Le baiser, Francis Picabia. |
« Édouard Limonov, écrivait Yossip Brodski, est un poète qui, plus que bien d’autres, a eu conscience que la voie vers la clairvoyance philosophique passe moins par la thèse et l’antithèse, que par le langage lui-même, dépouillé de tout ce qui est inutile ».
Le pas de côté du regard objectif franchi ci-dessous, s’il fut certainement à l’origine un réflexe de défense face à un drame trop violent — sa rupture avec Elena à New York— reste le signe de piste constant de sa poésie jusqu’à la fin. Sans doute inspiré par ses maîtres des années 1920, Khlebnikov en tout premier lieu, il lui confère une tonalité toute singulière.
(Traduit du russe par Thierry Marignac)
Et ensemble avec l’hiver de marbre blanc
D’un bas de couleur foncée
Caressant, je me lave les pieds
Et bonjour le cafard russe charmant
Les tempêtes à mes tempes traversons
Une gorgée et les joues rouges vermillon
Du beau thé fort anglais ajoutons
Et attentivement sur la tasse les tempes nous penchons
Ensuite des tableaux et même des aquarelles
Mais un coup se prépare à mon cœur stupide
Regarde en arrière vers un trou criminel
L’amour est tombé au fond comme une sphère de soleil livide
Déjà un jour d’hiver, aucun espoir n’entretenant
Je me suis amouraché d’un manteau qui se boutonne
Et d’un pull blanc me réchauffant le cou calmement
Ici je ne suis pas aimé — en revanche je murmure personne
Ici je ne suis pas aimé. C’est une remise, ici. Des hangars
Ici de chaises et de tables des entrepôts
Ici c’est venteux — clair et à la porte on frappe plein pot
À n’importe quel moment, d’ici je suis prêt au départ…
Édouard Limonov, Mon Héros négatif, poésies 1976-1982.
И вместе с беломраморной зимою
От шелкового смуглого чулка
Я свою ногу ласково отмою
И здравствуй милая российская тоска
Метели с виски мы пережидаем
Глоток и розовый румянец щек
Добавим англицким красивым крепким чаем
Склонив внимательно над чашкою висок
Потом картишки и еще рисунки
Но сердцу глупому готовится удар
Взгляни назад — там преступлений лунки
Там вниз ушла любовь как бледный солнца шар
Уже на зимний день надежды не имея
Я с пуговицей полюбил пальто
И в белый свитер свой тихонько шею грея
Меня не любит здесь — зато шепчу никто
Меня не любят здесь. Сараи здесь. Ангары
Здесь склады стульев и столов
Здесь ветрено — светло и в дверь летят удары
Отсюда я уйти в любой момент готов…
Эдуард Лимонов, стихи 1976- 1982.