Une petite clef pour remonter le diable à ressort, la mécanique excitante des détails qui bombent et reluisent sous le pinceau à l’huile : l’empreinte du portable sur des fesses, ou dans la gestuelle des soliloques téléphoniques, et tant d’autres stigmates visuels des étendards standardisés – colifichets, piercings, tatouages, parures, coiffures, etc. jusqu’au design exhibitionniste des chaussures. 
Pièges à rétine, bijoux picturaux, éclats du désir - trouble du voir - clignotant dans le flux et le reflux des passants dans les rues, le rut (commercial) de Paris. 
Sensations familières enfouies dans l’inconscient des foules, telle le croisement de ces deux go parigottes ignorant Picasso :
Pimpante étrangeté, exotisme de proximité. On garde le sourire…

   Et cet autre exemple : « Harmonie en gris et bleu » :
Pour la facétie de la composition, la malice de l’observation ; pour l’enlacement du dessin à la peinture et ses effets imprévisibles - cette trouée bleue à la Magritte sur grisaille Haussmannienne - ; pour la syntaxe des apparences, le poudroiement des détails pittoresques, leurs correspondances loufoques. Pour la répétition du hasard objectif (vrai-faux) dans maintes autres variantes de paysage parisien - les jardins publics, les commerces, les bibliothèques, les bars, le métro, etc. – où les saillies furtives de la trivialité quotidienne sont restituées avec une sophistication d’orfèvre. Toutes ces « choses vues » bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
   Tableaux édifiants comme les lithographies des albums de voyage d’autrefois, pointilleux comme des reportages - sans machine, ni littérature – mais qui, par les sortilèges de la peinture à l’huile, la « reine des techniques », produisent des transports inattendus, voire inconnus dans le répertoire des émotions esthétiques. Une scène pittoresque dans un bar, une boulangerie, devient une « peinture de genre ». On pense un peu à Manet, hein ! Et aussi, glissant du réalisme au grotesque, aux déchaînements caricaturaux des comix underground. Ce culot, cette adresse à saisir le jargon anatomique, l’hystérie physionomique, la gestualité urbaine et la mobilité des apparences, tient sûrement de cette dernière école. Placid n’est jamais aussi fort que lorsqu’il fixe la théâtralité des postures ordinaires.    
Un pan de l’exposition est occupé par quelques grands fusains plus anciens, qui donnent la pleine mesure de son ivrognerie de virtuose. On gamberge, on sourit en comprenant ce que « forcer le trait » veut dire. 
   Télescopage abrupt, contorsions du style: cadre implosif, composition explosive, construction tendue, entrechoc des formes (molles, dures, rondes, tranchantes), réalisme scrupuleux (didactique), ivresse de précision et approche caricaturale. Une sensation d’ambiguïté. Mais laquelle ? Est-ce à cause de cet instant torve où les êtres immatures et sensibles s’adressent à leur boucher, ou à leur pharmacien, en espérant se fondre dans l’ordinaire ? Ou serait-ce en raison de l’instabilité même l’acte de dessiner le réel à partir d’une sensation furtive ? La fornication des formes dépassant les intentions, l’intimidation générant équivoque et distanciation.
   En retrouvant dans les nouvelles peintures de Placid ces mêmes et forcenés enjeux de style et d’observation sous une forme plus subreptice, on garde le sourire en gambergeant sur les variations de perception. 
   L’accent Picasso de l’expressionnisme de Placid devient caoutchouteux, la grammaire caricaturale se gondole. Quelque chose du dessin animé passe. L’ironie de Placid est palpable, c’est le bling-bling du pauvre. Quelque chose du dandy pointe dans le mélange des pinceaux et des crayons. L’artiste « 24 / 24 », comme on dit en Afrique, que tout et rien inspire, au plaisir d’étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné
   Est-ce cela la peinture à l’huile ? Affirmatif … comme éloge de la technique, patience de l’artisan ; comme vertu historique, respect de la tradition jusqu’à la sacralisation (pour régler la facture EDF). Mais enfin… quelle différence avec l’illustration ? 
