11.6.25

2e épisode: l'assassinat d'Andrey Portnov

 

2006, l'époque où l'Ukraine n'intéressait personne…

(2e partie de l'article de Peter Korotaev, traduit de l'anglais par Thierry Marignac)

2010-2019 : Révolution et réforme

         Timoshenko a traversé beaucoup de choses durant sa vie tumultueuse. Mais cette fois, Portnov frappa le premier. Pour beaucoup, ce fut la première grande trahison de Portnov.

         Lorsqu’elle perdit les élections face à Yanoukovitch en 2010, Portnov lui servit d’avocat à la Cour Suprême. Timoshenko cherchait à prouver que les élections avaient été truquées. Elle n’eut pas gains de cause et Portnov ainsi que son groupe parlementaire démissionnèrent bientôt de la fraction BYU. En avril 2010, il accepta l’offre de Yanoukovitch de devenir le président-adjoint de l’administration présidentielle et le chef du directorat principal pour la réforme judiciaire.

         BYUT le dénonça comme un traître. Pour sa part, Portnov déclara qu’il avait toujours eu des divergences avec Timoshenko et sa tentative de disputer le résultat des élections avait fait déborder le vase.

         Quoi qu’il en soit, Portnov grimpa très haut dans la nouvelle administration Yanoukovitch. On lui confia des postes importants dans le contrôle du système bancaire. Il devint conseiller du président et chef du directorat principal des affaires juridiques de l’administration présidentielle.

         Son poste de dirigeant de la réforme du code de procédure criminel de 2011-12 se révéla essentiel. Ce code reste en vigueur aujourd’hui. De nombreux postes de premier plan dans la magistrature furent attribués sous la direction de Portnov. Les journalistes pro-occidentaux avancent que grâce à ça, Portnov a maintenu son emprise sur les décisions juridiques dans le pays jusqu’à sa mort. Dans des interviews, Portnov ne niait pas que ces postes avaient été attribués sous son règne, mais prétendait que beaucoup de ces magistrats étaient à présent en mauvais termes avec lui.

         Le plus ironique, peut-être, est que la magistrature Portnov devait expédier Timoshenko sous les verrous en 2011, pour les marchés sur le gaz que Portnov avait aidé à conclure. Une fois qu’elle fut emprisonnée, l’Occident ne cessa de réclamer la libération de ce « prisonnier politique » à Yanoukovitch. Elle annonça rapidement qu’elle était devenue infirme en prison, beine qu’elle se débarrasse assez vite de sa chaise roulante lorsque le nouveau gouvernement euromaïdan la libéra en 2014.

         Les ennemis pro-occidentaux de Portnov ne se lassent pas de se référer à la période de l’euromaïdan. Au point culminant des évènements, Portnov  était l’un des dirigeants de l’équipe de négociations de Yanoukovitch avec l’opposition.

         Plus grave, les critiques avancent que Portnov a joué un rôle majeur dans la rédaction des nouvelles lois « dictatoriales » sur les manifestations et la liberté d’expression politique le 16 janvier 2014 passées en force au parlement par Yanoukovitch. Portnov n’a pas confirmé ça, mais a déclaré que ses lois étaient une bonne idée et n’a jamais caché son extrême dédain des « révolutionnaires ».



         Pour sa part, Oleg Tsarev (un autre parlementaire du parti de Yanoukovitch, qui vit à présent en Russie) prétend que Portnov était du côté des membres de l’élite Yanoukovitch qui soutenaient une répression plus sévère du campement du Maïdan. Malheureusement, selon Tsarev, ceux-ci ne représentaient qu’une petite minorité. J’ai écrit dans ces pages la trahison des sphères supérieures du Parti des Région s de Yanoukovitch dès qu’il était devenu clair que pour défaire l’euromaïdan, il faudrait recourir à la violence et accepter les foudres de l’Occident.

         Contrairement à Portnov ou d’autres qu’on décrit comme « pro-russe » Tsarev correspond parfaitement à cette étiquette.

         Portnov s’enfuit en Russie le 22 février, le jour où le président quittait la capitale. Le 28 février le procureur général ordonnait son arrestation dans les dix jours.

2025, l'autre face du miroir.


         Le nouveau président d’Ukraine, Petro Poroshenko, allait devenir le plus grand ennemi de Portnov. Ils avaient déjà un contentieux — Portnov avait été avocat de l’accusation dans un procès mettant en cause Poroshenko pour corruption en 2005. Ironie de l’Histoire, à cette époque, Poroshenko était membre du Parti des Régions de Yanoukovicth.

