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2.2.25

Nostalgie de New York

 


         On raconte ces jours-ci que la police de Houston veut détruire les archives des affaires classées, parce que les rats ont pris goût aux gros stocks de cannabis qu’elle recèle dans ses entrepôts de « preuves », foutant un bordel pas croyable. Un juge du Texas objecte qu’il ne sera plus possible alors de résoudre les « cold cases ». Je ne saurais lui donner tort. C’est dans mes archives que j’ai retrouvé ce matin un numéro de la revue new-yorkaise défunte il y a des lustres « The Portable Lower East Side », dont le thème était « Chemical City » — la came. On y trouve des textes d’Allen Ginsberg et de Bruce Benderson. Mais je cherchais une autre friandise : des extraits du « Livre de Caïn » d’Alexander Trocchi, junkie de légende. Je l’avais décrit ainsi dans « Photos passées », mon « autobiographie en sourdine » :

         « Michel Bulteau, un temps mon éditeur chez Le Rocher m’avait parlé de Trocchi qu’il avait connu à Londres sur le tard : vendant pour survivre de vieux bouquins au marché de Portobello Road dans une charrette, édenté, sans femme, sans le sou, cherchant au soir dans la bière des pubs ce qu’il avait connu autrefois dans l’héroïne indochinoise, après avoir glané sa maigre manne… Nos princes ont des fins misérables. C’est avec lui que Debord avait dérivé dans le Londres dantesque des années 1950, les docks d’après-guerre au bord de la Tamise… »

         Voici donc ci-dessous un exemple de prose échevelée, fragments de poésie lettriste, d’interrogations vitales, de retraits hautains :

 


         (Traduit de l’anglais par Thierry Marignac, insoucieux de la traduction officielle)

         Le Livre de Caïn

Ma péniche est amarrée à Flushing, New York, le long du débarcadère de la Mac Asphalt and Construction Corporation. Il est tout juste cinq heures passées. Aujourd’hui, en cette saison, c’est toujours l’après-midi et le soleil frappant les parpaings du bâtiment principal, les a rendus roses. Les grues à moteur et les ponts des autres péniches sont déserts.

         Je me suis fait une piquouse, il y a une demi-heure.

J’ai mis l’aiguille et la seringue dans un verre d’eau froide et me suis allongé sur la couchette. J’ai eu le vertige presque tout de suite. C’est de la bonne came, pas comme ce qu’on a eu ces derniers temps. Il fallait que je sois prudent. Deux travailleurs en grande salopette bleue et casquettes de base-ball traînaient encore aux alentours. Ils traversaient ma passerelle de temps en temps. Ils étaient soupçonneux. Ils avaient entendu le bruit de la machine à écrire dans l’après-midi et c’était suffisant pour éveiller leur curiosité. Pour un capitaine de péniche, transporter une machine à écrire, c’est inhabituel. Ils sont restés un moment, à bavarder juste devant la cabine. Je les ai entendu retourner sur le dock et s’éloigner.

Allongé sur la couchette, attentif au silence soudain qui est tombé sur le canal, j’entends un bourdonnement de mouche et je remarque qu’elle farfouille le cadavre desséché d’une autre mouche à moitié empalée sur une planche de la cloison. Je me pose des questions là-dessus, puis mon attention est détournée par autre chose. Il s’est passé quelques minutes. J’entends la mouche bourdonner à nouveau et je vois qu’elle est encore au boulot, quel qu’il soit, installée sur la patte rigidifiée et saillante du cadavre. La patte sort du point noir comme un soudain battement de cils. La mouche vivante est affairée. Je me demande si c’est du sang qu’elle cherche, si les mouches mangent les leurs comme les rats ou les loups.



 

Caïn dans ses oraisons, Narcisse dans son miroir.

Sous l’influence de l’héroïne, l’esprit échappe à la perception ordinaire ; on n’est plus conscient que des contenus. Mais toute cette façon de poser la question, de diviser l’esprit et ce dont il est conscient est infructueuse. Non que les objets de la perception soient intrusifs de manière électrique comme ça arrive avec la mescaline ou l’acide lysergique, non que les choses frappent avec plus d’intensité, de ravissement ou de détail comme j’en ai parfois fait l’expérience avec la marijuana ; c’est que la perception se tourne vers l’intérieur, les paupières s’affaissent, le sang est conscient de lui-même, une lente phosphorescence de la chair, des nerfs et des os ; c’est que l’organisme a la sensation d’être intact et incassable, et, plus que tout inviolable. Pour définir l’attitude née de cette sensation d’inviolabilité, certains Américains utilisent le mot « cool ».