   La Joconde du Bar Tabac ne serait-elle pas parfaite pour illustrer l’enquête, que tout le monde attend –, sur le mystère des amazones chinoises qui, partout, ont mis la main sur le négoce mortel ? Un rien d’Andy Wharol (avec un peu plus de boulot).
   Et dire que Placid travaille incognito comme graphiste dans la presse illustrée, qu’aucun directeur artistique n’accepte de le publier, que l’illustration est son graal - et Georges Beuville son prophète -, que la circulation à grand tirage de ses images est son obsession, que ses inscriptions perturbent les tenants du style lisse & glisse (le dessin de presse est de plus en asservi aux idées formatées). Bien-sûr, c’est pareil dans le monde la peinture, voire pire hypocrisie et quoi d’autre no comment puisque l’art tagada (institution & marché) se cultive hors sol, ignore Peter Saul. A quoi bon en tirer des conclusions vindicatives et tralala ? 
« Placid, c’est tout rond, on s’y sent bien », déclarait un enfant lors du vernissage de l’exposition et, en effet, il faut avoir un regard d’enfant pour descendre des cimes de la culture, ignorer la dictature des philistins et jouer le jeu de la rondeur, effet de la crudité et de l’extrême lisibilité des images - au-delà, en deça, du foisonnement des idées, formes et interprétations. On gamberge de tant sourire. 
Toutes ces « choses vues » bien connues, où le déjà vu prend un air de jamais vu. 
   Les séquelles d’un rêve, la révélation d’une notation inconsciente et fugitive. Des étonnements éprouvés, prétextes à pouffer. Pas le genre d’exposition qui se voit en 5 minutes. Il faut savoir prendre tout son temps pour apprécier son motif. C’est ce que j’ai moi-même fait en compagnie de Nadine Ballot, égérie du « cinéma-vérité » qui, en 1960, lançait aux passants parisiens son fameux « êtes-vous heureux »… Mon amie Nadine, éternelle enfant, passant au peigne fin les moindres détails et babillant des commentaires acides sur les figures actuelles de la « tribu parisienne », 
comme si nous étions dans une situation d’immersion semblable à celle d’une expérience « d’anthropologie partagée ». Une heure durant. Merveilleux hasard objectif, grand voile à soulever
   Ce n’est pas tout : un grand classeur contenant quelques oeuvres exécutées avec de toutes autres techniques et les derniers livres de Placid – J’y étais, Le jour et La nuit4 – ouvrent la boîte de Pandore. On sourit et gamberge en prenant conscience que cette exposition n’est qu’un tout petit maillon, une simple variante, d’un travail gigantesque d’observation entrepris depuis plus de dix ans, à raison d’une image par jour. Des milliers de cartes postales de Paris, et d'ailleurs, réalisées avec la même exigence formelle ou informative, avec ses défis de style sans cesse renouvelés, ses maladresses parfois (… il y a dans la vie triviale, dans la métamorphose journalière des choses extérieures, un mouvement rapide qui commande à l’artiste une égale vélocité d’exécution), et ses prouesses jubilatoires. Des milliers de « paysages pittoresques » représentant certains « aspects de la France », parfois ce que les sociologues appellent des « non-paysages, des lieux ordinaires comme la gendarmerie de Quarré-les-Tombes (Yonne), une gouache de 2011. 