         Un certain nombre des gens les plus volontaires du Parti des Régions avaient déjà été tués par les nationalistes et l’alternative semblait être de rejoindre les protestations chaotiques anti-maïdan dans le Donbass. Si certains membres de l’élite pro-Yanoukovitch avait parié sur la seconde possibilité, je ne peux imaginer que le froid et formaliste Portnov ait jamais éprouvé autre chose que du dégoût pour les rebelles incontrôlés de l’est.

         Selon Tsarev, Portnov ne trouva pas sa place en Russie. Il ne put obtenir la citoyenneté russe et avait des ennuis avec les services d’immigration. « Comme si c’était un ouvrier tadjik » dit Tsarev.

         Ayant quitté la Russie quelque temps plus tard, Portnov alla à Vienne. L’Autriche est un refuge pour les forces d’opposition ukrainiennes. En dehors de Portnov, la ville abrite Igor Guhva journaliste de Strana.ua, et l’homme d’affaires de l’ère Yanoukovitch Dmitry Firtash, et propriétaire de la chaîne de télévision « Inter ». Strana réalisa plusieurs interviews positives de Portnov et les deux hommes étaient bons amis, comme les médias occidentaux le rapportèrent avec colère.

         Il était aussi très proche d’Alexandre Dubinski, journaliste sur la chaîne de Kolomoïski 1+1. C’était un critique virulent du régime Poroshenko, il faisait par conséquent l’éloge de Portnov en tant qu’allié de l’opposition.

         Comme on le sait, bien que Dunbinski se soit rallié au nouveau parti au pouvoir de Zelenski, il serait arrêté et emprisonné en 2023 pour son rôle dans les fuites sur le scandale Burisma Biden (il n’est pas inenvisageable que Portnov lui ait donné un coup de main). Quoique ces fuites aient été approuvées par Zelenski comme une action pro-Trump et anti-Poroshenko, l’arrivée au pouvoir de Biden avait changé la donne.

         Pendant le règne de Poroshenko, 2014-2019, Portnov se consacra en priorité à ses affaires d’homme de loi. Mais il n’était pas du genre à tendre l’autre joue. En 2018 des messages « fuités » auraient montré Portnov en train de discuter avec ses confrères au gouvernement russe la meilleure manière d’intégrer la Crimée à la Russie. Il fut accusé de trahison par le gouvernement ukrainien, un chef d’accusation qu’il réussit naturellement à battre.

Poroshenko à son heure de gloire.


         En dehors des médias et de ses clients encore en Ukraine, l’exil de Portnov se passa à se défendre d’une série d’accusations dans des tribunaux ukrainiens et occidentaux. En général, il gagnait.

         (…)

 

2019-2022 : La revanche ambigüe

 

         Portnov s’adonnait toujours à son passe-temps favori gagner des affaires dans les tribunaux ukrainiens. Les journalistes qu’il humiliait au tribunal prétendait qu’il le faisait juste parce qu’il pouvait le faire, juste pour humilier ceux qui défendaient l’euromaïdan.

         Dans la vidéo se félicitant de l’assassinat de Portnov, Bihus, financé par les États-Unis, avance ceci : La joie que suscite sa mort n’est pas seulement parce que c’est un nouvel ennemi abattu. Ce n’est pas le premier, et j’espère, pas le dernier. Les gens se réjouissent parce que ce n’est que justice.

         (…)

         Le 20-05-2019 Zelenski devint le nouveau président d’Ukraine. Portnov était revenu dans le pays la veille, après des années d’exil.

         Pendant la campagne ? Portnov avait soutenu publiquement Zelenski, comme moindre mal par rapport à son ennemi Poroshenko. Portnov avait aussi accusé Moscou de désirer la victoire de Poroshenko, un exemple de la manière dont Portnov défendait l’indépendance de l’Ukraine tant à l’est qu’à l’ouest.

         Les représentants du parti de Zelenski et Igor Kolomoïski lui-même — l’oligarque qui avait soutenu Zelenski à cause de ses nombreux conflits d’affaires avec Poroshenko — nièrent la participation de Portnov au nouveau gouvernement. Cependant, la réalité était plus compliquée.