Le soir est tombé maintenant, la température a baissé, les objets grossissent ensemble dans la pénombre de la cabine. Dans quelques instants, je me lèverai et j’allumerai mes lampes à kérosène.



 

Qu’est-ce que je fous ici ?

À certains moments, je me surprends à considérer que ma vie entière mène à cet instant, le présent étant tout ce que j’ai à affirmer. Il est en quelque sorte indigne de parler du passé ou de penser au futur, je ne m’occupe pas sérieusement de cette question dans « l’ici-maintenant », allongé sur ma couchette, sous l’influence de l’héroïne, inviolable. C’est une des vertus de cette drogue de vider ce genre de questions de toute angoisse, de les transporter ailleurs, dans une région théorique indolore, une région de jeu, surprenante, fertile et amorale. On cesse d’être grotesquement impliqué dans le devenir. On est, tout simplement. Je me souviens avoir dit à Sébastian avant qu’il ne rentre en Europe avec sa nouvelle femme qu’il était impératif aussi de savoir ce que c’est que d’être un légume.

… Cette sensation illusoire d’adéquation induite chez l’homme par la drogue. Illusoire ? Est-ce qu’une… « donnée » pourrait être fausse ? Inadéquate ? En relation avec quoi ? Les faits ? Quels faits ? Les faits marxistes ? Les faits freudiens ? les faits mendéliens ? De plus en plus, je trouve nécessaire de suspendre ces faits, d’exister en suspens, de s’abandonner (si on peut), et d’arriver nu à la simple appréhension.

Il n’est pas possible d’arriver tout à fait nu à l’appréhension et pendant l’année écoulée, j’ai trouvé difficile de soutenir cette attitude, même de façon approximative, sans came, cheval, héroïne. Les détails, impressionnistes, lyriques. La fascination des sensations minute par minute m’a saisi et quand je réfléchissais, je le faisais d’une manière si répétitive et épuisante (souvent avec la marijuana) sur la texture dépourvue de sens des instants présents, les cris des mouettes, une souche flottante, un rayon de soleil, et la sensation de solitude me submergeait bientôt me vidant de tout espoir d’entrer un jour dans la ville avec ses relations complexes, son plexus d’outrageuses résolutions.

Les faits. Coller aux faits. Un excellent principe empirique, mais au-dessous de la surface du langage, les faits s’éloignent en glissant comme de la lave. Il n’y avait pas non plus un seul acte, je ne pouvais rétrospectivement isoler une chose pareille. Même lorsque je vivais mon acte, à chaque phase, après la décision, il se développait spontanément, de manière effrayante, dangereusement, parfois comme une maladie qui se déchaîne, parfois comme la lumière croissante du soleil le matin, et je trouve difficile de m’en souvenir et d’exprimer, si de temps en temps les mots bondissent de la page, soudains, artificiels, troubles squelettes qui tintent, m’accusent et m’amusent avec leurs secousses obscènes, rendant le monde fou, je suppose que c’est parce qu’ils prennent une sorte de revanche ancestrale sur moi, prêt à chaque instant à les rassembler à nouveau pour la mort ou la résurrection. Aucun doute, je continuerai à écrire trébuchant à travers des toundras de non-sens, plantant des mots comme des fanions rouges dans mon sillage. Frontières indécises, phénomènes sans rapports, mutations, voyages cauchemardesques, villes visitées et quittées, retrouvailles, désertions, trahisons, toutes sortes d’unions, d’adultères, de triomphes de défaites… Tels sont les faits. Il est un fait qu’en Amérique j’avais constaté que jamais rien n’était en suspens. Les choses bougeaient ou bien elles étaient subversives. Je suppose que c’était pour y échapper sans m’en aller, battre en retraite dans le « en suspens », que je m’étais bientôt retrouvé sur cette péniche. (Alternatives : prison, asile de fous, morgue.)

Je me lève de la couchette et je retourne à la table où j’allume une lampe à huile. Lorsque j’ai ajusté la mèche, je me retrouve encore à fouiller dans une pile de notes. Je la tiens près de la lampe et je lis.





 

Le temps sur les péniches…

Jour et nuit ne sont vite devenus pour moi qu’ombre et lumière, jour ou lumière de la lampe à huile, et souvent la lampe devenait pâle et transparente dans les longues aurores. C’était la chaleur du soleil sur ma joue et ma main par le hublot qui m’obligeaient à me lever et sortir pour voir le soleil déjà très haut et les gratte-ciels de Manhattan, soudainement, brutalement, et absurdement nimbés d’un halo de chaleur. Et quant à l’extravagance… Je me demandais souvent jusqu’où pouvait aller un homme sans être oblitéré. C’est une façon oblique de contempler Manhattan, la voir dans son île pendant des jours entiers de l’autre côté de l’eau protectrice comme un petit mirage où l’on n’est pas impliqué, puisque de temps à autre, je savais objectivement et avec anxiété comme un nœud de faits indéniables, que c’était ma condition.

