28.7.14

L'art du roman, si décrié, par le maître lui-même…

La vie d'un romancier s'accorde mal au rythme des jours enfuis. Elle se confond plutôt avec la ronde fantasque, brillante, capricieuse, et sans cesse en éveil de l'imagination. Demandez à qui tire de lui-même ces personnages qui s'agitent dans les livres et il vous avouera, s'il est sincère, que le monde, qui lui doit, un moment, d'exister, devient le sien. Fasciné par ses créations, un auteur arrive forcément, tôt ou tard, à ne plus vivre qu'à travers elles, et son existence véritable lui apparaît parfois comme celle d'un homme tout différent de l'homme qu'il est ou qu'il a même été. Nul n'y peut rien. C'est d'une autre, d'une première vie qu'il s'agit et cependant, à bien peser les choses, cette autre vie mérite qu'on y revienne, ne serait-ce qu'afin de justifier la seconde, à moins qu'on ne se risque à les prendre toutes les deux, dans leur courte durée, pour des songes dont on ignore lequel exerce le plus d'action, de force, d'envoûtement. (…)

Francis Carco, MÉMOIRES D'UNE AUTRE VIE, Albin Michel, 1934.