         Tout d’abord, Portnov entretenait de bonnes relations avec Andreï Bogdan le premier directeur de cabinet de Zelenski. C’est apparemment la bienveillance de Bogdan qui avait permis à Portnov de rentrer au pays. Après avoir travaillé pour le régime Yanoukovitch, Bogdan travaillait étroitement avec Kolomoïski.

         Pour sa part, Portnov avait de bonnes relations avec ce célèbre poids lourd de l’oligarchie. Dans une interview en 2019, Kolomoïski assura que Portnov était toujours un de ses plus proches associés.

L'oligarque tout-puissant Kolomoïski


         (…)

         En bref, Portnov était un élément crucial dans la guerre contre le clan Poroshenko. Celui-ci, qui avait excessivement centralisé le pouvoir entre ses mains durant sa présidence, avait été pris de court par le projet Zelenski de Kolomoïski en 2019. Zelenski était parvenu au pouvoir grâce à la promesse de traîner Poroshenko et ses sbires devant la justice.

         Et Portnov se consacra à cette tâche avec l’énergie qui le caractérisait. Le 20 mai, le lendemain de son arrivée en Ukraine il devait faire une première déposition au Bureau des enquêtes d’État (SBI) contre Poroshenko. Une seconde et une troisième les 23 et 24 mai. Il en serait ainsi de nombreuses fois encore et Portnov promit d’expédier Poroshenko sous les verrous. L’ex-président était constamment soumis à des interrogatoires humiliants au tribunal.

Portnov, chatouillant l'ex-président.


         (…)

         Il convient de noter le patriotisme de ses accusations : Poroshenko profitait de la corruption et de leurs affaires en Crimée contrôlée par la Russie au moment même où des soldats ukrainiens mouraient au Donbass. Poroshenko était affilié à des activistes pro-russes armés. Portnov n’était pas un politicien pro-russe. Il parlait toujours la Crimée et des républiques de Donetsk et de Lougansk comme de « territoires occupés par la Russie ».

         Il demeurait néanmoins un des critiques les plus déterminés et pertinents de la « révolution » d’euromaïdan. Il faisait pression sur le gouvernement pour autoriser le retour de ses compagnons d’exil, notamment Anatoly Shariy, un blogueur anti-Poroshenko. Il poursuivait simultanément sa guerre contre un large éventail de journalistes au service des Démocrates américains et les organes de lutte contre la corruption, des affaires qu’il gagnait la plupart du temps.

         (…)

         Il y avait d’autres signes que Portnov avait un avenir dans le gouvernement Zelenski. (…). En janvier 2020, la cour Pechersk de Kiev décida que Portnov avait vécu les cinq dernières années en Ukraine (un mensonge flagrant) et qu’il était éligible au parlement ou à une haute fonction d’État.

         (…)

         Plus distrayantes encore furent les nombreuses batailles de Portnov avec la filiale ukrainienne de Radio-Liberty. Il les accusait d’avoir des boulots de liquidation politique sans fondement, tandis que ceux-ci prétendaient qu’il les menaçait sur Facebook. Voici un des prétendus messages envoyés aux journalistes pro-occidentaux :

         Bonjour,

         Je vois que vous avez été très actif. Il va falloir vous rééduquer. Si j’entends votre nom de famille une fois encore, je vous transforme en tas de merde.

         Respectueusement

         Portnov

Officine connue de la CIA.


         Il envoya aussi la réponse suivante à Ruslan Ryaboshenko, le procureur général favori de Poroshenko et des Américains :

         Va te faire foutre, procureur.

         (…)

         En novembre 2019, Portnov avertit l’administration présidentielle de Zelenski que Radio-Liberty constituait une menace pour la liberté d’expression. Je rappelle au lecteur que cette radio militait pour l’interdiction des médias défendant une neutralité géopolitique et de bonnes relations avec la Russie.

         C’est à ce moment-là que Zelenski sembla sur le point de mettre l’Ukraine sur « la voie géorgienne ». (…)

Selon ce scénario, l’Ukraine aurait petit à petit renouvelé ses liens politico-économiques avec la Russie. Les territoires séparatistes seraient réintégrés au pays selon les accords de Minsk. L’Occident ne serait pas content, mais n’y pourrait pas grand-chose.

(…)

Zelenski fit machine arrière sous la pression des nationalistes et de l’Occident. Le confinement COVID avait mis le pays à genoux financièrement, l’obligeant à céder aux exigences du FMI et de Washington. L’arrivée de Biden à la Maison Blanche fut un autre facteur-clé qui fit dérailler la possibilité d’une paix en Ukraine.