   Un véritable roman d’aventures, une saga, dont l’objet est la saisie du temps - la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’immuable. Aucun souffle n’agitait le drapeau de la gendarmerie ce jour-là… 
Les deux citations sont extraites du « Peintre de la vie moderne » de Charles Baudelaire qui vouait une passion idolâtre à un artiste qui refusait de signer ses oeuvres et même de considérer qu’il s’agissait d’art : Constantin Guys, le premier « reporter graphique » de l’histoire après les grottes de Lascault… Comment ne pas penser au beau texte de Baudelaire en étudiant les images de Placid ? La comparaison entre les deux oeuvres est à ce point édifiant que l’on est tenté d’appliquer au travail de Placid les commentaires et les spéculations esthétiques, philosophiques, de Baudelaire ou, encore, 
des frères Goncourt qui dressent ce portrait de l’artiste (en Protée) : ces originalités submergées et terribles, qui ne montent jamais à la surface des romans […] étrange, varié, divers, changeant de voix, et d’aspect, se multipliant et se renouvelant […] diffus, verbeux, débordant de parenthèses, zigzagant d’idée en idée, déraillé, perdu et se retrouvant […] et ce sont mille choses qu’il évoque ainsi, dans cette promenade de souvenirs […] des croquis, des souvenirs, des paysages, des tableaux, des profils, des aspects de rue, des carrefours, des trottoirs où claquent des savates de marcheuses… 
   En lisant l’essai de Baudelaire, en appliquant ses spéculations à l’oeuvre de Placid, en substituant son blase (une anti-signature) à celui de Constantin Guys et en remplaçant le terme« peintre » à celui « d’imagiste » en référence à l’école des « Imagistes de Chicago », on tient là comme une sorte de manifeste parfaitement d’actualité. « Imagiste de la vie moderne ». Non pas un titre de gloire inutile, mais un symbole de résistance (opiniâtre) face à la submersion et à l’asservissement des photos et vidéos. De quoi gamberger et sourire. Désabusé, mais pas complètement.

http://toutplacid.tumblr.com/search 

L’exposition dure jusqu’au 10 juin (fermeture ascension du 25 au 29 mai).
Galerie Corinne Bonnet
Cité artisanale, 63 rue Daguerre

75014 Paris

18.5.17

Trump n'est pas le premier à vouloir virer le chef du FBI

Mark Ames, journaliste d'élite, nous donne son point de vue, et nous raconte l'histoire du FBI, bien avant Comey et Trump, cet organe du maintien de l'ordre était déjà une drôle d'officine…
Les lecteurs anglophones retrouveront son article en VO au lien suivant: kompromat/http://exiledonline.com/russia-blog-6-the-fbi-has-no-legal-charter-but-lots-of-kompromat/




         LE FBI N’A PAS DE CHARTE LÉGALE, MAIS DES TAS DE KOMPROMAT[1].

 Par Mark Ames,
(Traduit de l’Américain par TM)
J’ai fait l’erreur d’écouter NPR (National Public Radio) la semaine dernière pour déterminer ce que la sagesse conventionnelle avait à dire sur le limogeage de Comey par Trump, supposant que le ton de leurs voix Mister Rogers sous Actifed réfrèneraient un peu l’hystérie ambiante. Et en apparence c’était le cas — les animateurs et invités de NPR ne couinaient pas directement « C’est la fin du monde ! Nous allons tous nous faire égorger comme des agneaux ! », comme ils en ont pris l'habitude sur CNN. Mais ils criaient « Au feu ! » d’une certaine manière, si l’on sait reconnaître les variations infimes de la voix NPR lambda sous Actifed.
         L’animateur du programme de la journée de la NPR a demandé quel était le sérieux et à quel point la décision de Trump de limoger le chef du FBI était sans précédent. La réponse des invités était étrange : ils parlaient de « l’État de droit », et de « viol de la Constitution », mais ensuite ils sont passés à une « violation des normes » par Trump — et vice versa, comme si « loi » et « normes » étaient des termes interchangeables. L’un des invités admit que le limogeage de Comey par Trump était 100% légal, mais cela ne semblait pas compter  dans sa rhétorique au sujet de Trump quittant l’État de droit pour une dictature de style poutinien. Ces mecs ne passeraient pas l’examen d’instruction civique en classe de troisième, mais ils étaient là à noyer le poisson. Ce qui comptait, c’était leur panique et l’outrage qu’ils affichaient — je ne suis pas sûr que quiconque s’intéresse vraiment à la légalité, ou à l’histoire légale, politique, ou « normative » du FBI.
