MONSIEUR
L’INSPECTEUR
DE ALFRED DOGBÉ
Sur la ville écrasée de chaleur, les
tourbillons intermittents de l’harmattan…
Le souffle du vent balayait le marché désormais désert ; les marchands somnolaient harassés de fatigue. La joyeuse animation de la matinée était tombée. Là-bas, sous de sordides assemblages de planches, de cartons et de haillons, des vieilles femmes attendaient. Elles échangeaient d’amères remarques sur la baisse des ventes, sur la taxe journalière qui avait triplé et dont elles pronostiquaient la baisse prochaine.
« Monsieur l’Inspecteur national des
finances est arrivé ! Il nous débarrassera du percepteur des impôts et
taxes ; ce mécréant boit notre peine en whisky… » Elles parlaient,
essuyant sans cesse ce mélange de sueur et de poussière que les souffles de l’harmattan
déposaient sur leurs peaux flasques et ridées.
Les vieilles femmes annonçaient
l’imminente déroute des démons de la corruption. Elles vantaient la compétence
vigilante et la probité indéfectible de Monsieur l’Inspecteur. Et elles se
promettaient des jours nouveaux d’équité et de prospérité sous les abris
précaires qui laissaient filtrer les rayons incertains du soleil, le jour de
l’arrivée de Monsieur l’Inspecteur national des finances.
Depuis une semaine, la rumeur annonçait
cette mission et devançait le déroulement de l’enquête. Les rues grouillaient
de l’écho de magouilles sordides. Tout le monde savait désormais où étaient
passés les fonds disparus de l’opération « Relance de la production
sèche ». Toute la ville savait qui avait dilapidé le produit de la Collecte
pour un développement total et autonome ». Personne, absolument personne,
n’ignorait que les engrais et les semences donnés par les pays amis
aboutissaient dans la ferme personnelle du chef du service d’agriculture. Le
receveur des postes faisait un usage fructueux – à son profit – des fonds de la
Caisse d’épargne. La fortune de l’agent comptable s’estimait en centaine de
millions, celle du directeur local des douanes en dizaines de millions…
La chute des maîtres
Une semaine de dénonciations bien
intentionnées, de persiflages haineux et de diatribes enflammées avait suffi
pour que chacun sut que l’Inspecteur national devrait établir : l’origine
et le volume de la fortune visible ou occulte des principaux cadres de l’Etat.
La petite ville avait recensé et évalué leurs biens réels et imaginaires.
Et la ville avait devancé le verdict de
Monsieur l’Inspecteur. De lourdes peines d’expropriation et d’emprisonnement
avaient été distribuées. Par anticipation. La ville attendait la chute de ses
maîtres vomis, enviés et craints. Celle de Boukar, car on l’a vu débarquer ici
maigre et affamé comme un enfant abandonné ; celle de Tini, qui est lui
aussi arrivé sans le sou ; celle de Chani également est inévitable,
disait-on dans la ville, car il puait comme un ânon dans son blue-jean voici
deux ans ; Dida doit finir en prison, qui accumule villas, voitures et
femmes depuis sa nomination. La ville citait aussi Tanko et Komi : l’un
avait envoyé six fois sa mère à La Mecque, l’autre livrait les jeunes filles de
son lycée aux partouzes de ces mécréants…
Et la ville vibrait du récit des enquêtes
du fonctionnaire rusé et pointilleux, inaccessible aux compromissions. Cet
homme tout-puissant relevait directement du chef de l’Etat lui-même. Il avait
mis à nu tous les tripotages, toutes les magouilles abominables dans d’autres
régions du pays. « C’est un dur, mon cher, un homme !... Dieu bénisse
l’Inspecteur national, le fils bénie d’une mère bénie ! Il nous
délivrera ! »
La ville attendait, surexcitée et
explosive. Et les persiflages haineux venaient relayer les murmures assoiffés
de vérité dans la ville qui attendait, attentive aux moindres échos de
l’enquête.
