23.11.25

L'affaire des toilettes en or

 


         Dans l’antiquité de la littérature noire, on retrouvait souvent un archétype d’intrigue où un journaliste, policier, détective, s’affairait à dévoiler la corruption, les liens occultes avec le milieu, voire les crimes en coulisses de telle ou telle personnalité publique pour la faire tomber lorsque la vérité éclaterait comme une bombe et restaurer le bon droit. Certains auteurs attardés se servent encore de cette idée qui paraît de nos jours d’une naïveté effarante. Il éclate des bombes toutes les semaines ou peu s’en faut et les dirigeants ricanent. Pire, sans une ou deux affaires bien sordides à leur actif, on les prend pour des truffes.

         C’est la présomption d’innocence dans son inviolabilité anglo-saxonne — la justice ayant la charge de la preuve à établir, ce qui coûte cher — qui a transformé la société américaine en société de l’espionnage permanent et de la provocation, d’une façon plus sophistiquée que l’URSS. Une enquête qui n’aboutit pas, c’est de l’argent jeté par les fenêtres, ça impose d’infiltrer et de ne frapper qu’à coup sûr. Du moins, telle est la théorie. Le résultat — qui s’impose un peu partout sur terre à mesure que le crime se mondialise et que le droit international s’américanise — est que plus ou moins tout le monde est sondé un jour ou l’autre et traîne des casseroles, ce qui les banalise. Un dirigeant moderne les ignore — sauf cas de force majeure. L’absolutisme du marché — et le pouvoir en est un — en imposant ses règles de concurrence acharnée, présuppose une certaine tolérance aux coups de hache dans le contrat.

         Aujourd’hui, nous nous intéresserons à ce que Peter Korotaev (blogueur australo-ukrainien connu de nos lecteurs, très critique) et Ruslan Bielov (blogueur russe partisan, mais très objectif dans ses compte-rendu) sans se concerter, ont baptisé L’Affaire des toilettes d’or. Hergé n’aurait pas osé. Mais la démesure oligarchique a des allures de décadence romaine.

         À l’heure qu’il est, tout le monde sait de quoi je parle, le détournement des sommes folles versées au titre de l’aide occidentale à l’Ukraine par les intimes du président en exercice. Peter Korotaev l’a exposé en détails — un article touffu mais complet récemment paru dans nos pages.

Zelenski/Mynditch

         Il y a quelques jours, le très sérieux Wall Street Journal l’évoquait à nouveau. Le titre en était le suivant :

         Kiev a exigé qu’on retire du « plan de paix » le point concernant une audit sur l’aide internationale obtenue

         « Notre publication se réfère aux propos d’un fonctionnaire américain anonyme. D’après lui, pour échapper à de nouvelles poursuites pour corruption dans le gouvernement, l’Ukraine a exigé le changement de la formulation selon laquelle les deux côtés bénéficieraient d’une « complète amnistie pour leurs actions pendant la guerre ». Ce qui signifie que les camps en présence ne pourraient émettre aucune prétention à caractère judiciaire dans le futur, y compris pour des crimes de guerre.

         D’après les informations du Wall Street Journal le document contenait au départ un projet d’audit sur l’aide internationale. Cependant, le camp ukrainien a insisté pour exclure cette formulation et pour une amnistie complète, nous a informé aux conditions de l’anonymat un haut fonctionnaire américain.

         Ce point (N° 26) figure effectivement dans la version du document publiée par le député du peuple Gontcharenko. De plus, on affirme que ce document a été rédigé par les représentants de Russie et des États-Unis sans la participation ni de l’UE, ni de l’Ukraine (…) »

        


         Depuis le sabotage de Nord Stream, on avait perdu l’habitude des confidences anonymes de personnages haut placés dans l’administration américaine. Au-delà du moyen de pression sur le régime ukrainien que représentent certainement ces « confidences », une des leçons de cette guerre restera peut-être que les secrets les mieux gardés sur les manœuvres et machinations en coulisses ne sont pas étanches…

         On soulignera la servilité abjecte des médias français qui ont le culot de prétendre dans un dossier aussi accablant que : « La démocratie marche puisqu’il y a une enquête ». Dans un article paru le 17 novembre intitulé « Notre fils de pute » (référence à une phrase de Franklin Roosevelt sur le dictateur du Nicaragua Anastasio Somoza) Peter Korotaev (Events in Ukraine, substack) répond de la manière suivante :

         « Ce n’est probablement pas grâce à son expérience inexistante en affaires que Mynditch est devenu le gérant occulte de FirePoint une entreprise de drones et missiles créée en 2023, qui fut récipiendaire d’un tiers des dépenses militaires ukrainiennes en 2024.

         Quelques sont les forces derrière ce spectacle ? Quels sont les enjeux de ce théâtre ?

         Tout d’abord, une chose n’est pas en jeu — la corruption.

