13.6.16

Poèmes d'amour


(Vers de Boris Ryjii, traduits du russe par TM)
L’ÉCRIVAIN
Comme un chauffeur de taxi par toute la maison jurant,
Le robinet de la cuisine réparant,
Il se blesse à la main, et la crasse essuyant,
Cherche un bandage, et se souvenant d’Ivan

Illitch[1], est à deux doigts de pleurer, il s’arrache
À la maison : au vent libre, à l’air —
Idiot maigre aux yeux bleus sans tache
Au-delà des souffrances tragiques du jeune Werter —

Et sous le bruissement des vertes feuilles
Dans le square jonché d’amoureux fous
Dit à voix basse : « Vous
Êtes là-bas à l’orchestre, dans vos fauteuils ».
Boris Ryjii, 1997.

ПИСАТЕЛЬ

Как таксист, на весь дом матерясь,
За починкой кухонного крана,
Ранит руку и, вытерев грязь,
Ищет бинт, вспоминая Ивана

Ильича, чуть не плачет, идёт
Прочь из дома: на волю, на ветер
Синеглазый худой идиот
Переросший трагедию Вертер –

И под грохот зелёной листвы
В захламлённом влюбленными сквере
Говорит полушёпотом: «Вы,
Там, в партере!»
Борис Рыжий, 1997.





La nuit telle quelle, et déserte est la rue
Comme à chaque fois !
Innocente, vierge, pour qui étais-tu
Et fière à la fois ?

…Défile une bande de flics
Tous sous les feux versatiles
Des réverbères — jouets des reflets métalliques
Des ceinturons qui rutilent.

Voilà un taxi qui fonce quelque part avec un passager
Très important,
À peine plus loin — un piédestal supportant
Un audacieux connard en pied.

Usines. Cheminées fumantes au-dessus.
Nuage.
Me voilà, et j’embrasse tes lèvres au passage.
Bon, salut.

C’est moi, je marche le long d’une noire palissade
De guingois
Disposée ma gapette, démarche de hors-la-loi,
Planquant à l’ombre des embuscades.

Comme tous les bons poètes
À vingt-deux ans,
Je suis amoureux, et vraisemblablement —
Pas des paroles toutes faites.
Boris Ryjii, 1997


Ночь – как ночь, и улица пустынна
Так всегда !
Для кого же ты была невинна
И горда ?

… Вот идут гурьбой милицанеры –
все в огнях.
Фонарей – игрушки из фанеры
На ремнях.

Вот летит такси с важным
Седоком,
Чуть поодаль – постамент с отважным
Мудаком.

Фабрики. Дымящиеся трубы.
Облака.
Вот и я, твои целую губы:
Ну, пока.

Вот иду вдоль черного забора,
Набекрень
Кепочку надев, походкой вора,
Прячась в тень.

Как и все хорошие поэты
В двадцать два
Я влюблен – и вероятно, это
Не слова.
Boris Ryjii, 1997.







[1] Allusion à la longue nouvelle de Tolstoï : La Mort d’Ivan Illitch