Le destin de Portnov changeait au gré du vent de la politique mondiale.

(…)

Après la prise de pouvoir par Biden, Zelenski devint de plus en plus agressivement nationaliste, réprimant l’opposition « pro-russe » à laquelle on associait Portnov. Il interdit les chaînes 112, NewsOne et ZIK.

En décembre 2021 les États-Unis sanctionnèrent Portnov pour avoir « acheté des réseaux d’influence dans les tribunaux ukrainiens ».

(…)

Le 6 mars 2014, l’UE et le Canada imposèrent des sanctions à Portnov et d’autres membres du gouvernement Yanoukovitch pour des « violations des droits de l’homme ». En décembre 2014, Portnov envoya une lettre à l’UE l’informant de l’absence de poursuites contre lui en Ukraine. L’UE l’a retiré de liste des sanctions le 5 mai 2015.

En octobre 2015, le Conseil de l’UE admettait officiellement que les sanctions contre Portnov étaient sans fondement, basées seulement sur une lettre du bureau ukrainien du procureur.

Puis il quitta à nouveau l’Ukraine en 2022.

Portnov à l'aéroport


(…)

2022-2025 : L’éminence grise à l’étranger.

Cependant, le savoir-faire et les contacts de Portnov dans le système judiciaire le rendaient toujours indispensable pour les élites gouvernementales et d’affaires.

En dépit du fait que les hommes de plus de 18 ans ne pouvaient quitter le pays depuis février 2022, Portnov retourna sans problèmes en Europe en juillet à la consternation de ses ennemis nationalistes et libéraux.

Une fois à l’étranger, Portnov continua à faire ce qu’il aimait — les affaires légales en Ukraine. Comme on peut le comprendre, il s’agit d’activités complexes, impliquant l’aide à un homme d’affaires d’un raid contre son entreprise, ou l’inverse.

Mais dans un pays comme l’Ukraine, les affaires sont indissociables de la politique. La guerre a fait surgir de nouvelles occasions de racket infinies pour les organes de maintien de l’ordre. Une ouverture particulièrement profitable était d’accuser les entreprises d’avoir des liens avec « la nation agresseur » et autres accusations antipatriotiques.

(…)

Tout cela semblait démontrer que Portnov vivait confortablement. Sa vie en Espagne était enviable pour tous les hommes ukrainiens, enchaînés dans les frontières du pays.

C’est ainsi que sa mort m’a choqué. Une question à explorer au prochain article.

Peter Korotaev, mai 2025.

10.6.25

L'assassinat d'Andreï Portnov le 22-05-2025 à Madrid par Peter Korotaev

 

Le blogueur ukraino-australien Peter Korotaev — que nos lecteurs anglophones peuvent retrouver à « Events in Ukraine » sur la plate-forme Substack où publie Seymour Hersh — est une précieuse source d’informations. Contrairement à tant d’autres ­— chez lui, aucun prêchi-prêcha, mais une approche concrète des faits : le sanglant western de la politique ukrainienne. Nous publierons ici les principaux extraits d'un article-fleuve en deux parties dont voici la première:

         (Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)

Peter Korotaev


 

         22 mai 2025, 9h 15. The Madrid American School.

        

         Un homme de 51 ans dépose ses deux filles. Il retourne vers sa Mercédès.

         Quatre balles dans la poitrine. Une dans la tête. Il est allongé la tête en avant sur l’asphalte. Une exécution « professionnelle ».

         Andreï Portnov était né en 1973. Son assassinat diffère notablement de ceux que j’ai couverts récemment. Il ne s’agissait pas d’un simple nationaliste dérangé, bon à être manipulé, utilisé, et éliminé par les véritables acteurs politiques. C’était un poids lourd de la politique.

         Portnov connaissait de nombreux secrets, une marchandise de grande valeur, mais aussi très dangereuse.

         Outre les secrets, sa vie elle-même présente toute une série de paradoxes éclairants.

         Paradoxes, parce qu’il semblait être en équilibre sur un large éventail de positions politiques contradictoires. Haï et dénoncé comme pro-russe par les libéraux et nationalistes ukrainiens, décrié comme traître par beaucoup d’Ukrainiens pro-russes vivant en Russie. Un homme dont le meurtre a été applaudi par la télévision d’État ukrainienne et les médias libéraux financés par l’Occident — et pourtant une figure apparemment toute-puissante dans l’État profond de Zélensky. Un homme que presque tous les clans politiques ukrainiens respectaient, qui avait pourtant réussi à survivre à tant de ses anciens patrons…

         La publication « anti-corruption » Bihus financée par l’USAID, fête la mort de Portnov avec un verre.