Éclairs de chair
Tout le monde savait qu’au second jour de
sa mission, l’Inspecteur national avait un regard impitoyable sur les comptes
de la Direction locale des impôts et taxes. Mais les jeunes commerçants
désœuvrés restaient allongés dans la fraicheur sombre des magasins encombrés de
pagnes hollandais, de tapis orientaux, de chemises coréennes, de chaussures
italiennes aux coloris clinquants. Leurs radios-cassettes chantaient les récits
du temps où les femmes étaient des hommes et les hommes n’étaient pas des
hyènes. Le temps révolu des chefs prodigieux aux actions héroïques, aux paroles
lumineuses de vérité et de courage. Les jeunes commerçants désœuvrés rêvaient
de lointaines chevauchées en chassant les mouches.
Deux dames passèrent, qui longeaient les
magasins pour échapper au soleil cuisant de l’après-midi. La richesse de leur
toilette, l’élégance de leur démarche assurée, la vertigineuse ondulation des
croupes rebondies captèrent tous les regards et suscitèrent des exclamations
d’admiration. De tous les magasins, on s’arracha à l’envoûtement des sons du
molo, à la fascination des âges morts. Pour regarder le balancement des bras de
celle à la robe bleue, la cambrure des reins de celle qui porte le corsage
jaune. On s’arracha à la verve exaltante du chantre des héroïsmes anciens, pour
murmurer : « Regarde ! Par le sexe de la mère ! Regarde
l’amphore du bassin de celle-ci ! » On se contorsionnait sur les nattes
et les ballots pour mieux voir la poitrine de celle qui tenait le sac vert,
pour voir les éclairs de la chair qui traversaient la jupe de l’autre. On
tapait sur la cuisse du voisin. On décrivait les vibrations des rondeurs de la
première. « Non ! Pas celle-ci ! Regarde, par le sexe de la
mère ! Ce cou ! Ces jambes ! » On murmurait cela tandis
qu’on criait : « Venez mes sœurs ! J’ai des draps… Regardez mes
tapis de Libye… Voyez les velours de Paris…. Venez, jolies dames… des talons
d’Italie ! »
Les deux dames passèrent dignement.
Sourdes à l’animation gaillarde qu’elles avaient suscitée, indifférentes à
l’avalanche de compliments salaces et de boniments insipides. Elles passèrent
sans un mot ni un regard pour ces yeux d’hyènes qui brillaient dans la pénombre
des boutiques, elles passèrent. Et disparurent dans l’atelier de Sadou le
couturier. Sacré Sadou ! Il humera leur haleine fraiche. Il touchera leur
peau satinée sous le prétexte de prendre les mesures des fesses et des
poitrines ! Dans les boutiques, les gorges étaient sèches d’envie ;
quelqu’un avait reconnu les épouses de l’ingénieur en chef du projet
« Reboisement » et du percepteur des impôts et taxes. Les sacrés
veinards !
Souffles sournois du désir
D’un magasin à l’autre, l’information
courut, portée par les souffles sournois du désir et de la jalousie.
« Elles viennent solliciter les secours des pouvoirs magiques de Sadou qui
n’est pas que couturier, mais aussi géomancien, et peut coudre et découdre les
destins. Elles perdent leur temps et leur argent ! Aucune intervention magique
ne sauvera leurs crapules d’époux ! Ils s’enrichissent frauduleusement et
ruinent les autres. Ces exécrables gloutons créent des entreprises fictives,
accaparent tous les marchés juteux et oublient leurs promesses. Ils payeront
immanquablement leurs forfaits. L’Inspecteur ne peut fermer les yeux sur leurs
ignominieuses tractations. Cet authentique petit-fils d’un féticheur n’a rien à
craindre de tous les magiciens du monde réunis ! Non ! Ce bâtard de
Méké prétendument ingénieur forestier ne peut échapper aux griffes équitables
de Monsieur l’Inspecteur, car il a couché avec toutes les femmes, même les
épouses des commerçants qui fournissaient le projet ! »
On parlait ainsi quand les deux dames
sortirent de l’atelier de Sadou le géomancien. Elles passèrent sans un mot ni
en regard pendant que les jeunes commerçants désœuvrés déversaient le fiel de
la rancune et de la rancœur. Ils dorlotaient des espoirs revanchards car ils
savaient que la mission de l’Inspecteur se déroulait bien. Ce matin, le
directeur local des impôts et taxes avait eu chaud ! On aurait entendu les
bruits d’une violente dispute, les supplications efféminées de ce vampire de
Tini qui a triplé la taxe journalière. On aurait entendu le non définitif de l’inspecteur. Le saint
homme ! Il prie cinq fois par jour, il jeûne et fait l’aumône ; il ne
boit jamais d’alcool ; il ne connaît de femmes que ses deux épouses
fidèles… On déblatérait toujours quand les deux dames disparurent dans une
luxueuse voiture aux vitres fumées.