         Pour commencer, le FBI ne colle pas avec les concepts de « constitutionnel » ou « d’État de droit ». Pour la simple raison qu’aucune loi  ne l’a jamais fondé. Les législateurs américains ont refusé d’approuver le FBI, il y a plus d’un siècle, lorsque la proposition a été soumise par Teddy Roosevelt. Il a donc ignoré le Congrès, a poursuivi son projet et l’a établi par fait du prince. C’est une chose dont la cohorte des défenseurs des libertés civiles déteste discuter — le fait que le pouvoir politique centralisé des USA soit dans l’exécutif, un trait du système constitutionnel institué par les Pères Fondateurs.
         À la fin des années 1970, la fin de notre brève Glastnost, on a beaucoup évoqué à Washington la possibilité de créer enfin une charte légale du FBI — 70 ans après sa fondation. Beaucoup d’encre a coulé dans la tentative de transformer le FBI en quelque chose de légal et de défini, au-delà de la police extra-légale et secrète  qu’il était. Si l’on veut jouer les archéologues de l’histoire récente de l’Amérique on peut trouver ça dans les archives du New York Times, des articles intitulés « Le projet d’une charte du FBI met des limites à ses méthodes d’investigation »:
         "L’administration Carter enverra bientôt au Congrès la première charte définissant les activités du FBI. La charte en question impose des restrictions importantes mais pas absolues sur l’emploi de techniques d’investigation controversées, comprenant l’usage d’informateurs, d’agents secrets et d’activité criminelle cachée.
         La charte spécifie également les devoirs et les pouvoirs du FBI, fixant des procédures et critères précis pour l’ouverture et la conduite des investigations. Elle impose au FBI d’observer les droits constitutionnels et d’établir des garde-fous, contre le harcèlement sans contrôle, l’effraction et autres violations."
         …suivis de l’inévitable lamentation, comme cet éditorial du Christian Science Monitor, un an plus tard, « N’oubliez pas la charte du FBI ». Que nous avons bien entendu oubliée — c’était le sens et la valeur de la présidence Reagan pour la réaction post-Glastnost : l’oubli. Comme l’a écrit l’historien Athan Theoharis : « Après 1981, aucune des propositions de Congrès sur la charte du FBI n’a plus été examinée ».
         Les origines du FBI ont été voilées à la fois à cause de sa douteuse légalité et en raison de son but originel — aider un président à livrer bataille aux tout-puissants capitalistes américains. Teddy Roosevelt n’était pas un gauchiste radical — c’était un Républicain progressiste, ce qui sonne aujourd’hui comme un oxymore, mais qui constituait une politique grand public et  dans une phase ascendante à l’époque. Roosevelt fut probablement le premier président depuis Andrew Jackson à essayer de briser la concentration du pouvoir de la richesse, du moins en partie. Il pouvait se montrer brutalement anti-travailleur, mais tels étaient aussi les puissants capitalistes qu’il combattait, ainsi que toutes les structures du pouvoir étatique. Il rencontrait peu d’opposition en poursuivant ses ambitions impériales social-darwinistes en dehors des frontière américaines. Mais il avait beaucoup plus de difficulté quand il s’agissait de combattre les puissants capitalistes chez lui, qui se mettaient en travers de l’obsession la plus honorable de Roosevelt : préserver les forêts, les parcs et les domaines publics des cupides capitalistes. Un memorandum adressé très tôt à Hoover explique les origines du FBI :
         "Roosevelt dans son style dynamique caractéristique, affirma que les pillards du domaine public seraient poursuivis et jugés."
         D’après le reporter du New York Times Tim Wiener, Enemies : A History of the FBI, ce fut le scandale de la fraude sur les terres en Oregon de 1905-6 qui donna l’idée du FBI  à Teddy Roosevelt. Le scandale en question impliquait des politiciens de l’Oregon, qui aidaient le magnat des chemins de fer Edward Harriman à vendre des terres forestières de l’Oregon à des trusts forestiers, et se termina en déférant à la justice un sénateur de l’État, et les deux seuls représentants de l’Oregon au parlement, sans compter des dizaines d’autres citoyens de l’Oregon. Au fond, ils dévastaient des terres et des forêts du domaine public de l’État comme des colonisateurs font d’un pays étrangers — et ça restait en travers de l’estomac de TR.