Morphine Monoject


 

Je me retrouve à faire gicler un mince filet d’eau de la seringue par l’aiguille n°26 dans l’atmosphère en me préparant une nouvelle piquouse, poussant le coton durci dans la cuillère en ébullition… Une simple petite piquouse, me semble-t-il, suffirait à recréer les murailles éparses de mon Jéricho.

Alexander Trocchi, 1960.

23.7.19

Le Cimetière des plaisirs de Jérôme Leroy


© Liberatore
         REDOUTABLE ÉCOLE DE LA SENSUALITÉ

         EXERGUES
« …Quelle époque extra-terrestre ce fut, enfer ou paradis, quand Elena m’a quitté en février 1976. Ô Seigneur comme je suis heureux d’avoir vécu pareil moment et ce terrible malheur…
         Époque d’un cœur dépouillé ! L’air était étrange, brûlait comme l’alcool, avec des monstres qui rugissaient alentour et un complot général de la nature contre moi (…)
         Combien d’observations invraisemblables, combien d’expériences cauchemardesques ! (…)
         Et maintenant que je voudrais connaître le même état, impossible, impossible hélas. Une telle vision n’est permise que dans un épouvantable malheur, une seule fois, et un tel état n’avoisine que la mort. »
         « Edward Limonov, Journal d’un raté, Albin Michel, 1982, traduit par Antoine Pingaud.

         "Il y a une trentaine d’années, je me réveillai par un matin de fin d’hiver, mes préférés, grisaille amicale et fraîcheur, assez banalement vers 8 h 30. Après avoir confectionné dans une cafetière italienne de contrefaçon arabe achetée à la Goutte-d’Or toute proche un jus carabiné, j’entrepris ma gymnastique matinale au bâton, un manche à balai tenu à bout de bras dont les circonvolutions permettent de se tordre dans tous les sens. Pour rythmer les exercices, j’avais mis sur le magnétophone à cassettes, une bande de Katonoma, un groupe de rock français à la mode, trop affecté et arty à mon goût, mais dont le morceau Billy the Kid, par exemple, avait une ambiance hypnotique avec ses anachronismes, ses parasites sonores : Radio, Radio… With the sherif’s posse after him…
         Puis, je me mis au travail sur le recueil de nouvelles de Bruce Benderson New York Rage, dont chaque récit était une bombe à fragmentation, vignettes éclatées d’un Times Square disparu, à la scansion hachée, télescopages de l’anglais Nuyorican et des accélérés cocaïnomanes…
         Vers treize heures, je levai le nez de ma traduction, j’avais faim. Et je m’aperçus que pas une seule fois depuis mon réveil, je n’avais pensé à elle.
         Sans avoir eu besoin de me pendre, ou de m’engager dans la Bandera,  j’étais libre.
         Quelque temps plus tôt, Michel Bulteau, un vétéran que nous fréquentions à l’époque, Jérôme Leroy et moi aux éditions du Rocher, m’avait dit : « Y’en a marre des désespérés de l’amour… »
         (Thierry Marignac, écrits posthumes, 2019).
© Bill Térébenthine


         LES DÉSESPOIRS SONT PRÉSOMPTUEUX
         Si j’avais lu à l’époque Le Cimetière des plaisirs de Jérôme Leroy, j’aurais guéri plus tôt. En effet, loin de se complaire dans le ressassement pathologique, cette chronique d’un chagrin d’amour transcende le genre en s’élevant dans un envol d’une grâce inédite aux échos d’absolu. De ces livres dont on a envie de citer une phrase sur deux, tant elles sont à graver dans le marbre. Ceux dont le caractère d’intimité, loin d’être une cause de gêne, devient une occasion de transport. Combien de querelles inutiles eussions-nous évité si j’avais lu ça en temps et en heure !… Je lui aurais pardonné pour toujours son communisme balnéaire. Parce que notre héros y fait montre de sa bravoure, de sa capacité de rupture. Le souvenir que j’ai de Jérôme à l’époque parle effectivement d’un type brisé par une histoire virée à l’aigre s’exilant dans le Nord de la France pour y accomplir un boulot de prof dans une banlieue de Lille. C’était un choix dont j’appréciais la modestie en tout premier lieu sans en connaître les affres. J’avais vu un type sapé mylord assez raide, visiblement marqué, maigre comme un clou. Dans la bouillie néo-hussard du Rocher 1990, la radicalité d’opter pour un boulot obscur dans une métropole de la pluie m’avait toutefois impressionné. Je twistais entre un XVIIIe de zonard, aux ruelles en embuscade et la Rive Gauche des éditeurs où ma spontanéité passait mal. Ce mec-là avait au moins le courage dont les rues grises m’enseignaient la valeur.
        
