30.8.25

Un tramway nommé vieillir

         Anna Arkatova, parfois aussi chiffrée que V. Popov, lui ressemble aussi par l'extrême simplicité de ses moyens d'expression. Le mystère s'épaissit.

 


    

(Vers traduits par Thierry Marignac)

Quel que soient des circonstances le moule

Tu es encore debout à l’arrêt

Il est temps. L’horaire s’écoule

Heure d’entrée, de sortie, c'est compté

Qu’importe que tu aies

Au matin déchiré dix calendriers

 

Se fige mais ne disparaît

Chaque minute sous le tramway

Le tableau en haut va briller

Au plus malin de se figurer

Les dates, la trotteuse continue d’avancer

Pendant que tu songes que le passé est passé

 

Anna Arkatova, 2025.

 

Как бы ни сложилась обстановка

Ты опять стоишь на остановке

Расписание тикает. Пора.

Времени учтенный вход и выход

Ничего не значит оторви хоть

Десять календариков с утра

 

Замирает но не умирает

Каждая минута под. трамваем

Светится верховное табло

Кто умней переставляет даты

Стрелки пальцем двигает пока ты

Думаешь что прошлое прошло

 

Анна Аркатова, 2025.

 

 

24.8.25

L'énigmatique Mister V.Popov, poète de l'abysse

 


        

         On se perd à traquer l’énigmatique poète V. Popov, avec qui l’on communique par personne interposée, dont on reçoit toujours les vers mystérieux avec un frémissement d’inquiétude, dans quelle abysse va-t-on plonger corps et bien. Étrange homme poursuivant une œuvre clandestine, maquisard de l’art pour l’art aux subtilités brutales. On cherche des pistes, pour ce qu’elles valent : une superbe originalité à parler d’amour ou d’érotisme comme dans quelques poèmes qui suivent, l’humour objectif de la vie quotidienne, « Le Chien de l’écriture » disait Drieu. Dans le fameux « Les quarante Bouches » de notre cher Essenine, il nous semble retrouver quelques formes équivalentes à l’expression de V. Popov.

         « Sonnez, sonnez, cornes de mort !

         Comment être, comment être maintenant

         Sur les cuisses maculées des routes ?

         (…)

         C’est parfait quand le couchant taquine

         Et nous flagelle sur des derrières alourdis

         Des verges ensanglantées de l’aurore… »

         Mais ce ne sont que des intuitions guidées par le goût des poésies objectives et V. Popov ne s’y reconnaîtrait peut-être pas.

C’est toujours un plaisir trouble de recevoir les poèmes de ce fantôme, on met des semaines à les consulter puis enfin à les lire. Toutefois toujours fasciné on les traduit avec crainte comme si on s’adonnait à un vice… Depuis Tchoudakov et Ryjii, on n’avait plus connu ce vertige.

         (Vers de V. Popov, traduits du russe par Thierry Marignac)



 

Quand la chicorée a ouvert

         De célestes yeux clairs

 

         Quand déchire d’un revers

         Le calme d’avant l’aube, le tonnerre

         Quand au-dessus du corps endormi l’âme

         Tremble comme en miroir la flamme

 

         Incorrigiblement présent

         Le monde entier comme une crevasse se recousant.

 

когда цикорий раскрывает
небесно-ясные глаза

когда наотмашь разрывает
тишь предрассветную гроза
когда душа над телом спящим
зеркальным пламенем дрожит

непоправимо настоящим
весь мир как трещиной прошит

 

Je suis une herbe tranchante

Je découpe l’atmosphère, tintante

Je suis une veuve noire

Je tisse mes ourlets

Je suis l’asséché ruisselet

Je suis le soleil noir

 

Je suis un tas de briques

Un morceau de crotte sec

 

Je suis une trace de pneu

De l’horizon la fumée bleue

 

Je suis un coup de feu vers le ciel

Je suis un invisible angelot

Tout est ici trépassé mortel

Pas le moindre sens en dépôt

 

Je suis sorti du métro

À la station Konkovo

 

Hercule dessiné par Andreï Molodkine.

