27.1.12

Drogues-Actualités : Retour sur Speedy Gonzalez, "Vint" et "Milieu Hostile"

Reparlons des Droits de l'Homme

         FANTASIA CHEZ LES PISTOLEROS
         On a beau râler que le monde moderne est d’une platitude à pleurer d’ennui — à vous faire intégrer un réseau social — l’actualité en réserve parfois de bien bonnes :
          
Les mésaventures de ces kilos de coke auraient fourni une intrigue en or à Donald Westlake !… On rêve (peu charitablement) d’en connaître un jour les tenants (envoyeur) et aboutissants (destinataire). On imagine sans peine la conversation Speedy Gonzalez qui a dû avoir lieu chez les uns et les autres :
         —José, tou né fé que des connéries !… Zé t’avais pourtant dit de freiner sour la sniffetta !…
         —Mais, Jefe, l’adresse, elle était pas bien lisible !…
         Or, comme nous le faisait remarquer ce matin, JF Merle, estimable éditeur chez Omnibus, dans les milieux incriminés (et incriminables), le DRH s’appelle Matador,  et l’avis de licenciement, c’est du 11,43.
Cette affaire a toutefois le mérite (outre l’aspect Comedia dell’arte) de rappeler la banalisation du trafic, la généralisation de l’usage, et l’absurdité de la prohibition, certainement soutenue par les lobbys narcos, comme celle de l’alcool l’était par les sbires d’Al Capone. Comme le soulignait Charles Bowden, auteur de l’excellent Down by the River, Drugs, Murder, and Family (enquête de longue haleine sur les cartels mexicains frontaliers des États-Unis) :
« La manufacture des drogues est une des plus grosses industries du monde qui existe pour deux raisons : ses produits sont excellents, et ses bénéfices sont prodigieux. Aucun État ne mettra fin à une production désirée par des millions de gens, générant annuellement des centaines de milliards de dollars ».
Et moins encore, pourrait-on ajouter, à une époque où l’argent devenu virtuel est confisqué par l’Hyperclasse — le seul argent à circuler, c’est l’argent sale. C’est aussi — à l’heure de la reféodalisation de la planète par l’Empire du Management, pour paraphraser Pierre Legendre, l'un des très rares philosophes contemporains dignes de ce nom, dans La Fabrique de l’homme occidental — une manière de criminaliser une bonne partie du globe terrestre. Foin des Droits de l’Homme aussi encombrants et désuets que l’État-Providence — bien que cosmétiques — on veut des serfs marqués de l’opprobre toxico, nouvelle chair à canon de l’Ère de l’information.

PHARMACOPÉE SANS FRONTIÈRES
Une autre information valant son pesant de cacahuètes, et, hasard objectif, la même semaine, ébouriffait le monde médical, soucieux de restaurer sa « vertu », après les grippe porcine, anthrax, mediator, implants PIP, on en oublie, tellement ça s’accumule. Mais redorer son blason en criant haro sur le drogué, c’est, comment dirais-je, « électoral »  :
Empruntant le vocabulaire atlantiste des agences de notation (entreprendre le lexique de ce langage de la domination serait une tâche surhumaine), les autorités médicales plaçaient le Tramadol sous surveillance négative. Celle-ci se révélait non moins tragi-comique pour votre serviteur. En effet, dans Vint, le Roman noir des drogues en Ukraine (Payot, Documents, 2006, épuisé), j’avais relevé les circonstances dans lesquelles le Tramadol, alors virtuellement  inconnu en Europe occidentale, était utilisé par les toxicos d’Ukraine, privés de leurs poisons favoris par… la Révolution Orange — à l’heure où le pays était dans le collimateur des journalistes étrangers, les drogues, dont le trafic implique tout le monde et en premier lieu les autorités locales, ne circulaient plus. Certes, ce livre, à une époque où l’Est n’intéressait pas encore grand monde, fut un four, à peu d’exceptions près — la plus notable étant la Croix-Rouge française qui finança à la suite de cet ouvrage, l’organisation Club Narcotiques anonymes de Kiev avec laquelle j’avais mené mon enquête. Néanmoins, on eut pu s’attendre à plus d’attention et de curiosité de la part des organismes chargés de la gestion de nos vies d’esclaves dans ses détails les plus intimes. Ou bien, — comme je le remarquais dans le roman Milieu hostile (Baleine, 2011) qui revenait sur le terrain ukrainien des drogues — des intérêts supérieurs, financiers, européens, pharmaceutiques étaient en jeu. La Théorie du complot diront les bien-pensants (un autre terme du lexique dominant, qui prétend supprimer le complot en accusant celui dont les yeux se dessillent de paranoïa — l’opprobre, toujours l’opprobre : drogué, fou, idéaliste). Peut-être, mais en attendant, il s’est fourgué un max de Tramadol, jusqu’au prochain substitut sur lequel on fermera les yeux le temps d’assurer sa rentabilité. Il est notable, du reste, qu’une bonne partie du marché des drogues de rue est désormais consacré à la revente de médicaments. Il suffit de passer au métro Château-Sub (utex) un jour de semaine à l’heure de pointe, pour s’en assurer. Quelle part d’hypocrisie, et de concurrence entre les fabricants des drogues « légales », bénéficiant de ce commerce souterrain, et les fabricants de drogues « illégales », entre en jeu, le verdict appartient au lecteur.
La seule certitude, c’est que depuis toujours l’humanité s’est servie de drogues pour altérer sa perception et en tirer du plaisir, et que la répression n’y a jamais rien changé, entretenant au contraire tant la pègre et ses investissements dans la société civile — que les organes chargés de la répression des stupéfiants, la magistrature, la défense légale, l'administration pénitentiaire (aujourd'hui en partie privatisée), la nomenklatura médicale, etc.
Thierry Marignac, 2012