Le dragon de la vérité
L’imminence des victoires du dragon de la
vérité avait libéré la bouche du commérage éhonté, enlevé le bâillon du silence
intéressé, ouvert les vannes du caquetage imbécile.
La ville attendait, déjà repue et vengée.
Et les souffles mesquins de la revanche réglaient leurs comptes aux puissants,
dans l’ambiance des bistrots de la grande rue.
Ils étaient quatre. Tous fonctionnaires
subalternes. Des habitués. Ils surmontaient la déconvenue du coordonnateur
Balla qui avait subi le contrôle de l’Inspecteur dans la matinée. Alio, son secrétaire
financier racontait. Il mimait les sueurs froides, les explications confuses et
les justifications embrouillées de son patron. Le coordonnateur des
coopératives, haï pour sa sévérité et son arrogance, aurait cherché chez ses
assistants un regard complice, un secours quelconque. Vainement, car il n’avait
jamais partagé avec personne. Alio raconta les factures falsifiées ou payées
deux fois. Les stocks inexistants mais comptabilisés plusieurs fois. Alio
reprit le récit des grands moments de la journée. Plusieurs fois, le rire gras
et méchant de ses compagnons éclata victorieusement. Et leurs yeux buvaient les
paroles d’Alio qui triomphait des malheurs de son patron.
« Balla sera inévitablement muté,
cassé, révoqué, emprisonné. Balla sera remplacé ! » Avec ses
compagnons, Alio pesait les chances des assistants de son ancien patron. Souls et heureux devant
la table jonchée de bouteilles vides. Ils étaient avachis dans leur siège. Ils
se demandaient qui remplacerait le patron d’Alio.
Assoiffée de justice
Les souffles de vile jalousie auguraient
des jours amers de déchéance et de regrets pour le coordonnateur Balla. En ce
troisième jour, le brouillard de l’harmattan cacha le soleil et enveloppa la
ville d’un épais nuage de poussière. Et la ville attendait, assoiffée de justice.
Dans un autre bistro de la grande rue,
les souffles intempestifs de l’indignation pénétraient le silence immaculé de
la démission, tel le castrat qui étreint la vierge.
Un petit vieux se battait comme un lion contre un billard électrique.
La machine clignotait de toutes ses lumières à un rythme vertigineux. Les
lunettes du petit vieux reflétaient les feux bleus, jaunes, verts, rouges qui
s’allumaient et s’éteignaient. La technique parfaite du joueur, son assurance
et sa précision arrachèrent un hourra enthousiaste aux trois hommes qui
suivaient la partie, bouteille à la main. Le petit vieux aux lunettes
multicolores sourit béatement, car l’appareil affichait une suite de douze
numéros. La machine était vaincue. Elle émit de longs tintements de soumission.
Le petit vieux fut acclamé. Longuement. Car personne n’avait jamais réussi
pareille prouesse depuis l’installation de cette machine qui était devenue
l’unique préoccupation des jeunes fonctionnaires de la ville. Le prodigieux
héros fut applaudi et félicité. Ses adversaires lui offrirent chacun une bière.
Chacun s’engagea à l’égaler et la partie suivante commença aussitôt. Le petit
vieux triomphait. Un petit sourire moqueur aux lèvres, il regardait ses
adversaires se défoncer comme si leur vie en dépendait. Il les regardait quand
une voix éclata derrière lui, si violente qu’il se retourna.