         LA SONNERIE DÉSUÈTE D’UN TRAMWAY
         Un Jérôme Leroy que je découvre trente ans plus tard possède ici l’élégance du gentleman énumérant avec patience et minutieusement les hasards objectifs, reflets de sa douleur aux éclats universels, dans la déchéance d’une Phrance qui pourrit de l’intérieur, de « L’Europe Nouvelle » et ses lendemains radieux aux avant-goûts d’horreur cybernétique — plutôt qu’une névrose d’absence de l’objet d’adoration. Il en parle souvent, La jeune femme blonde, mais déjà à distance, en cure de désintoxication. Et si loin qu’on puisse être de ses parti-pris, on se souvient avec ferveur de tous les moments où, comme lui, on souhaitait parfois inconsidérément — le présent de la domination le prouve, l'inversion des valeurs n'annule pas l'oppression — la ruine de tout ce qui avait précédé, parfois pour les mêmes raisons que lui : une garce nous avait rappelé à l’ordre éternel des choses.

         PUTSCH DE LA DÉSILLUSION
         Les moyens de notre héros pour décrocher de la belle blonde enfuie ont leurs effets secondaires : les auteurs à maximes, les antidépresseurs (notamment l’Ordinator à l’effet analogue, mais pas identique, aux amphétamines, dont j’avais volontairement abusé avant d’aller aux trois jours à la caserne de Vincennes en 1979), l’alcool, les filles de rencontre, les aphorismes de La Rochefoucauld, Chamfort, Cioran, Perros, de Roux, le sillage de fantasmagories sur les belles étrangères… Aussi toxicomane dans la rupture que dans la peine, notre héros se voue à de nouvelles malédictions d’accoutumance.
         Et tout ça se résumait à rien, les filles de rencontre s’estompaient, les belles étrangères étaient amnésiques, les anti-dépresseurs et la gnôle, les virées en bagnole, la révolte intérieure… laissaient un goût de cendres.
         Seule, la métropole de la pluie, où notre héros vit aujourd’hui encore, malgré ses habits neufs « Europe Nouvelle » semblait tenir le coup.
         « Et nous n’aurons plus jamais la pâleur en partage. »

         Tous les titres et intertitres sont tirés du Cimetière des plaisirs, la Table Ronde, Petite Vermillon, 7, 30 €.

         TM, 2019.

