2.5.15

Le début de la fin du monde civilisé


         Encore un cadeau de Kira Sapguir, le poète Boris Ryjii a déjà été évoqué dans ces pages, « passant considérable », mort avant trente ans, à la Lermontov, avec qui il partage en outre la caractéristique d’avoir écrit plus que de raison, pour un si jeune homme, vertige d’un déséquilibre d’instabilité systématique.
         Il évoque ci-dessous, à sa si singulière façon, l’année charnière 1985, qui vit l’arrivée au pouvoir de Gorbi, le fossoyeur d’URSS, l’instant même où tout a changé de texture dans ce monde en hibernation que nous avions cru éternel, un deuil politico-mondial, semblait-il, comme un autre, mais qui signifiait déjà le XXIème siècle, cette déchéance.
         Dans cette échoppe russe de Londres, il y a quelques jours, je croyais rêver : le recueil de Ryjii, des centaines de poèmes sauvés de l’oubli, en solde, pour s’en débarrasser. Et j’ai béni l’errance, béni les pas perdus, dans une prière muette au hasard objectif.
Sosnovski et les Sibériens ne connaissaient pas ce volume, publié à Pétersbourg, par le Fonds Pouchkine.
        

1985
         À deux heures ouvrirent les marchands de vin
         Et dans tout le pays on cessa de travailler. Les Géorgiens
         En douce vendaient des philtres, souterrains marchands.
         Partout on suspendait des drapeaux en parure.
         Les maniaques se cachaient dans la verdure.
         Les scouts étaient à cran
         Et parlaient d’eux en disant, c’est des homos.
         En une semaine étaient morts les secrétaires généraux…
         Sorti de taule, le voisin racontait des sornettes à tout vent.
         J’allumais une cigarette, mes cils grésillant
         Et je venais d’avoir dix ans.
Boris Ryjii, 1997

1985
В два часа открывались винные магазины
         И в стране прекращалась работа. Грузины
Торговали зельем из-под полы.
         Повсюду висели флаги.
В зелени скрывались маньяки.
Пионеры были предельно злы
И говорили про них: гомосеки.
В неделю раз умирали генсеки…
Откинувшийся из тюрьмы сосед
Рассказывал небылицы.
Я, прикуривая, опалил ресницы,
И мне исполнилось десять лет.
1997  Борис Рыжий