         Il voulait que son Attorney general — Charles Bonaparte (oui, c’était un véritable descendant de ce Bonaparte) — lui fasse un rapport complet sur les endémiques escroqueries sur les terres des seigneur de la guerre, qui défiguraient l’Ouest américain et menaçaient sa vision de la conservation de la terre et des forêts. Bonaparte créa donc une équipe d’enquêteurs du Service Secret américain, mais TR jugea que leur rapport disculpait les coupables et proposa un nouveau service d’enquête fédéral dans le département de Bonaparte qui ne rendrait compte qu’à l’Attorney general.
         Jusque là, le gouvernement des Etats-Unis devait se fier à des firmes privées, très douées pour briser les grèves, matraquer les ouvriers et tirer sur leurs organisateurs, comme la célèbre Pinkerton, mais pas très fortes quand il s’agissait de s’en prendre aux barons de la finance, qui figuraient parmi les clients importants de ces agences de détectives privées.
         Au début de l’année 1908, Bonaparte écrivit au Congrès pour lui demander l’autorité légale (et les fonds) permettant de créer une « une force permanente d’enquêteurs ». Le Congrès devait alors se cabrer, dénonçant cette idée comme un projet de créer une Okhrana[2] américaine. Le Démocrate Joseph Sherley déclara que «  espionner les gens et s‘immiscer dans ce qui devrait être considéré comme leurs affaires privées »  était contraire aux « idées américaines de gouvernement » ;  le Républicain George Waldo, de New York, dit que le FBI qu’on proposait constituerait une « atteinte considérable à la liberté et aux institutions libres si un département secret de ce style surgissait dans ce pays, comme il existe en Russie ».
         La réaction du Congrès alla par conséquent dans le sens contraire, interdisant à Bonaparte de dépenser quelques fonds que ce soit sur le FBI. Un autre membre du Congrès écrivit un autre alinéa du budget interdisant au Département de la Justice d’embaucher des fonctionnaires du Service Secret pour quelque FBI que ce soit. Bonaparte attendit donc les vacances d’été du Congrès, mettant à gauche des fonds de la Justice, et recruta des agents du Service Secret pour créer un nouveau service fédéral avec 34 agents. C’est ainsi qu’est né le FBI. Le Congrès n’en fut informé qu’en fin d’année 1908, par quelques lignes d’un rapport ordinaire —« Au fait, j’ai oublié de vous dire… ».
         L’histoire sordide du service extra-légal de police américain est avant tout une histoire de propagation de panique xénophobe, d’espionnage domestique illégal, de rafles de masse, et de projets de rafles de masse, de complots visant à piéger les citoyens, et de semer ce que les Russes appellent « Kompromat » — des infos compromettantes sur la vie sexuelle de la cible — pour faire chanter ou détruire des figures politiques américaines que le FBI n’aimait pas.
         La première victime politique des « Kompromat »  de J. Edgar Hoover fut Louis Post secrétaire-adjoint au Travail sous Woodrow Wilson. Le crime de Post était d’avoir relâché plus de 1000 soi-disant « Rouges » des lieux de détention, à la fin  des arrestations de masse du FBI, lorsqu’ils avaient emprisonné et expulsé des milliers de gens soupçonnés d’être communistes. La purge de masse entreprise par le FBI commença avec le soutien populaire en 1919, mais déjà au milieu de l’année 1920, certains (pas le FBI) commençaient à être mal à l’aise. Une opposition juridique aux purges et expulsions de masse du FBI à Boston se conclut par la dénonciation du FBI par un juge fédéral. Après ce verdict, le secrétaire-adjoint Post, un progressiste bienveillant de 71 ans, passa les affaires en revue et contre 1500 détenus que le FBI voulait expulser et se rendit compte qu’on avait absolument rien dans 75% des affaires. Son investigation menaçait de ruiner les poursuites entreprises par le FBI de milliers de gens soupçonnés d’être contrôlés par Moscou.