5.5.17

Le flamenco des gosiers secs

         LA SOIF, DE PIERRE-FRANÇOIS MOREAU
         En cette heure solennelle où se joue par-dessus nos têtes notre destin de paumés, je vous invite gravement sur un des rares blogs où l’on parle pas des douteux personnages que vous savez, dans l’entreprise que vous savez visant à nous dépouiller de la moindre parcelle de dignité, sans parler de nos maigres picaillons grâce au maraboutage de la fonction suprême.
         C’est donc dans un but ultra-subversif de distraction d’une bacchanale de bêtise concentrée où personne ne reste sobre que j’aurai l’honneur aujourd’hui de vous parler du polar plein d’humour grinçant de mon ami Pierre-François Moreau, LA SOIF (MANUFACTURE DE LIVRES), et de son auteur.
         Pierre-François Moreau est mon plus ancien copain vivant, auquel je vais rendre ce mauvais service — vu mon exécrable réputation dans le milieu du polar. Depuis combien de temps on se connaît ? C’est classé secret défense pour garder un semblant de prestige auprès des lectrices en pâmoison devant nos allures juvéniles, et notre style qui n’a pas pris une ride.
         Dans notre lointaine jeunesse, nous avons imaginé ensemble un nombre pharamineux de plans d’enfer, destinés à faire fortune la semaine suivante. S’ils n’ont pas été couronnés de succès, c’est la faute à la société. Ensemble, nous sommes devenus pigistes à Libération, avant d’être écartés pour ironie déviationniste. Ensemble, nous avons fait connaissance avec Édouard Limonov, le dissident punk, un matin grisant de mars 1981, dans un petit studio de la Rue des Archives. Ensemble, nous avons zappé la Radio Libre mort-née qui nous avait commandé l’interview pour la fourguer chez Actuel et commencer là-bas une carrière de pigistes. Ensemble, nous avons créé Acte Gratuit, revue gratuite, sponsorisée par des annonces de coiffeuses et de marchands de chaussures, illustrée par les photos de feu Serge Van Poucke photographe de mode promis à un grand avenir et disparu prématurément. Dans ses pages, on publiait nos textes et ceux des écrivains Hervé Prudon, Limonov, Christian Vilà, et même une nouvelle alors inédite de Dashiell Hammett, piquée dans un recueil pirate que je fourguais aux libraires en mobylette. Ensemble, nous avons traversé l’épopée de l’éphémère magazine Zoulou.
         Pierre-François s’est ensuite beaucoup trop consacré à la presse écrite pour avoir le temps d’une production littéraire intensive. À noter tout de même, ses mémoires d’une enfance algérienne, Les Mal-Passés (éditions Jean-Paul Rocher), du nom d’un barrage dans la région de Fréjus (dont la rupture fut une catastrophe nationale en décembre 1959 Malpasset), résumant dans un faux rythme émouvant de questions de mômes, d’émerveillement face au soleil, et de pressentiment de l’arrachement à venir, tout le malaise d’une guerre qui ne disait pas son nom. À noter aussi ses éblouissantes chroniques sarcastiques, Vertige de l’inaction, ou la dérive parisienne d’un auteur qui s’entête à écrire Le Manifeste irréaliste, et le désopilant Théorème des bonnes intentions, dont le héros s’évertue à démêler les paradoxes de la bonté affichée dans les salons en vue d’une recherche encyclopédique destinée au CNRS.

         Avec La Soif, mon vieux copain a changé de registre, sans perdre son œil perçant, ni sa verve. C’est sur une terre écrasée de soleil qu’il a trouvé l’inspiration de ce polar drôle et tragique, à l’intrigue originale. Les exégètes freudiens en tireront les conclusions qui s’imposent dans l’appareil critique de La Pléïade. Quelque part du côté de Gibraltar, dans un bled paumé où même les chiens andalous tirent la langue, à proximité du Maroc et du flux ininterrompu de cannabis, on suit un pharmacien sans aucun rapport avec le quinqua plein aux as aux avis énigmatiques, cupide et pointilleux sur vos ordonnances, dont vous avez l’habitude au coin de la rue. Non, il s’agit d’une brute sous psychotropes qui déteste sa boutique, torturé par l’envie de boire toute la sainte journée, jusqu’à ce que sonne l’heure de la première bière. Oui, mais une colique endémique ravage le bled, et personne ne sait d’où elle vient,  puisque tout le monde boit de l’eau minérale. Notre pharmacien fourgue de l’imodium, en pensant que pour dix-huit heures — il a une caisse de San Miguel au frais, il ne risque pas la tourista. On accuse le climat.
         Notre bled paumé compte, outre ses ploucs locaux, tous plus défoncés les uns que les autres, un certain nombre de parrains mafieux attirés par le trafic régional, Colombiens en délicatesse sur leur terre natale, Marocains sur place pour veiller au grain, Russes en quête d’investissement, Napolitains favorables à la coopération des pays méditerranéens. Tous ces entrepreneurs ont en commun un problème contemporain annonciateur de manque à gagner : la probable  légalisation du cannabis, cherchant par avance à s’assurer la pénétration et le monopole du fructueux commerce légal à venir. Il s’ensuit quelques escarmouches et des réunions au sommet, rassemblant nos gestionnaires.
         Sur ces entrefaites, survient un enquêteur du service des eaux venu pour tirer au clair la dégradation de la qualité de la flotte. Et c’est là que le bled chauffé à blanc entre en fusion. Personne ne prend ce mec pour ce qu’il est : un clampin fonctionnaire, parachuté pour vérifier les bouteilles de Vittel. La pègre internationale et les ploucs hallucinent en lui le long bras d’Europol.
         Et Pierre-François Moreau nous entraîne avec brio dans un maelstrom de quiproquos, de malentendus, de paranoïa et d’embrouilles, sous un soleil de plomb, dans une veine picaresque que n’aurait pas renié un Westlake.
         La classe. C’est pas donné à tout le monde de concocter un tel cocktail Molotov pour apaiser sa Soif.
À VOIR: https://m.youtube.com/watch?v=aYorFO21BXA
TM, mai 2017.

