27.6.21

L'Heure du loup de Pierric Guittaut

 



    Chers lecteurs, 
     Je me plains toujours dans ces cas-là, mais au risque de lasser, je recommence. 
    Le dernier roman de Pierric Guittaut, L’Heure du loup, a de terribles défauts, pas moins de quatre : il est excellent, saisissant, torride et bien ficelé. En d’autres termes — il va me donner du fil à retordre pour en parler sans déchoir. 
     Si l’on vivait dans un monde où le talent est récompensé, les racleurs de crincrin du nature-writing auraient du souci à se faire, parce qu’avec Pierric Guittaut — le loup est dans la bergerie. 
     Que les médiocres se rassurent, nous n’en sommes pas là. 
     C’est en approfondissant le personnage déchiré de Remangeon — surgi dans D’Ombres et de flammes — , gendarme fanatique de son devoir et peu apprécié de sa hiérarchie, relégué en Sologne profonde, que Guittaut livre son roman à mes yeux le plus abouti. 
     C’est en affûtant ses thèmes jusqu’à l’imperceptible fil du stylet, que Guittaut peut laisser libre cours à un souffle de lyrisme, de violence et de crudité qui n’a plus rien à envier aux Grands Sudistes du siècle dernier, seul le nom de Caldwell me revient en mémoire, mais Pierric pourrait vous en citer bien d’autres. 
     Guittaut est désormais bien campé dans sa campagne mondialisée, défigurée par la gestion technocratique et les manipulations écolo-polluantes, proie de toutes les convoitises des planificateurs et idéologues — Un territoire vierge ! Il lui suffit désormais de quelques allusions et descriptions pratiques des manœuvres en cours pour qu’on soit de plain-pied dans un bled reculé qui n’est plus qu’un bout de planète irradié par l’absurdité dévorante d’un système radioactif. Tandis que le backwoods noir, cher à l’auteur, s’enfonce dans ses forêts malsaines peuplées d’ombres inédites, indices toujours plus troublants d’une revanche de forces telluriques déréglées. Elles ont pris corps dans l’âme contradictoire et violente de Remangeon gendarme fils de rebouteux, rebouteux lui-même après les heures de service.


      Un homme coupé en deux : éthique de militaire en conflit avec un savoir immémorial irrationnel.            C’est en pleine crise conjugale, au lit de sa maîtresse épouse de notable, que l’appel interrompt la crise de culpabilité du gendarme après l’amour : une jeune fille déchiquetée dans les bois par un animal sauvage, sans doute un loup, espèce récemment réintroduite dans la région sous la pression naturaliste de groupes d’importation américaine aux nostalgies post-modernes, Feral et Wolfwatch qu’un pouvoir régional en réalité vacant a laissé s’implanter. Pourvu qu’on puisse gérer et s’embourber les crédits écolos… 
    Équipées, battues, manifs de défenseurs de la nature, écheveau d’intérêts contradictoires, sur le fond d’intrigues villageoises, de commérages venimeux et de vieilles haines — c’est toute l’habileté de Pierric Guittaut, cette coexistence du plus synthétique de l’Ère de l’Information et du plus éternel vase clos de la province reculée. 


    Si je note, avec un certain amusement, la récurrence des orages— dont il sait transmettre la beauté magnétique — dans l’œuvre de Guittaut, celle-ci est toujours contrebalancée par la description clinique des déprédations post-industrielles sur le paysage. Ici, la méthanisation. Au titre des bonnes idées écologiquement correctes occasionnant plus de dommages que de bienfaits, elle ne peut rivaliser qu’avec les éoliennes !… Il s’agit de transformer les excréments en gaz. Les conditions d’épandage sur divers terrains métamorphosant l’utopie en cauchemar. Guittaut en dresse le portrait. Comme les méthaniseurs sont aussi défenseurs du loup, on touche dans ce passage à une des clés du roman. 
    Les suspects foisonnent, au sujet de la jeune fille déchiquetée. Un dresseur de pitbull en rapport avec elle, demeuré local. Un méthaniseur. Un gros loup féroce, peut-être le personnage le plus singulier du roman. Chez Guittaut, même la forêt est un personnage, quand elle grouille, enferme, hurle. 
    Tandis que le gendarme Remangeon, erre sans chemin dans les monts de ses sens, disait Rainer-Maria Rilke, dans un bled où tout se sait, où femme et maîtresse négligées préparent leur vengeance contre lui. Où d’autres femmes encore convoitent le beau gendarme baraqué — planquées dans des fermes hors des sentiers battus. 


    Je me flatte depuis un certain temps d’être un des rares à avoir signalé le talent particulier de Pierric dans les scènes érotiques et les personnages de femme. Les premières abondent dans l’Heure du loup, et on ne s’en plaint pas. Les secondes, quatre, sont criantes de vérité. Croyez-moi, l’exercice est délicat. Les auteurs, tant hommes que femmes, sont nombreux à se vautrer en la matière, soit qu’ils se masturbent visiblement, soit qu’ils sombrent dans l’insignifiance, voire la mièvrerie. Pierric sait concocter ce cocktail où l’action physique en cours est inséparable des projections mentales qui lui donnent lieu — dans un parallélisme indispensable. Les dialogues des partenaires amoureux mélangent avec une singulière adresse la réserve, parfois la gêne, la proximité, le désir et la cruauté. 
    Le p’tit frère m’a encore épaté ! 

    L’Heure du loup, Equinox’, Les Arènes, 248 p., 17€.