       



         Il existe aussi une autre façon de décrire Portnov, celle qu’il préférait — un défenseur de la souveraineté ukrainienne. C’était un des critiques les plus pertinents du « contrôle étranger » qui avait mis la main sur le pays depuis 2014, mais il avait aussi vivement critiqué l’intervention militaire russe de 2022.

         Par conséquent, l’article d’aujourd’hui sera consacré à la vie de Portnov non seulement parce qu’elle pourrait expliquer sa mort — mais en raison du rôle crucial qu’il jouait à l’intersection entre les vecteurs pro-occidentaux et les vecteurs souverainistes en Ukraine, de même qu’entre autorités officielles ukrainiennes et russes.

         Plus important peut-être, Portnov avait signalé la possibilité d’un « scénario géorgien » — que l’Ukraine sous Zélensky dériverait vers une position de neutralité envers la Russie. Le Donbass pourrait être réintégré sur le fondement d’une politique plus démocratique, plus tolérante. Un scénario très possible en 2019-2021, quand Portnov était rentré au pays.

         Mes amis ukrainiens ont réagi à cette idée en riant (selon un sondage). Après tout, ce que ça disait vraiment était que :

         —"Le meilleur cas" ici est celui où la guerre est sans fin, et l’Ukraine est sous le joug d’une dictature fasciste qui tue des centaines de milliers de gens de sa propre population.

         —"Encore OK", c’est Israël — ai-je besoin d’en dire plus ?

         —"Pas terrible", c’est un pays en paix depuis dix ans (la Géorgie), qui essaie d’avoir des relations diplomatiques et commerciales avec tous les pays du monde.

         —"Le pire cas" est celui d’un pays qui n'a souffert d’aucune guerre depuis 1945 et la qualité de la vie des citoyens ordinaires est beaucoup plus élevée qu’en Géorgie ou en Ukraine (Biélorussie).

         Bref, retournons au complexe héros de notre article d’aujourd’hui, un homme dévoué à ce scénario pas terrible.

         La mort de Portnov a suscité bon nombre de nécrologies racontant son illustre vie. Elles incluaient toutes diverses hypothèses sur les causes de sa mort brutale. Elles se contredisent souvent. Pour commencer, 7666 mots sur les faits avérés.

Andrey Portnov


        

         1973-2006 :

         Portnov était natif de Lougansk. Cette ville du Donbass a, comme Donetsk, la réputation d’une ville minière sans merci, alimentant de charbon les vaisseaux sanguins de l’URSS . Lougansk est généralement vue comme la parente pauvre de Donetsk.

     Le Donbass tout entier était célèbre pour ses guerres de territoires entre bandes dans les années 1990, avec un taux d’assassinats trônant en tête des statistiques à l’époque.

         Les assassinats retentissants étaient hebdomadaires. Une affaire particulièrement mémorable fut le meurtre de Evguéni Scherban en sortant de l’aéroport en 1996 — en ce temps-là, c’était l’oligarque le plus puissant d’Ukraine.

         Tout aussi mémorable fut l’explosion au stade de football Shakhtar de Donetsk. Elle tua le richissime président du club, le parrain de la mafia Akhat Braguine, ainsi que six de ses gardes du corps. C’est Rinat Akhmetov qui s’empara de son vaste empire, jusqu’à aujourd’hui, c’est l’homme le plus riche d’Ukraine. Nombreux sont ceux qui l’accusent d’être coupable de ce meurtre et de beaucoup d’autres.

         Après son service dans l’armée soviet puis la toute récente armée ukrainienne, le premier boulot de Portnov fut celui de juriste consultant dans la firme légale Ukrinformpravo. Loin d’être un boulot tranquille de col blanc. Les avocats sont aussi nécessaires dans les guerres oligarchiques que le flingue et la barre à mine.