         

27.11.16

L'interview Gazprom de Thierry Marignac (!).

http://www.gazprom.ru/press/journal/archive/2016/

Au lien ci-dessus, pour les lecteurs russophones, la preuve de ma collusion avec les grosses corporations capitalistes internationales, et légèrement infiltrées, avec une interview de votre serviteur, page 52, du numéro d'octobre. N'ayant jamais caché à quel point j'accueille avec plaisir toutes les propositions de corruption, malheureusement très rares (ce qui est un peu blessant, quoi, me corrompre n'intéresse personne ? Je suis un zéro, dites-le tout de suite ?…) je n'ai pas grand-chose à ajouter, sinon que ma facture de gaz n'a pas diminué, mes relations, hélas, avec le géant de l'énergie restent platoniques. Il a même fallu que je retraduise l'interview dans l'autre sens moi-même.


photo© Annie Assouline
AFFAIRES ÉTRANGÈRES
La nouvelle était tombée un soir sinistre de la fin octobre sur les crépitants télex des agences du monde entier, on s’émouvait à Washington, comment l’omniprésente NSA avait-elle pu laisser passer le scoop sous l’œil vigilant de ses antennes planétaires, encore un coup de Snowden, le bureau politique du PCF hésitait, fallait-il soutenir ou condamner, est-ce que quelqu’un avait encore le numéro de la Loubianka[1], le PS pesait les mots de sa motion de censure, faudrait pas qu’on nous coupe le gaz, les Républicains cherchaient frénétiquement des éléments de langage partout dans leurs locaux, en se demandant combien j’avais touché, putain on perd de l'oseille, au FN on attendait la réaction de Donald Trump, les Verts appelaient au boycott: 
Thierry Marignac était interviewé dans le magazine corporatif de la firme Gazprom, par Vladislav Korneytchouk du service culture !…
Au bout de quelques heures attaché au radiateur, on finit par trouver le temps long, avec pour seule compagnie les joyeux drilles de la Direction du Renseignement Militaire. Je finis par cracher le morceau en échange d’un double Blair Athol, le single malt du colonel G… et d’un mini cigarillo silver de chez Davidoff, une maison russe blanche : c’est Vladimir Kozlov, lui-même interviewé dans ce magazine à la fin août, qui m’avait plongé dans cette mouise. J’ai des excuses de m’être mis à table : Quand Kozlov a écrit Guerre récemment paru dans la Collection Zapoï de la Manufacture des Livres, fondé sur l’affaire des « Partisans du Pacifique » (un groupe d’activistes de Sibérie passé à la lutte armée en 2010, et démantelé la même année), mon dossier à la Loubianka avait gonflé de cinq pages. Oui parce que Limonov, il n’en fera jamais d’autres, avait annoncé sur son blog l’année précédente que j’écrirais un roman sur cette histoire, mettant fin à mes rêves de traduction grassement payée avec des hommes d’affaires moscovites qui n’ont plus jamais répondu à mes coups de fil. Qui pouvait croire, dans la paranoïa ambiante, sachant que Kozlov et Limonov ne se connaissent pas, que je n’y étais pour rien, que c’était, je vous jure monsieur le Procureur, une pure coïncidence ?… Ah, quand les amis s’en mêlent…
Il faut, disait feu Karl Marx « rendre la honte plus honteuse encore en la livrant à la publicité ». Je vous livrerai donc de larges extraits de l’ITW Gazprom, on me pardonnera mes fautes de frappes, dues à mon bracelet électronique :