         Alors, l’un des plus ambitieux jeunes agents du FBI, J. Edgar Hoover rassembla des « kompromat » sur Post et ses liens supposés avec d’autres supposés gauchistes liés à Moscou, avant de refiler le dossier à la  Chambre des Représentants contrôlée par les Républicains — qui annonça rapidement qu’elle entendrait Post pour enquêter sur lui en tant qu’agent de gauche subversif.  La Chambre tenta de mettre Post en accusation mais il se défendit. Son avocat compara les persécuteurs de Post à l’okhrana (La Russie, encore !) « En Amérique, nous sommes tombés au niveau de la Russie sous le régime tsariste », décrivant la campagne de calomnie du FBI comme «encore plus basse dans ses méthodes que les anciens officiels russes ».
         Sous le président Harding, le FBI eut un nouveau patron, William Burns, qui fit les gros titres en faisant porter le chapeau de l’attaque terroriste à Wall Street de 1920 qui fit 34 victimes à un complot du Kremlin. Le FBI prétendait avoir une source fiable qui leur avait confié que Lénine avait envoyé 30 000 $ à la mission diplomatique soviet de New York, plus tard distribuée à quatre agents communistes sur place qui avaient organisé l’attentat à Wall Street. Cette source prétendait avait parlé à Lénine en personne, se vantant d’avoir eu un tel succès avec sa bombe qu’il avait commandé d’autres attentats.
         Le seul problème était que la source fiable du FBI, un petit délinquant juif polonais nommé Wolf Lindenfeld se révéla un pipeauteur d’enfer — surnommé « Linde bidon » — qui pensait que sa confession fabriquée de toutes pièces le sortirait des prisons polonaises et lui permettrait une vie confortable à New York.
         En 1923, le FBI avait à peu près annihilé les mouvements communistes et de travailleurs radicaux en Amérique — ce qui l’autorisait à se concentrer sur un autre de ses passe-temps favoris : espionner et détruire les opposants politiques. Le FBI espionna les sénateurs américains qui soutenaient l’ouverture de relations diplomatiques avec l’URSS : William Borah, de l’Idaho, président du comité des relations avec l’étranger ; Thomas Walsh de comité judiciaire, et Burton K. Wheeler, le sénateur populiste de la prairie du Montana, qui s’était rendu en URSS et voulaient des relations diplomatiques. L’Attorney general corrompu jusqu'au trognon de Harding — Dougherty — dénonça Wheeler comme «  le dirigeant communiste au Sénat, pas plus démocrate que son camarade Staline à Moscou ». Dougherty accusa Wheeler de faire partie d’un complot visant à « attirer autant de membres du Sénat que possible et de diffuser à Washington, et dans les vestiaires du Sénat un gaz aussi mortel que celui qui a tué tant de braves soldats durant la dernière guerre ».
         Hoover, à présent un dignitaire haut placé du FBI, nourrissait tranquillement les journalistes de « Kompromat » en particulier un reporter de Associated Press nommé Richard Whitney qui publia en 1924, un livre à succès : « Les Rouges en Amérique » avançant que les agents du Kremlin avait une « influence pénétrante dans toutes les institutions américaines ; ils ont infiltré tous les aspects de la vie américaine ». Whitney avait dit que Charlie Chaplin était un agent du Kremlin, avec Felix Frankfurter et les membres du Sénat qui voulaient une reconnaissance de l’URSS. Ce qui tua tout espoir de reconnaissance diplomatique pendant la décennie suivante.
         Puis éclatèrent les scandales de l’administration Harding — notamment celui des anciens combattants, des pots-de-vin au plus haut niveau. Lorsque les sénateurs Wheeler et Walsh ouvrirent des enquêtes, le FBI envoya des agents pour rassembler des accusations de corruption bidons contre Wheeler lui-même. Elles étaient manifestement fabriquées et un jury le disculpa. Alors que l’Attorney General  Dougherty fut inculpé d’escroquerie et obligé de démissionner, comme le fut son patron du FBI Burns — mais pas son subordonné Hoover, qui restait dans l’ombre.