         Voici ce que disait la future (et provisoire) patronne de Portnov Youlia Timoshenko en 2013. Elle était alors gardée sous les verrous par le clan de Donetsk au pouvoir à l’époque :

         Le type de luttes intestines criminelles qui avaient lieu dans la région de Donetsk dans les années 1990, ne s’est vu nulle part ailleurs en Ukraine. Youri Lutsenko, quand il est devenu ministre de l’Intérieur en 2005, a exhumé plus de 30 cadavres d’hommes d’affaires, d’avocats, d’enquêteurs et autres liquidés dans le Donetsk dans les années 1990. Le président Youshenko ordonna de cesser de creuser dans la région de Donetsk.

         Inutile de se demander pourquoi Portnov a une apparence aussi austère. Ses amis se souviennent de lui comme d’un type « sévère ». À ce stade de sa vie, il était encore loin d’être loin d’être l’éminence grise qu’il deviendrait par la suite. Mais l’école de la vie lui enseignait certainement des leçons très précieuses.


Andrey Portnov


         Le jeune Portnov

         Au bout de quelques années dans le dangereux univers des avocats d’affaires de Lougansk, il partit à Kiev en 1997. C’est justement cette année-là que le président Koutchma, lui aussi un représentant du puissant clan de Dniepropetrovsk, se mit à s’appuyer sur le clan de Donetsk, les invitant dans la capitale. Lougansk, un satellite de Donetsk, envoyait manifestement ses meilleurs éléments.

         Portnov eut un poste à la Commission d’État à la Bourse, un phénomène nouveau en Ukraine à l’époque. Il s’éleva rapidement à la Commission, obtenant des rôles importants dans le maintien de l’ordre et la finance.

         En 2001, il défendit une thèse au sujet des « Activités d’investisseurs étrangers dans la Bourse ukrainienne (Motivations et règlements) ». L’homme voyait loin, sachant qu’à ce moment-là le capital étranger était réticent à entrer dans le pays.

         Portnov s’intéressait plus au capital domestique pour gagner sa vie. Spécialiste en privatisation, obligations, et gestion d’entreprises. Portnov était au cœur des grandes luttes oligarchiques de l’époque, à la fois aussi défenseur contre les raids sur les entreprises, que défenseur de celles-ci. De 2003 à 2004, il continua à travailler à la Commission d’État. Le président Koutchma le nomma officiellement « L’avocat ukrainien de l’année » en 2004.

 

         2006-2010 : BYUtiful

         En 2006, Portnov devint parlementaire à la Rada. Il entra dans la carrière politique en tant que conseiller-juriste en chef de la fraction BYUT — le bloc de la sensationnelle Youlia Timoshenko.

         Timoshenko, comme le reste de l’oligarchie ukrainienne, gagna des millions dans de complexes combines de transport de gaz russe vers l’Europe. Elle devint une figure politique proéminente durant la présidence Koutchma, la période de la création du système politico-économique de l’Ukraine, celui qui existe peu ou prou jusqu’à aujourd’hui.

         Timoshenko joua un rôle d’avant-garde dans l’évolution de la politique ukrainienne. Elle prenait soin de son apparence en public, les fameuses tresses blondes en couronne et les sacs Gucci qu’elle portait au Parlement. Ses campagnes publicitaires étaient nouvelles en Ukraine. Son légendaire appétit de pouvoir la mena à rejoindre le camp pro-occidental lors de la Révolution Orange de 2004.

         Mais Timoshenko joua également un rôle majeur dans la faillite de la présidence post-Orange de 2005. Tandis qu’elle avait fait beaucoup pour amener Viktor Youshenko au pouvoir, elle fit ensuite de son mieux pour l’affaiblir et se renforcer. Le pays s’enfonça dans des guerres intestines politiques plutôt que d’embrasser la lumineuse utopie européenne promise pendant les journées révolutionnaires de 2004.

         Portnov joua un rôle déterminant.

         En 2008, il dirigea un petit groupe de parlementaires jetant un pont

Timoshenko en 2002

 entre les groupes de Timoshenko et de Yanoukovitch. Elle était censée être une combattante de la démocratie occidentale contre la mafia soviet autoritaire de Donetsk. Mais elle ne rechignait pas à travailler avec ses ennemis jurés pour affaiblir un président déjà dompté.

         Portnov se révéla indispensable dans les luttes entre Timoshenko et le président.         Le  rusé avocat se vanta de son rôle dans l’annulation des élections anticipées de 2008 qui représentait une tentative du président de se débarrasser de son insupportable blonde Première ministre. Il joua également un rôle important dans les pourparlers durant la crise du transport de gaz entre Russie et Ukraine en 2009.

(À suivre)