La fête qui n’existe plus
Q : Monsieur Marignac, vous avez dit dans une interview (au site russe Métropole) « …je ne vis plus en France où pratiquement tout me dégoûte », où vivez-vous donc à présent ?
R : À cette heureuse époque je vivais en Belgique. Quel soulagement de vivre à l’étranger d’où les échos du pays natal ne vous parviennent que de loin. L’américanisation assez récente de la France me l’a rendue très pénible. Je connais assez bien l’Amérique où j’ai passé pas mal de temps, j’ai traduit des dizaines de romans américains, et j’ai des relations là-bas, jusqu’à aujourd’hui… Mais pour un type de ma génération, grandi sous De Gaulle, c’est navrant de voir que des modes new-yorkaises vieilles de quelques décennies font fureur ici. Paris mon premier amour, je ne te reconnais plus, tu es une étrangère. Je vis maintenant en France, mais pas pour longtemps.
Q : En Russie, il est difficile de se représenter ce que signifie l’américanisation de Paris, et ce qui a changé en France depuis De Gaulle.
R : La mondialisation est à un certain degré une américanisation de la planète — processus à l’œuvre sur toute la terre. Entre le Paris de mon enfance et celui d’aujourd’hui, la différence est frappante, comme entre le Moscou soviet et celui d'aujourd'hui. À l’époque les Parisiens n’étaient pas tous managers, avocats ou agents immobiliers, et la ville avait son atmosphère spécifique… La ville qu’avait aimé Hemingway vivait encore. Mais comme il arrive fréquemment, on a viré la population d'origine, importé des provinciaux pleins aux as, et on a eu le Manhattan universel !… Ce qui est le cas de la plupart des capitales du monde, de nos jours. La ville à vendre a remplacé la ville à vivre. Une publicité sur deux est écrite en globbish, et un gusse sur deux glose sur la situation à Wall Street.
Q : On voit bien, en lisant Last exit to Brooklyn et Requiem for a Dream du Hubert Selby Jr. qu’aux Etats-Unis tout n’est pas rose. Et pourtant les Russes des années 1980 voulait devenir américains ! Selon moi, c’est qu’ils étaient fatigués de la propagande collectiviste et que l’individualisme transmis d’Outre-Atlantique les séduisait, chacun pour soi, et on fait ce qu’on veut. Sans compter l’emballage glamour, bien entendu…
R : J’ai publié Selby il y a vingt-cinq ans dans l’anthologie de nouvelles  Jungles d’Amérique, dont j’étais l’éditeur. Il regardait droit dans les profondeurs du cauchemar américain. Merci Mister Selby, vous nous avez donné un tableau saisissant ! On peut comparer Last Exit… avec la pièce de Gorki Les Bas-Fonds et avec le roman de Dostoïevski Crime et Châtiment. Seul le style de l’exposé diffère. Selby avait un talent rare : son style était sans fioritures, mais on le sent passer comme un crochet du gauche.
(…)
Q : Il se peut que je fasse erreur mais il me semble qu’en France on sait que peu de choses sur la Russie. J’ai séjourné dans votre pays et d’autres de l’UE assez souvent. J’ai parlé avec toutes sortes de gens. Et j’ai souvent eu l’impression que malgré notre voisinage géographique (nous somme plus proches de l’UE que l’Australie ou le Chili), l’intérêt pour la Russie est minime, beaucoup moins grand, en tout cas que pour l'Australie. Ne serait-ce pas parce que en Europe, même chez les gens qui ont lu Tolstoï et écouté Tchaïkovski domine une idée préconçue sur la Russie ? Quelque chose du genre : il ne peut rien y avoir de bien en Russie,  c’est un peuple mauvais, sauvage…
R : Le monde anglo-saxon a gagné, en se servant de tas de moyens, y compris la langue, et a obligé tout le monde à adopter ses règles et sa morale. Sans parler d'Hollywood, la plus formidable machine de propagande de toute l'Histoire. L’empire américain — c’est la victoire finale de l’empire britannique, sa domination définitive sur un continent insoumis, l'Europe, qu'il n'avait jamais réussi à conquérir. L’une des directions principales de la propagande américaine est la russophobie. La langue est complexe, sa culture est peu accessible, on peut donc facilement fabriquer des mythes bon marché sur l’instinct prédateur russe. Les Français savent peu de choses sur la Russie — les Français sont sous le robinet anglo-saxon du matin au soir.
(…)
Mais il y a de l’espoir. La Russie s’est rapprochée de nous. Enfin quelque chose de positif à dire sur la mondialisation !…
Q : Que pensez-vous de la Beat Generation de leurs œuvres, et en particulier de Kérouac ?
Publicité pour la méthamphétamine, peu avant le IIIe Reich.