         Sous Franklin Roosevelt, les pouvoirs du FBI et ses programmes de surveillance de masse  connurent une expansion sans précédent. Lorsque Roosevelt mourut et que Truman prit sa place, il fut à la fois intrigué et horrifié par ce pouvoir, lorsque Hoover chercha à se faire bien voir du président avec des dossiers compromettants sur d’autres figures politiques. Quelques semaines après son arrivée aux affaires, Truman écrivait dans son journal :
         « Nous ne voulons pas d’une Gestapo ou d’une Police Secrète. Le FBI s’oriente dans cette direction. Ils s’occupent de scandales sexuels et de chantage ouvert… Cela doit cesser… »

         Avec la Guerre Froide, le FBI entretint une véritable obsession sur les homosexuels en tant que Cinquième Colonne aux ordres de Moscou. Les homosexuels, pensait le FBI, était susceptible d’être compromis par le Kremlin — alors le FBI a rassemblé et diffusé ses propres dossiers compromettants sur des homosexuels supposés, soi-disant pour protéger l’Amérique du Kremlin. Au début des années 1950, Hoover a lancé le Programme des Déviants Sexuels pour espionner les homosexuels  et les purger de la vie publique américaine. Le FBI rédigea 300 000 pages de dossiers sur des homosexuels supposés et contacta leurs employeurs, la police locale et les universités « pour expulser les homosexuels de toutes les institutions étatiques, d’enseignement supérieur, et de maintien de l’ordre dans tout le pays » selon le livre de Tim Weiner Enermies. Personne, en dehors du FBI, ne sait combien de vies ont été détruites en l’occurrence sauf Hoover — qui ne se maria jamais, vécut avec sa mère jusqu’à 40 ans et ne se déplaçait jamais sans son « ami » Clyde Tolson.
         Au cours de l’élection de 1952, Hoover était si désireux de venir en aide aux Républicains et à Eisenhower qu’il rassembla et dissémina un « Kompromat » de 19 pages avançant que son rival du parti Démocrate Adlai Stevenson était homosexuel. Le dossier du FBI était gardé dans la section du Programme des Déviants Sexuels — il comprenait des ragots diffamatoires, prétendant que Stevenson était l’un des "homosexuels les plus notoires de l’Illinois ", surnommé « Adeline » dans les milieux gays.
         Dans les années 1960, Hoover et les patrons du FBI rassemblaient des « Kompromats » sur les vies sexuelles de JFK et Martin Luther King. Hoover en montra quelques-uns à Bob Kennedy, prétendant le « prévenir » que le président était vulnérable au chantage. C’était en réalité une façon pour Hoover de faire comprendre aux Kennedy qu’il méprisait, qu’il pouvait les détruire, s’ils le viraient, façon Comey, de son siège de patron du FBI. Les « Kompromats » de Hoover sur la vie sexuelle de Martin Luther King était devenus une obsession de Hoover. Il pensait à présent que les Noirs américains, et non plus les homosexuels, présentaient la plus grande menace de devenir la Cinquième Colonne du Kremlin. Le FBI mit la vie privée de Martin Luther King sur écoute, accumulant les enregistrements des liaisons de MLK avec ses maîtresses, qu’un membre haut placé du FBI finit par envoyer à son épouse, avec une lettre pressant MLK de se suicider.
         Après l’assassinat de JFK, lorsque Bob Kennedy se présenta au Sénat en 1964, il devait raconter une autre histoire dérangeante de « Kompromat » FBI que le président Johnson partagea avec lui pendant sa campagne. Des rapports du FBI qui énuméraient en détail « la débauche sexuelle de membres du Sénat et de la Chambre fréquentant des prostituées ». LBJ demanda à Bob Kennedy si l’on devait laisser fuir ces « Kompromats » pour détruire les candidats républicains avant les élections de 1964. Bob Kennedy devait écrire :
         « Il me dit qu’il avait passé toute la soirée à lire les dossiers du FBI sur ces gens. Et Lyndon parle de ces infos à tout le monde. Et c’est dangereux, bien entendu ».