         Les NABOU et SAPO n’ont jamais rendu un verdict de peine de prison sur aucune des influentes figures qu’ils ont accusé de corruption. L’enquête sur la corruption du président alors en exercice Petro Poroshenko en 2019 a été l’occasion d’autant de révélations choquantes que le scandale Mynditch, et autant de peines de prison — PAS LA MOINDRE »

          


    Je me permettrai ensuite de citer mon bouquin « La Guerre avant la guerre » (éditions Konfident, 2023) sur un scandale un peu plus ancien :

         « Quant à Avakov, dénoncé par son compatriote Roïtman, devenu gangster à Brooklyn, comme la preuve que Zélenski est lié au milieu, cet ancien Ministre de l’Intérieur jusqu’en 2021 est l’acheteur de 11 hélicoptères Airbus à la France. Dans l’un de ces appareils, son successeur et toute l’équipe qui l’accompagnait ont été victimes d’une catastrophe aérienne. La perquisition chez Avakov a permis de retrouver les contrats d’achat — on le soupçonne d’avoir perçu des rétrocommissions — non pas au Ministère de l’Intérieur mais au domicile de l’ancien ministre.

         Moltachanov (blogueur ukrainien en exil aux États-Unis, directeur de l’Institut des conséquences de la guerre) fait remarquer que dans l’histoire récente de l’Ukraine, très peu de suspects de corruption ont été condamnés à des peines de prison ferme. En général on se contente de les limoger »

         En effet, l’affaire Avakov n’a jamais eu de suites…

         C’est un président ukrainien bien mal informé ou très naïf qui s’entoure ainsi constamment d’escrocs, sans jamais s’en apercevoir, ni rien toucher, blanc comme neige… C’est pourtant la thèse des journaux parisiens…

         En réalité, l’État ukrainien étant aux mains de bandes depuis son origine — 34 ans — il est peu probable qu’on puisse survivre en n’étant pas soi-même un escroc, le plus vif à poignarder dans le dos.

         À son arrivée au pouvoir, le président ukrainien actuel était considéré comme la créature de Kolomoïski en lutte contre Poroshenko, propriétaire des studios de télévision où l’acteur avait connu la gloire et financier de sa campagne électorale. Kolomoïski, un des oligarques les plus puissants d’Ukraine, intimidait même Poroshenko. En mars 2015, lorsque l’oligarque avait tenté de faire main basse sur Transnaft, compagnie de pipe-lines dans un coup de main avec des volontaires des bataillons nationalistes qu’il finançait pour lutter contre les séparatistes au Donbass, c’est l’ambassade américaine qui avait été obligée d’intervenir auprès de Kolomoïski pour qu’il lâche prise. Un tel parrainage était certainement lourd à porter pour Zélenski. Lorsqu’on apprend par le site Grayzone, que son ami Mynditch, compromis dans l’affaire présente, était comptable de l’empire Kolomoïski, on comprend mieux comment l’oligarque a fini par se retrouver en prison. Mynditch en savait long. Une des traditions mafieuses les mieux établies quand on veut se débarrasser de quelqu’un, c’est de s’adresser à son meilleur ami. On murmure que Kolomoïski, depuis sa cellule, ne serait pas étranger aux récents ennuis de Mynditch et, au-delà de lui…

         Zelenski, élu sur un programme de paix était considéré comme populiste et suscitait la méfiance des libéraux/nationalistes qui forment l’ossature des NABOU et SAPO. Korotaev ajoute :

         « L’Occident l’a toujours trouvé suspect pour son imprévisible populisme et les médias occidentaux l’accusaient continuellement, pendant la période 2019-2021, d’être un agent russe. »

         RT, média russe, cite le NYT :

         « D’après une enquête du New York Times publiée le 15 novembre, Volodymyr Zelensky aurait eu connaissance des mécanismes de détournement de fonds publics dès 2022, et les aurait validés. Plusieurs anciens hauts responsables ukrainiens, interrogés sous couvert d’anonymat, confirment que « Zelensky ne ressent aucune gêne, même lorsqu’une enquête pour corruption est en cours ».

         Puis, plus loin, un média polonais :

         « Les critiques ne se limitent plus à l’Ukraine. Dans un article publié le 16 novembre, le média polonais Mysl Polska s’interroge ouvertement : « Est-il possible que les services de renseignement occidentaux, capables de suivre chaque transfert ou conversation, aient pu ignorer un tel système de corruption ? ». Pour le journal, la responsabilité ne repose pas seulement sur les élites ukrainiennes, mais aussi sur leurs alliés.

    L’Europe est accusée d’avoir « fermé les yeux » et injecté des milliards d’euros d’argent public sans réel contrôle. « Ce ne sont pas des fonds privés, mais des ressources publiques. Les gouvernements occidentaux doivent rendre des comptes à leurs citoyens », écrit Mysl Polska. L’article appelle à des sanctions non seulement contre les auteurs des détournements, mais aussi contre ceux qui les ont couverts, par négligence ou par complicité. »



         Si l’on admet cette hypothèse, pour le moins vraisemblable, et les rumeurs de blanchiment abondent, la proposition d’un plan de paix alternatif réclamé par l’Ukraine ET ses alliés européens prend peut-être un autre sens. Dans les « amendements » proposés par ce camp-là et son exigence de participation aux négociations figurent certainement la « formulation » de l’article 26 proposant une « amnistie complète pour les actions pendant la guerre » peut-être pas uniquement avancée et soutenue par l’Ukraine seule.

         Thierry Marignac, novembre 2025.