10.10.12

Vladimir Kozlov, enfin un auteur honnête, 3e partie et fin.

Suite et fin de l'entretien réalisé à Moguilev (Biélorussie) par Sergueï Gribanovski.

(Traduit du russe par TM)



Étant donné que tu travailles et habites à Moscou depuis un certain temps, je me sens dans l’obligation de te demander ce que tu penses de la situation en Biélorussie. J’ai lu une comparaison entre Minsk et Pyongyang, la capitale de la Corée du Nord, dans un livre de Victor Erofeev. Il affirme l’identité absolue de l’ordre existant  en Biélorussie avec celui des états les plus totalitaires de la planète. En tant qu’écrivain de Russie, possédant un passeport moscovite, tu vois tout ça à travers la même lorgnette assez sévère, ou bien ton opinion sur notre pays diffère de celle-là ?
—J’essaie de considérer la situation en Biélorussie d’une façon un peu plus profonde. Une comparaison de ce genre est à mes yeux très stéréotypée. La Biélorussie d’aujourd’hui a de multiples aspects. D’un côté, elle possède un état autoritaire, de l’autre, elle est en quelque sorte intégrée à l’Europe, quoiqu’au plus bas niveau.
Il y a quelques années j’ai appelé le régime biélorusse l’incarnation même du rêve de Mikhaïl Gorbatchev et de la nomenklatura du Kremlin lorsqu’ils ont entrepris la pérestroïka au milieu des années 1980. La seule chose qui manque c’est l'idéologie communiste. Tout le reste a été réalisé : la possibilité d’acheter des marchandises étrangères, acquérir des voitures d’importation, voyager au-delà des frontières (si on se l’autorise). Naturellement, on a conservé des attributs soviétiques : éducation et médecine gratuite. Bien, sûr avec toutes sortes de modifications. Je sais que tout évolue petit à petit, par exemple jusqu’à il y a peu, on pouvait acheter un logement à des prix préférentiels et non aux prix du marché. Toutes ces particularités  créent un mélange curieux, pittoresque de socialisme, de capitalisme et d’autoritarisme.
Cependant, je comprends les Russes qui viennent à Moguilev et qui apprécient ce calme, cette propreté, ce bien-être. Ou bien ceux qui se promènent au centre de Minsk, à présent nettoyé et redécoré.  L’habitant de Moscou vivant à trois stations de la ligne circulaire contemple chaque jour d'immenses foules asiatiques, des ivrognes, des clodos en pagaille, le chaos, les embouteillages. S’il débarque à Minsk, il en a une impression fausse.

Volodia, ressens-tu un problème d’identité ? Comment te considères-tu, un écrivain biélorusse de langue russe, un écrivain russe ou biélorusse ? En effet, tu vis à cheval à la frontière et tu es partagé entre deux mères patries.
Ce n’est pas un problème qui me tourmente beaucoup. Je me qualifie parfois d’écrivain russe, de mec qui écrit en russe. Je dis parfois que je suis écrivain biélorusse/russe, ou l’inverse. En effet, il est impossible de voir ça dans un seul sens. 70% de ce que j’écris concerne la Biélorussie.
D’autre part, je suis souvent confronté à l’opinion selon laquelle on ne peut considérer être un écrivain biélorusse, que si l’on écrit en biélorusse. Je considère qu’il s’agit de pures foutaises. Je crois qu’il est erroné que la littérature non officielle (ne parlons pas de l’officielle) biélorusse soit promotionnée par des auteurs de seconde, voire de troisième catégorie écrivant en biélorusse, et ignorant les auteurs qui écrivent en russe, tout en étant souvent publiés en Russie — j’en connais personnellement un certain nombre. Si on dresse un portrait de la réalité et de la vie contemporaine en Biélorussie, alors quelle importance peut bien avoir la langue dans laquelle on écrit ?
La majorité de la population biélorusse parle russe. Telle est la situation linguistique. En ce domaine, il n’y a rien faire !
Si l’on lançait un processus de « biélorussisation », il faudrait s’y prendre de façon très précise, très lente, pour que les gens soient portés par une impulsion stimulante, et non pas forcés.
Je me souviens qu’au début des années 1990, lorsqu’on nous a dit à l’université que toutes les matières seraient désormais en biélorusse, les gens l’ont accueilli de façon très négative, naturellement. Considérer les gens qui écrivent en russe comme des étrangers, c’est idiot, de mon point de vue.
Pour finir, je te poserai une question sur l’affaire qui scinde la société russe en deux parties opposées, c’est une question qui te concerne et a des rapports avec le punk… Je pense à la prière punk retentissante des Pussy Riot dans l’église moscovite du Saint-Sauveur. Quels commentaires ferais-tu sur cette action en termes artistiques, politiques et autres ?
—Je considère qu’il s’agit d’un développement du punk-rock dans la réalité d’aujourd’hui. Faire des concerts punk était d’actualité dans l’Angleterre des années 1970, et dans l’Amérique du début des années 1980 (Je parle de la scène punk-hard-core). Tout ça, c’est du passé.
Si l’on veut évoluer dans le cadre du punk-rock, il faut entreprendre ce genre d’action. La réaction qui a suivi celle-ci n’est pas adéquate. J'ai appris il y a peu que l’église du Saint-Sauveur n’appartient pas à l’église orthodoxe de Russie. Dans ces conditions, je ne comprends pas les prétentions absurdes qui poussent à juger ce qu’ont fait des gens à cet endroit. D’un autre côté, je vois une grande quantité de gens qui vivent dans des univers différents. Nous vivons dans un seul pays, mais dans des mondes séparés. Il est sans doute impossible d’y échapper. Tout le monde, je veux dire suivant l'appartenance à différents groupes de gens, vit aujourd’hui dans un univers  en rupture avec celui des autres.