Chimères révolutionnaires
Au fond de la salle, deux hommes
discutaient avec véhémence. Deux enseignants bien connus dans la petite ville.
L’allure d’étudiants jamais d’accord avec rien ni personne. Bagarreurs et
l’insulte toujours à portée des lèvres, ils passaient pour des polissons parmi
les habitués du bistrot, pour des idéologues fanfarons qui nourrissaient
l’ambition farfelue d’embarquer tout le monde sur la nébuleuse de leurs
chimères révolutionnaires. Leur franc-parler frisait le suicide par
procuration. L’un deux avait écopé l’année précédente d’un mois
d’emprisonnement sans procès pour avoir dit, les yeux dans les yeux, au chef du
district qu’il était un pantin administratif et un escroc politique.
Ce soir, c’est contre l’Inspecteur
national que l’enseignant vitupérait. Le petit vieux s’approcha des deux hommes
à petits pas calmes. Indifférent aux regards furtifs et étonnés qui se
portaient sur lui. L’enseignant gesticulait : « … Une mascarade !
Une parodie de justice ! On leur demande de restituer les sous au peuple.
C’est très simple ! Ils font appel à des amis qui vident momentanément
d’autres caisses de l’Etat afin de régulariser la leur. Après l’inspection tout
redevient comme avant ! Et le tour de passe-passe n’est même pas secret.
On se moque de nous ! »
Le petit vieux regarda avec un petit
sourire amusé les lèvres qui tremblaient d’exaspération et les petits yeux
noirs qui lançaient des éclairs de rage impuissante. L’enseignant leva son
verre. Alors son compagnon prit à son tour la parole : « Tu as
positivement raison. Ce qui me choque, moi, c’est d’entendre parler
d’assainissement, de moralisation de la vie publique. Or, ce chien d’Inspecteur
use ouvertement de chantage et fait payer son silence en femmes, en bétail, en
terres et en voitures. L’ignoble bouffon déniche les fraudes, s’enrichit et
passe pour un modèle de probité ! Saisis-tu comment il a obtenu sa
nomination au poste d’Inspecteur national des finances ? Laisse-moi te
raconter… » Sa voix était enflammée. Il rectifia sa pose et ajusta ses
verres correcteurs. Il vida sa bouteille dans son verre et le verre dans sa
gorge. Son compagnon faisait des signes désespérés à la serveuse.
« Ragots d’aigris ! » se
dit le prodigieux héros aux verres multicolores. Il se remit à suivre le
clignotement de la machine et les cris hystériques de ses adversaires. Encore
deux joueurs avant son tour. Le petit vieux sortit du bar enfumé où les
souffles impuissants de l’indignation intempestive se noyaient dans le vacarme
innocent des rires et des plaisanteries. Au-dessus de la terrasse du bistrot,
les étoiles scintillaient, pareilles à des milliers d’yeux rieurs et malicieux.
La lune cachée derrière un épais nuage sombre irradiait le ciel d’une lueur
bleutée. Le petit vieux sentit les souffles froids et cruels de l’harmattan lui
cingler le visage.
Fourgon blindé
La ville attendait, traversée par les
souffles froids et cruels de l’harmattan…
Embourbée
dans la glue de l’exubérance inconséquente, la ville attendit jusqu’au huitième
soir, où l’Inspecteur s’en alla.
Le fourgon blindé précédé par le car des
policiers traversait la ville qui résonnait des échos de la brillante réception
offerte la veille. Une fête ! Il fallait voir, mon cher, hier au quartier
administratif. Tous y étaient : Balla qui aurait détourné quatre-vingt
millions de nos francs ; Dida qui avait volé deux cent cinquante millions.
On avait vu Abaldé dont l’épouse est si obèse qu’elle ne vient plus au marché.
Djigal qui ne passe ses congés qu’en France. On avait vu Halidou, dont les fils
seraient tous en Europe, et Kourba qui ne boit que du vin. Même Omar. Il y
avait tout en abondance. Ils avaient bu, mangé et dansé. Ils avaient pris une
photo de famille avec Monsieur l’Inspecteur national. Une photo instantanée où
tous souriaient.