я острая трава
со звоном воздух режу

я черная вдова
плету свою мережу
я высохший ручей
я солнечная тьма

я груда кирпичей
сухой кусок дерьма

я оттиск колеса
и горизонта дымка

я выстрел в небеса
я ангел-невидимка
здесь все мертвым-мертво
нет смысла никакого

и вышел из метро
на станции коньково

Sous un ciel d’encre si lent

Avec une pluie battante inclinée

Une telle conversation pour nous s’est dessinée

Jusqu’au métro elle n’allait pas nous mener

Nous hésitons, nous cognons dans un tremblement

Nous courons à la lisière extrême

Comme si on s’éloignait

Ou dangereusement grands on se rapprochait

Incompréhensible comment le dire même

Nous sommes le vent, la musique, nous

La tache de l’arc-en-ciel brûlant tout à coup

Dans les rayons des palpables ténèbres gemmes

Blue dream dessiné par Andreï Molodkine


 

под медленным небом чернильным
с висящим наклонно дождем
такой разговор сочинили нам
мы в нем до метро не дойдем
колеблемся в дрожь ударяемся
по самому краю бежим
то словно бы удаляемся
то близимся страшно большим
как это сказать непонятно
мы ветер мы музыка мы
горячие радуги пятна
в лучах осязаемой тьмы

 

Personne il ne va importuner

Comme une bête il va travailler

Il chevauche le courant d’air argenté

Du suicide l’entrée

La masse de sagesse aux mille branches

Le labyrinthe verbal de l’élan

Il écrit le livre de l’avalanche

En sautoir et traversant

Il sourit avec des mots

En racontant

Des rêves de nous remplis tant et tant

Comme une rame de métro

 

он никому не докучает
работает как зверь
сквозняк серебряный качает
самоубийства дверь
ветвистомудрая громада
словесных дебрей лось
он пишет книгу снегопада
крест-накрест и насквозь
он улыбается словами
рассказывая про
сны переполненные нами
как поезда метро

В. Попов

 

 

 

 

        

20.8.25

Retour aux fondamentaux

         On parle beaucoup, depuis quelque temps, d'un blocage de la Phrance, ombre de ce qu'elle était, quelque part début septembre. Les gauchistes des beaux quartiers soutiendraient l'initiative… ou bien l'auraient récupérée, les opinions divergent. Le pouvoir actuel de Phrance, très "versaillais" dans son mélange belliciste (à l"extérieur) et capitulard  (à l'intérieur) simultanément avec le soutien sous-jacent d'une opposition de façade sur tout l'éventail politico-vendu…serait embarrassé. Quand il mutilait les GJ, voire les tuait, ça le gênait beaucoup moins, ainsi que toute la valetaille médiatique, vent debout contre le peuple… Oui mais!… Souvenons-nous d'Eugène Varlin, de Théodore Fraenkel, du 18 mars 1871. À l'assaut du ciel!… Sans oublier la répression sanglante…

    Le régime Phrançais d'aujourd'hui a, entre autres traits communs avec le Second  Empire et de son successeur le nabot Mr Thiers, celui du ridicule impérialiste et celui de la férocité contre sa propre population… Édouard Limonov m'en avait parlé plus d'une fois…

    Le tableau de l'époque "journaux de l'ex-préfecture"… est troublant de similarité avec notre époque dégradante…

Barricade Place Blanche

La Semaine Sanglante
Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins,
Que des vieillards tristes en larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblants.
La mode est aux conseils de guerre,
Et les pavés sont tout sanglants.
Refrain
Oui mais !
Ça branle dans le manche,
Les mauvais jours finiront.
Et gare ! à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront.
Quand tous les pauvres s’y mettront.
Les journaux de l'ex-préfecture
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par l'aventure,
Les complaisants, les décorés
Gens de Bourse et de coin de rues,
Amants de filles au rebut,
Grouillent comme un tas de verrues,
Sur les cadavres des vaincus.
Statue de Napoléon III renversée.


Refrain
On traque, on enchaîne, on fusille
Tous ceux qu’on ramasse au hasard.
La mère à côté de sa fille,
L'enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouges,
Valets de rois et d'empereurs.
Refrain
Nous voilà rendus aux jésuites
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.
Dès demain, en réjouissance
Et Saint-Eustache et l’Opéra
Vont se refaire concurrence,
Et le bagne se peuplera.
Refrain
Demain les manons, les lorettes
Et les dames des beaux faubourgs
Porteront sur leurs collerettes
Des chassepots et des tambours
On mettra tout au tricolore,
Les plats du jour et les rubans,
Pendant que le héros Pandore
Fera fusiller nos enfants.
Iconoclasme colonne Vendôme


Refrain
Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service,
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.
Refrain
Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé ?
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?
Jusques à quand la Sainte Clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?
À quand enfin la République
De la Justice et du Travail ?

