31.7.24

Anti-olympique

La liberté et le pétrole ©A. Molodkine

 

 

         Dans ma lointaine adolescence anarcho-situ, un groupe dont j’étais sympathisant, « La Gauche marxiste », descendant tardif de « Socialisme ou Barbarie » et de « Pouvoir ouvrier » son successeur à travers moult scissions, avait fondé en compagnie de quelques autres groupuscules ultragauche un « Comité anti-olympique » je-ne-sais plus quelle année bissextile, sans doute 1972. Je crois que notre activisme pour la cause se limita à quelques tracts, affiches, éditoriaux dans nos publications confidentielles. Il y était question du caractère sous-ludique primaire de l’évènement, de l’idéologie essentiellement capitaliste de la compétition, et l’on s’en doute, du spectacle marchand planétaire, avec ses pseudo-trêves. Malgré la Guerre Froide, l’hystérie ambiante titrait plusieurs dizaines de degrés en moins qu’aujourd’hui, on invitait encore Russes et Chinois. Mais chaque camp s’efforçait de prouver sa supériorité politique. Par le sport. L’affrontement ne tournait pas toujours à l’avantage de Mondelibre, sur les pistes, dans les piscines, sur les tatamis ou les rings. En poids lourds, les Cubains avaient Teofilio Stevenson, un talent tel qu’on envisagea un temps de l’opposer à Mohammed Ali, par dérogation spéciale du régime castriste. Ma grand-mère avait un faible pour les patineuses et patineurs artistiques soviets aux figures acrobatiques. Au Comité anti-olympique, on prenait bien soin de mettre sur un pied d’égalité les oligarchies libérales de l’Occident et les régimes staliniens dont certains sont encore en place, comme nous le rappelle le quelque peu lunaire Kim-Jong-Un. Nous évoquions l’opposition spectaculaire des « camps » se partageant la planète et leur unité sous-jacente, démontrées par… les J.O.

     Si nous mettions l’accent sur les déploiements policiers dont ils étaient l’occasion, la destruction de la ville, et la militarisation de la société comme prélude et conséquence, on en était pourtant qu’aux balbutiements. La cybernétisation totalitairement inefficace de la mascarade parisienne en cours le prouve aujourd’hui. Le meilleur des mondes te palpe, te scanne, te numérote et dissèque ta bio au nom de la liberté. Secret de polichinelle, les seuls à se réjouir des J.O. sont les officiels qui en profitent et quelques athlètes abrutis de défonce…

         Je pense qu’à lui seul l’intitulé du Comité nous aurait valu de nos jours, une descente du RAID, avec tout leur barda, ce qu’on appelle en Russie un « show de masques », confiscation de la propagande, des insultes, quelques baffes et coups de crosse dans les côtes, des poursuites judiciaires. Sous Pompidou, on nous considérait, non sans raison, comme d’inoffensifs écervelés. Mais la liberté a beaucoup progressé depuis la fin de la guerre du Vietnam.

         Je regrette les ambigüités de la Guerre Froide, disait en 2003 John Le Carré, farouche adversaire de la guerre d’Irak.

         Le massacre des athlètes israéliens à Munich avait mis un terme au Comité anti-olympique et à ses minuscules activités. La violence nihiliste et le désordre du monde dépassaient de loin notre confortable extrémisme parisien.

     J’ai toutefois, me disait un ami, la nostalgie du XXe siècle…

         Thierry Marignac, année olympique 2024.

28.7.24

L'été des gueules de bois


 

        Guy Debord, poivrot-théoricien, écrivait : « Il y a des matins émouvants mais difficiles. »

        Ici, le dadaïsme du poète est redoublé d’une main qui tremble…

   (Vers traduits du russe par Thierry Marignac)

   

     Prologue:

    "Ces vers sont écrits de manière

À ne pas offenser

Tous ceux pour qui on écrit des vers

Sont en ce sens sous tension d’effort

Ici point de lyrisme mais la croissance d’un herbier

Orné de feuilles

Tous les vivants

Et la ruse au cas où"

 ***

    La lune des yeux, quatre elle en a,

Et vingt-cinq en a la terre,

Mais même si l’on regarde par eux tous à la fois

On ne peut comprendre, rien à faire

Les sèches brindilles va emporter

Derrière le grand cyprès

Les sourds moulages des villes

Des villages la vie de cécité

Cristallin un son

Un son d’airain

Dans la boite crânienne un son

Bonjour un monde ivre dès le matin,

Piloté par mes soins.

