Reparlons des Droits de l'Homme |
FANTASIA CHEZ LES PISTOLEROS
On a beau râler que le monde moderne est
d’une platitude à pleurer d’ennui — à vous faire intégrer un réseau social — l’actualité en réserve
parfois de bien bonnes :
Les mésaventures de ces kilos de coke auraient fourni une intrigue en or à Donald Westlake !… On rêve (peu charitablement) d’en connaître un jour les tenants (envoyeur) et aboutissants (destinataire). On imagine sans peine la conversation Speedy Gonzalez qui a dû avoir lieu chez les uns et les autres :
—José, tou né fé que
des connéries !… Zé t’avais pourtant dit de freiner sour la
sniffetta !…
—Mais, Jefe, l’adresse, elle était pas
bien lisible !…
Or, comme nous le faisait remarquer ce matin, JF Merle,
estimable éditeur chez Omnibus, dans
les milieux incriminés (et incriminables), le DRH s’appelle Matador, et l’avis de licenciement, c’est du 11,43.
Cette
affaire a toutefois le mérite (outre l’aspect Comedia dell’arte) de rappeler la banalisation du trafic, la
généralisation de l’usage, et l’absurdité de la prohibition, certainement soutenue par les lobbys narcos, comme
celle de l’alcool l’était par les sbires d’Al Capone. Comme le soulignait
Charles Bowden, auteur de l’excellent Down
by the River, Drugs, Murder, and Family (enquête de longue haleine sur
les cartels mexicains frontaliers des États-Unis) :
« La manufacture des drogues est une
des plus grosses industries du monde qui existe pour deux raisons : ses
produits sont excellents, et ses bénéfices sont prodigieux. Aucun État ne
mettra fin à une production désirée par des millions de gens, générant annuellement
des centaines de milliards de dollars ».
Et
moins encore, pourrait-on ajouter, à une époque où l’argent devenu virtuel est
confisqué par l’Hyperclasse — le seul argent à circuler, c’est l’argent sale. C’est aussi — à l’heure de la reféodalisation de la planète par
l’Empire du Management, pour paraphraser Pierre Legendre, l'un des très rares philosophes contemporains dignes de ce nom, dans La Fabrique de l’homme occidental — une
manière de criminaliser une bonne partie du globe terrestre. Foin des Droits de
l’Homme aussi encombrants et désuets que l’État-Providence — bien que
cosmétiques — on veut des serfs marqués de l’opprobre toxico, nouvelle chair à
canon de l’Ère de l’information.
PHARMACOPÉE
SANS FRONTIÈRES
Une
autre information valant son pesant de cacahuètes, et, hasard objectif, la même semaine, ébouriffait le monde médical,
soucieux de restaurer sa « vertu », après les grippe porcine,
anthrax, mediator, implants PIP, on en oublie, tellement ça s’accumule. Mais
redorer son blason en criant haro sur le drogué, c’est, comment dirais-je, « électoral »
:
Empruntant
le vocabulaire atlantiste des agences de notation (entreprendre le lexique de
ce langage de la domination serait une tâche surhumaine), les autorités
médicales plaçaient le Tramadol sous surveillance négative. Celle-ci se
révélait non moins tragi-comique pour votre serviteur. En effet, dans Vint, le Roman noir des drogues en Ukraine
(Payot, Documents, 2006, épuisé),
j’avais relevé les circonstances dans lesquelles le Tramadol, alors virtuellement
inconnu en Europe occidentale, était utilisé par les toxicos d’Ukraine,
privés de leurs poisons favoris par… la Révolution Orange — à l’heure où le
pays était dans le collimateur des journalistes étrangers, les drogues, dont le
trafic implique tout le monde et en premier lieu les autorités locales, ne circulaient
plus. Certes, ce livre, à une époque où l’Est n’intéressait pas encore grand
monde, fut un four, à peu d’exceptions près — la plus notable étant la Croix-Rouge
française qui finança à la suite de cet ouvrage, l’organisation Club Narcotiques anonymes de Kiev avec
laquelle j’avais mené mon enquête. Néanmoins, on eut pu s’attendre à
plus d’attention et de curiosité de la part des organismes chargés de la
gestion de nos vies d’esclaves dans ses détails les plus intimes. Ou bien, —
comme je le remarquais dans le roman Milieu
hostile (Baleine, 2011) qui revenait sur le terrain ukrainien des drogues —
des intérêts supérieurs, financiers, européens, pharmaceutiques étaient en jeu.
La Théorie du complot diront les
bien-pensants (un autre terme du lexique dominant, qui prétend supprimer le
complot en accusant celui dont les yeux se dessillent de paranoïa — l’opprobre,
toujours l’opprobre : drogué, fou, idéaliste). Peut-être, mais en
attendant, il s’est fourgué un max de Tramadol,
jusqu’au prochain substitut sur lequel on fermera les yeux le temps d’assurer
sa rentabilité. Il est notable, du reste, qu’une bonne partie du marché des
drogues de rue est désormais consacré à la revente de médicaments. Il suffit de
passer au métro Château-Sub (utex) un
jour de semaine à l’heure de pointe, pour s’en assurer. Quelle part d’hypocrisie,
et de concurrence entre les fabricants des drogues « légales »,
bénéficiant de ce commerce souterrain, et les fabricants de drogues « illégales »,
entre en jeu, le verdict appartient au lecteur.
La
seule certitude, c’est que depuis toujours l’humanité s’est servie de drogues
pour altérer sa perception et en tirer du plaisir, et que la répression n’y a
jamais rien changé, entretenant au contraire tant la pègre et ses investissements dans la société civile — que les organes
chargés de la répression des stupéfiants, la magistrature, la défense légale, l'administration pénitentiaire (aujourd'hui en partie privatisée), la nomenklatura médicale, etc.
Thierry Marignac, 2012
Thierry Marignac, 2012