Marc Ogeret, 1871.

9.8.25

La mort du poète Polonski, dernier punk soviet

 

         Au sujet d'Andreï Polonski, dernier poète punk soviet, devenu patriote sur le tard, j'écrivais dans "Vu de Russie", paru à La Manufacture de livres:



        "C'est un colosse de haute taille, vêtu d'un jean noir et d'une parka camouflage. Les tempes rasées, il arbore une bande de cheveux jaunes sur le haut du crâne. C'est souvent le compagnon d'Orlov lors des expéditions au Donbass. Cible immanquable pour un tireur d'élite, il m'évoque le chanteur d'un groupe punk de ma jeunesse: The Exploited. (…) Ses traits brouillés font penser à une gueule de bois.(…) C'est la première fois que je rencontre une trogne "contre-culturelle" dans les eaux de l'aide au Donbass".

    Le poète et musicien punk Polonski est mort le 30 juillet en Carélie. Mon ami Daniil Doubschine évoque ici sa personnalité frappante et sa vie bien remplie.

    (Traduit du russe par Thierry Marignac)

Andreï Polonski


        À la mémoire du poète Andreï Polonski

         De Daniil Doukhoski, dit Doubschine.

        

         Au soir du dernier jour de juillet, chez lui dans le village au nom imprononçable de Touomaanmiakiv, situé en Carélie près de l’extrémité nord du lac Ladoga et à deux cents kilomètres de St-Pétersbourg le poète Andreï Kolonski est mort inopinément.

         Il avait 66 ans. On dit qu’il est mort d’une embolie.

         Polonski était célèbre dans les cercles littéraires des deux capitales depuis les années 80 du siècle dernier. Et dans les cercles du « système » bien avant ça quand il chantait la gloire d’une vie vagabonde éprise de liberté et de quelques arrestations pour des motifs politiques. À l’époque de la Pérestroïka « Signe Dur » eut un grand retentissement: un groupe poétique et simultanément un almanach, conçu par lui avec Arkady Slavorossovi et Sergueï Tachevski. L’almanach n’eut que quatre numéros, mais ils figurent à présent au catalogue dans toutes les bonnes bibliothèques et les recueils de poésie « libre » enligne. Il a beaucoup travaillé dans le journalisme dans les genres et les publications les plus variées. Il faisait des traductions, puisque le français  était pour Andreï quasiment une langue maternelle et pour son père, elle l’était tout simplement, il s’était débrouillé pour naître à Paris.

Polonski


         C’est plus tard qu’apparut « La Société des Justes de la Caste » et le projet  Pravda de la Caste avec un manifeste téméraire qui commençait ainsi : « Il n’y a qu’un seul problème — la mort. Il n’y a qu’une seule histoire — la vie. L’art est une tentative de mêler l’une à l’autre, préparer un breuvage qui fasse son effet. L’art est une affaire de caste. Mais les castes se sont mélangées depuis longtemps. Nous régnons sur les castes. Au canif au cœur de n’importe quel cercle, n’importe quel rêve, n’importe quel désespoir. N’importe quel amour, mais le plaisir est pour les élus. »

         Ensuite, il s’est produit le 22 février et le poète, libertin mais pas libéral, l’anarchiste par nature Andreï Polonski s’est rangé du côté de la patrie et de son armée au combat. Avec l’écrivain Daniel Orlov, ils ont fondé, soit un mouvement soit une initiative sociale « Les écrivains pour le front » et cette puissante structure incarnée par Orlov et Polonski en vieux briscards fatigués se mit à transporter de l’aide humanitaire achetée de leurs poches au Donbass.

         J’ai demandé à Daniel Orlov combien de fois Andreï s’est-il trimballé au Donbass ? Orlov a répondu : « Plus de dix fois. Combien exactement, je ne me souviens plus ». Ils étaient dans toutes les régions en guerre, Lougansk, Donetsk, Kherson et Zaporogue. Vers Belgorod aussi, bien sûr. Je n’y suis pas allé avec eux, Orlov, ou bien le poète et soldat Dimitri Philippov peuvent en parler mieux que moi. Avec le poète Igor Karaoul et Elena Turine, Polonski a conçu et conduit la chaîne Telegram « L’Histoire créatrice de poésie » où ils rassemblaient des vers répondant au battement du pouls de cette Histoire.