Bonjour le coin, parenthèse bonjour,

Ne te lamente pas, cauchemar bonjour

Où est le petit verre, où est la nounou

Et l’ouvre-boîte, il est où…

Anna Arkatova, 2024.


 

 

    Стихи написанные так

чтоб не обидеть

всех тех кому написаны стихи 

стоят под напряжением в этом смысле

здесь лирики ни-ни а только хи-

мические цепи прорастаний 

гербария  подкрашенные листья

все живы

и лукавство если что 

 

 

 

    У луны четыре глаза

У земли их двадцать пять

Но смотри хоть всеми сразу 

Ничего тут не понять

Отведи сухие ветки 

За высокий кипарис

Городов глухие слепки

Деревень слепая жизнь

Звон хрустальный 

Звон железный 

Звон в коробке черепной .

Здравствуй  мир с утра нетрезвый,,

Пилотируемый  мной.

Здравствуй угол здравствуй скобка,

Здравствуй ужас не тужи -

Где тут няня где тут стопка ,

Где консервные ножи…

Анна Аркатова, 2024.

 

 

 

 

 

22.7.24

Instantané dans le métro de Moscou

 

Station "Teatralnaïa"

 

Anna Arkatova, poétesse et prosatrice déjà publiée dans ces pages, capte ici avec son œil contemporain la curieuse renaissance à Moscou depuis 2020, d’une forme de post-post-punk dépressif, chez une jeunesse languissante et vaguement morbide —dans le portrait ci-dessous :

 

Ces vers sont écrits de manière

À ne pas offenser

Tous ceux pour qui on écrit des vers

Sont en ce sens sous tension d’effort

Ici point de lyrisme mais la chaîne de croissance d’un herbier

Orné de feuilles

Tous les vivants

Et la ruse au cas où

 

Une pâle jeune fille emo[1]

Dans un imper venu d’ailleurs

Assise se maquille carrément

Dans le wagon de métro

Ce n’est pas du rouge à lèvres

Ni de la poudre aux joues

C’est un cosmétique infernal

Une couche s’étale sur l’autre

L’ombre s’approche de l’ombre

Se lie un fond de teint mortel

Solidement tenu sur les genoux

Tremble un sac à dos fidèle

Masque je te connais

La brosse est un tube de papier mâché

Ce lièvre lâché par papa

S’accroche à nous par un piercing

Le front de faïence se plisse

 Les ongles longs l'aplanissent

Elle sort à Teatralnaïa[2]

Nous laissant seuls

 

Anna Arkatova, 2024.

 



[1] Style de rock dépressif post-punk datant des années 1980 et 90, connaissant un regain de popularité à Moscou depuis 2020.

[2] Station de métro moscovite.

 

Figurine murale du métro: un Arménien.

 

 

Стихи написанные так

чтоб не обидеть

всех тех кому написаны стихи 

стоят под напряжением в этом смысле

здесь лирики ни-ни а только хи-

мические цепи прорастаний 

гербария  подкрашенные листья

все живы

и лукавство если что 

 

 

 

 

***

Бледная девушка эмо

В потустороннем плаще 

Села и краситься прямо

Сидя в вагоне метро

Это не губки помадой 

это не пудрой скулу 

Это косметика ада

Слоем вползает на слой

Тень приближается к тени

Мертвенный вяжется  грунт

Цепко держась за колени

Верный дрожит рюкзачок

Маска а я тебя знаю

Кисточка тюбик папье

Папой  оброненный заяц

Пирсингом крепится к нам 

Морщит фарфоровый лобик

Длинный скоблит ноготок

На театральной выходит

Нас оставляя одних

 

Анна Аркатова


15.7.24

"Le Pays où le tir au président est un sport national…"

 

…Edward Limonov, Journal d'un raté, Albin Michel, 1982.

Limonov à 17 ans, Kharkov.