         Bob Kennedy, Attorney general,  avait lui –même vu un certains nombre de ces dossiers, mais il était totalement opposé à leur divulgation — comme, par exemple, les dossiers sur les putes urinant à Moscou dans la chambre de Trump — parce que « cela détruirait la confiance des citoyens américains dans leur gouvernement et ferait de nous la risée du monde entier ».
         Imaginez-moi ça.
         Ce qui me ramène à la grosse analogie que tous les tâcherons de la presse ont beuglé la semaine dernière, disant que Trump était « nixonien » quand il a viré Comey. En fait, Trump a fait l’inverse de ce que fit Nixon, qui souhaitait limoger Hoover en 1971-72. Sauf qu’il craignait trop le « Kompromat » que Hoover avait peut-être sur lui pour le faire. Nixon s’était brouillé avec son vieil ami et autrefois mentor J. Edgar Hoover en 1971, lorsque le vieux chef malade du FBI avait refusé de se joindre à l’enquête Daniel ELLS/Pentagone, surtout après le verdict favorable au New York Times de la Cour Suprême. Une des raisons pour lesquelles Nixon avait créé sa propre équipe de plombiers cambrioleurs, était le fait perturbant que le patron du FBI soit devenu un peu brumeux dans sa dernière année sur cette planète — et ça rendait Nixon fou furieux.
         Nixon a appelé son chef de cabinet Haldeman :
         « Nixon : J’ai discuté avec Hoover hier soir, et il ne 
va pas poursuivre Ellsberg avec la vigueur que je voudrais. Quelque chose le ralentit.
Haldeman : Tu crois que le FBI s’en lave les mains ?
Nixon : Ouais, surtout du complot. Je veux poursuivre tout le monde. Ellsberg ne m’intéresse pas particulièrement, mais on doit s’en prendre à tous les membres de cette conspiration ».
Les ambitieux adjoints de Hoover étaient reniflaient l'odeur du sang et cherchaient à prendre sa place. Son numéro 3, Bill Sullivan (celui qui avait envoyé les bandes magnétiques sur la vie sexuelle de Martin Luther King, le pressant de se suicider) était particulièrement désireux de se débarrasser de Hoover, pour le remplacer. Alors, tandis que Hoover bétonnait l’enquête sur Ellsberg, Sullivan s’est pointé dans un bureau du Ministère de la Justice avec deux mallettes pleines de transcriptions d’enregistrements illégaux de journalistes et de leur propre personnel commandés par Kissinger et Nixon. Ces enregistrements avaient été commandés durant les premiers mois de Nixon à la Maison Blanche pour empêcher des fuites d’une ampleur sans précédent. Sullivan, avait dérobé ces fuites à Hoover et dit au ministère de la Justice qu’elles devaient être dissimulées à celui-ci qui se promettait de s’en servir pour faire chanter Nixon.
Nixon décida de virer Hoover le jour suivant, en septembre 1971. Mais le jour suivant, Nixon prit peur. Il tenta alors  de convaincre son Attorney General John Mitchell de virer Hoover. Mais Mitchell lui répondit que seul le président pouvait le faire. Alors Nixon prit le petit-déjeuner avec Hoover et se dégonfla. Hoover flatta Nixon et lui confia que voir le président réélu était son vœu le plus cher. Nixon n’avait plus qu’à s’écraser. Le jour suivant Hoover limogea son numéro 3 Sullivan sans cérémonie, en lui fermant et la porte de l’immeuble et celle de son bureau au nez pour qu’il ne puisse rien embarquer avec lui. Sullivan était fini.
Mark Ames, 2017
        
        





[1] Mot russe signifiant documents compromettants sur un individu.
[2] Service de sécurité tsariste.