         Selon les mots de l’écrivain Dimitri Neveliov, Andreï était un homme « sans méchanceté et étrangement accueillant ». Ceux qui n’étaient pas, comme lui, encombrés des problématiques de l’Opération Spéciale, restèrent néanmoins dans l’orbite de son charme. Ses vieux camarades poètes Dimitri Gregoriev, Sergueï Tachevski, Alexeï « le Brahmane » Yakovlev, Youri Tbetskov pleurent aujourd’hui leur ami.

         Ce qui s’est passé le 31 juillet est aussi pour moi une perte.

Polonski


         Nous avions fait connaissance récemment avec Polonski, au mois de février glacial de 2023. Bien que nous ayons entendu parler l’un de l’autre bien avant. Je ne sais pas ce qu’il avait entendu dire, mais je savais : Polonski, Polonski, n’était pas un homme ordinaire ! Et il est arrivé, grand comme une grotesque statue de Pierre le Grand, coiffé à la punk, dans un imperméable de cuir noir descendant jusqu’aux chevilles — j’en portais un du genre dans les années 1990, l’échangeant avec Édouard Limonov contre une vareuse camouflage à col de mouton. Nous étions assis l’un en face de l’autre au café « Boréal » et au bout de quelques minutes de conversation surgit en moi la sensation persistante que nous étions de vieilles connaissances, nous exprimant dans la même langue, le fait que nous ne nous voyions que pour la première fois ne nous semblait à tous les deux qu’une inconsistance biographique.

         Ensuite, je suis allé avec Tsekov dans son immense appartement, où Andreï nous accueillait avec sa merveilleuse femme Nastia Romanov. L’appartement était arrangé selon Polonski, pétersbourgeois, bourré de livres, bohème. Andreï faisait partie de ceux qui dictent leur environnement et paysage, tant qu’il ne venait pas à l’idée qu’ils y soient venus un jour. Ainsi, nombreux étaient ceux qui le considéraient comme un Pétersbourgeois de souche, alors que Andreï était né à Moscou, sans y avoir vécu très longtemps.

         Pour moi, sa mort est toute une histoire éludée. Nous avions encore tant de conversations importantes et salutaires à tenir, tant de choses à faire ensemble. Il n’en sera rien désormais, mais j’étais si confiant en notre amitié naissante. Un rappel entendu à fond et sans merci que chacun de nous est mortel et que les projets sont seulement…

         Je me souviens qu’au musée Dostoïevski, il y a six mois, assis dans le bureau du directeur Pavel Fokine, Polonski s’était penché vers moi et avait dit sournoisement : « Attends un peu avant de te réjouir, on découvrira encore combien d’idées nous séparent ». Il l’avait formulé avec plus d’élégance, mais c’était l’idée.

         Mais rien de tel ne s’est produit, et au contraire, lors de nos brèves rencontres, notre parenté d’esprit s’est renforcée.

         Mon ami l’auteur-traducteur français Thierry Marignac est venu à l’automne passé rassembler de la matière pour un livre sur notre pays pendant l’Opération Spéciale. Marignac n’est pas hostile à la Russie, sa tâche était de montrer que la vie continue chez nous, ôter sa couronne à l’image de l’ennemi, pire que ce qu’à l’époque soviétique, la presse bourgeoise de l’Occident était capable d’inventer.

Daniil Doubschine et Édouard Limonov


         Avec qui l’ai-je mis en relation de mes connaissances ? Avec le colonel Guennadi Alekhine de Belgorod, près du front, le correspondant de guerre Dima Selezniov de la vieille garde de Limonov, et bien entendu avec lec les inséparables « navettes » du Donbass Orlov et Polonski. Marignac connaissait déjà Orlov, mais j’ai insisté, Thierry tu dois rencontrer Polonski, premièrement, il est francophone, deuxièmement, vous êtes du même âge, troisièmement c’est un poète génial. Thierry les a vus à Pétersbourg et il en était ravi. « C’est un vieux punk, comme moi ! » avait-il déclaré au sujet de Polonski. Thierry a écrit et publié le livre « Vu de Russie ». Dans ces pages vivent mes amis, parmi lesquels Andreï Polonski. Avant sa sortie, j’ai eu le temps de montrer les épreuves à Polonski. Il en était heureux et voulait le traduire.