Le convoi passa dans les rues poudreuses
de la petite ville qui se délectait des échos de la fête. Luisant sous les
rayons incertains du soleil couchant, le convoi passa devant des enfants
presque nus qui se disputaient un vieux ballon. Les enfants regardèrent les
vitres obscures du fourgon qui cachait les cadeaux et les instruments de la
vérité. Fascinés, les enfants avait abandonné
le vieux ballon rapiécé. Immobiles et silencieux, ils regardaient. Dans
leurs grands yeux ébahis se lisaient l’admiration et la confiance.
Le convoi de la vérité passa, qui
emportait les soupçons, les craintes et les espoirs de la petite ville.
Monsieur l’Inspectait réservait la primeur de ses conclusions au chef de l’Etat
lui-même.
Ce jour-là, les souffles de l’harmattan
passaient sur la ville… Ils passaient, rafales violentes qui dénudaient les
arbres, arrachaient branches, foulards et pagnes. Les souffles froids et cruels
balayaient la ville, tourbillons de poussière et de feuilles mortes qui desséchaient
les lèvres, meurtrissaient les yeux. Les bourrasques courroucées de l’harmattan
passaient… Et la ville vivait dans la douleur.
Rixe sanglante
La bagarre éclata, violente et confuse.
La cour du lycée n’était que lambeaux d’habits arrachés et déchirés que le vent
emportait ; livres, chaussures, cartables et cailloux volaient, propulsés
vers les poitrines, les cous, les têtes. La cour était folle. Personne
n’échappait aux coups, au choc des projectiles. Certains élèves pleuraient de
douleur, criaient de peur. D’autres appelaient à l’aide.
La mêlée était effroyable. Certains
fuyaient, le visage congestionné de peur et d’étonnement. Une fille traversa la
cour, nue comme la vérité, hurlant comme une démente. Elle courut droit devant
elle. Les yeux fermés, elle sauta par-dessus le mur du lycée. Et le tourbillon
des coups et des coures-poursuites mourut dans la rue. Comme il avait germé
subitement.
La ville vivait dans la douleur, en cette
matinée où les souffles embarbouillés de l’équité avaient brisé les bornes
mesquines des murmures scandalisés, rompu les digues hésitantes des
chuchotements fallacieux, franchi les barrières indécises du silence vénal et
des indignations momentanées. Et la ville vivait dans la douleur.
La cour du lycée était maintenant
dévastée, jonchée d’adolescents gravement blessés, filles et garçons hébétés
qui baignaient dans leur sang Le portail était arraché ; les tableaux et
les tables-bancs des classes brisés, les bureaux envahis par les élèves qui
tremblaient, pleuraient mais ne savaient pas. Des professeurs sortaient des
placards. Ils avaient fui la furie. L’un deux avait la face tuméfiée, un autre
l’œil fermé. Ainsi était le lycée quand les policiers et ambulanciers
arrivèrent.
Les bruissements de la veulerie et les
mirages de l’équité avaient couvé le typhon de la candeur.
Et la ville vivait dans la douleur en
cette matinée où Taya, le meilleur de la classe de sixième, succomba aux coups.
Dans la classe quelqu’un l’avait traité de fils de voleur. Les souffles mauvais
du persiflage et de l’irresponsabilité avaient inspiré Soueba. A la face de
Madou, elle avait crié : « Va te faire voir, fils de voleur, va te
faire voir ! » Douloureuse matinée de mesquinerie où Diallo rapporta
à ses camarades les forfaits du père de Mamane. Terrible matinée où ils refusèrent
de partager les mêmes cours que les fils insolents des affameurs du peuple.
En cette honteuse matinée d’inconséquence
et de démission, le surveillant général regardait les décombres de la
discipline qu’il avait instaurée dans le lycée. Une colère immense étouffait
son désarroi. Et il se demandait : « qui m’a confectionné cette
merde ? »
© Alfred Dogbé