         Ça ne s’est pas produit.

         Un jour, en parlant avec mon excellent camarade le critique de cinéma pétersbourgeois Mikhaïl Trofimenkov, j’ai été extrêmement surpris qu’il ne connaisse pas Polonski. Il me semblait que des cultures si diverses et coïncidant profondément par une intelligence native, possédant quelque chose de commun dans l’apparence devaient vivre quasiment dans la même rue et mener des conversations éclairées hebdomadairement au minimum. Micha a dit : non, je ne le connais pas. Alors je vais te le présenter, il faut que vous vous rencontriez ! L’ai-je exhorté.

         Ça ne s’est pas produit.

         Maxime Chmiriov — encore un de mes proches. Poète et historien militaire. En parlant avec Polonski, j’ai fait allusion à Max. Il s’est avéré que Polonski le connaissait et aimait sa poésie depuis des décennies ! Il aimait particulièrement le poème « Gricha » sur Raspoutine, une figure qui avait toujours occupé l’esprit de Polonski. Mais les deux hommes ne s’étaient jamais vus. À Arkhangelsk, sachant que j’allais voir Polonski, j’ai spécialement apporté le livre de Maxime « Les rêves de Pavel » et je l’ai offert à Andreï. La semaine suivante Polonski en citait des poèmes à tous les coins de rue !  Le 26 juillet au « Muséone » de Moscou les poètes devaient lire leurs vers. Polonski  brûlait d’envie d’y traîner Chymriov l’ermite. Mais les circonstances n’ont pas permis à Andreï de venir à Moscou. Max est resté dans sa datcha.

Douschine et Limonov, 20 ans plus tard.


         En deux ans et demi nous ne sommes vus que cinq fois Polonski et moi. Notre dernière entrevue s’est produite cet été à Arkhangelsk au festival « Juin blanc ». Pendant deux jours nous avons récité des vers, banqueté et discuté. Les conversations duraient jusqu’à l’aube, ma vision des choses toutefois, puisqu’à Arkhangelsk les nuits sont plus blanches encore qu’à Pétersbourg. Andreï partait un jour en avance et, la veille, nous n’avons pas dormi, et fait la fête jusqu’à son départ. En partant, Polonski a oublié sa pipe préférée dans la chambre d’hôtel. La lui ont-ils rendue ? Je n’en sais rien. Je lui avais demandé de m’envoyer quelques-uns de ses recueils de poèmes en PDF en rentrant à Pétersbourg. Polonski a promis, avant d’oublier. Le 24 juillet, nous avons eu notre dernière conversation au téléphone. Je lui ai rappelé les livres. « De quoi tu parles, tous mes livres sont à toi ! » a grondé Polonski.

         Voici le dernier poème publié par Andreï Polonski sur sa chaîne Telegram le 9 juillet. Il est clair qu’il est dédié aux volontaires étrangers guerroyant et périssant pour la Russie au Donbass. Mais il parle aussi d’Andreï lui-même — c’est lui qui avait erré « de Rome à Poukhet ». Et la mort n’existe pas.

 

         L’étranger au sud de la Russie

         Je n’ai pas cherché l’espérance spécialement,

         Combien coûte le désespoir ? Dieu est absent.

         De Rome à Poukhet, j’ai erré,

         Ici, je suis trépassé.

 

         Non de mon peuple, le combat

         Pour être soi-même, le droit

         Une langue j’ai acquis, ramené la liberté à l’entour,

         Et avec elle, l’amour.

 

         Oui, je suis étranger, tu es celle que tu voulais,

         Mais la Foi, seulement « Fuck » répondait.

         L’esprit est en repos, le corps se purifia,

         Et ma mort n’existe pas.

 

         Иностранец на русском юге.

 

Специально не искал просвета,

Почем отчаянье? Бог весть.

Бродил от Рима до Пхукета,

А умер здесь.

 

В борьбе не своего народа

За право быть самим собой,

Обрёл язык, вернул свободу,

А с ней - любовь.

 

Да, я чужой, ты как хотела,

Но Вера – только фак в ответ.

Покоен ум, умыто тело,

И смерти нет.