R : On a beaucoup surestimé l’importance des Beat. L’époque voulait ça. Il n’y avait qu’un seul génie chez eux : William Burroughs.  Son Festin Nu est passé dans la littérature mondiale, comme une vision prophétique du cauchemar contemporain.
Je n’ai jamais aimé Kérouac. Il était bidon. Son style a beaucoup vieilli et ses maniérismes sont des trucs de mauvais prestidigitateur. Il vaut mieux lire Le Livre de Caïn d’Alexander Trocchi[2]. Voilà un véritable vagabond, à l’écriture brillante, un véritable poète maudit mort dans la misère.
Q : Selon ce que vous dites, Le Festin Nu  est un avant-goût du cauchemar contemporain. Se peut-il que les années 1950 aient été moins horribles que les années 2010 ?
R : Le début de la course aux armements entre l’URSS et les Etats-Unis, était une forme de cauchemar. Internet, une création de l’armée américaine, prolonge ce cauchemar. Concevoir le monde après les camps nazis et la bombe atomique a fait payer un lourd tribut aux écrivains. Un tel sentiment peut pousser un véritable artiste jusqu’au bord de l’abîme. Comportement asocial, habitudes destructrices, maladie mentale… D’après ce que je sais, Selby est mort dans la misère, Philip K. Dick flirtait avec la folie, et cette liste peut être rallongée.
Q : Qu’est-ce qui distingue d’après vous les véritables artistes des autres ?
R : Les premiers ne s’intéressent qu’à l’art, pas au succès commercial, qui dépend de beaucoup de choses, et fréquemment des relations qu’on entretient dans le milieu. Personnellement, je n’ai jamais pensé qu’aux livres par eux-mêmes. Seul leur contenu m’intéressait. Voilà mon défaut principal et aveuglant ! Ma naïveté ! Je suis sans doute cinglé. Mais je travaille comme traducteur dans une firme d’import-export, alors je m’en fous.
Q : Dans l’arsenal légal de la Russie et dans celui d’autres pays, on limite l’accès à certains livres par âge : interdit au moins de 16, 18 ans. Il existe aussi des textes tout simplement interdits. Vous avez parlé du Livre de Caïn, mais sa publication en Russie a rencontré certaines difficultés. Quoique cette littérature ne bénéficie que de tirages misérables. Qu’en pensez-vous, doit-on limiter l’accès à certains livres ou même les interdire ?
R : En Union Soviétique on a interdit toute une série de textes, ce qui n’a fait qu’augmenter leur popularité. La Contreculture est devenue l’arme principale des ennemis de l’URSS, bien plus efficace que l’armée américaine. Il est curieux qu’un État contemporain se serve d’un moyen aussi primitif que la censure, alors qu’à l’ère d’Internet tout est accessible.
En Occident aussi on se sert de la censure, mais en sens inverse : toute violation de l’idéologie politcorrecte est menacée de répression. Du coup, plus personne ne croit à la propagande des mass-media et de l’État. On peut donc en déduire que nous sommes dans une forme de totalitarisme moderne et que les gens, comme toujours, cherchent des sources alternatives de culture et d’information. Les tirages et les ventes d'auteurs tels que Trocchi seront toujours misérables. Comme me disait un ami éditeur dans une grande maison d'édition: "Thierry, tu es un auteur culte, ça veut dire prestigieux qui vend que dalle".
Black Dragons, gang de bikers noirs de San Francisco des années 1960 .

(…)
J’ai vécu assez tôt dans la rue au cours de mon adolescence, et ce que j’y ai vu était beaucoup plus effrayant que ce qu’on lit dans les livres.
Q : Racontez-nous pourquoi vous traduisez et faites publier tel ou tel auteur. D’après vos interviews, par exemple, vous avez traduit Racailles de Vladimir Kozlov parce que la couverture vous avait accroché. C’est vraiment si simple ?
R : Je dois m’excuser auprès des lecteurs, je suppose que je vais les décevoir, mais mon choix d’auteurs — américains ou russes — a dépendu assez souvent de mes intuitions. Couverture ou autre chose… Fidèle aux surréalistes, qui comptent bien plus pour moi que les Beat, je crois au hasard objectif.
(…).
Q : Que pensez-vous de la littérature russe contemporaine ? Y-a-t-il d’après vous de vrais artistes en Russie ?
R : Je ne suis pas expert, je déteste les experts. Comme ce qu’on aime faire devient ennuyeux dès qu’on est expert ! La littérature russe contemporaine est un sujet immense. Que je connais mal. Par nature, je n’aime pas les post-modernistes. Limonov ne compte pas, il est d’une autre génération. Je pense que Vladimir Kozlov et Zakhar Prilepine  sont de véritables artistes. Mais, une nouvelle fois, qui suis-je pour juger d’un espace aussi démesuré que la littérature russe contemporaine ? J’aime traduire les poètes, Sergueï Tchoudakov, Sergueï Essenine, Boris Ryjii, Natalia Medvedeva, Édouard Limonov, Lioubov Molodenkova, mais en tant qu’amateur, ami fortuit de leur œuvre.
Q : Quoi qu’il en soit, un recueil de vos traductions de Tchoudakov, Medvedeva et Essenine est paru en France il y a trois ans (Des Chansons pour les sirènes). Que pensez-vous de la littérature française contemporaine ? Des auteurs qui sont populaires, ici, Houellebecque et Begdeiber ?
R : La littérature française ? Qu’est-ce que c’est ? Vous l’avez vue où ? Vous pensez qu’elle est vivante ? Première nouvelle ! La plupart du temps, il s’agit d’un narcissisme débile. J’ai du respect pour mes amis, ils ne sont pas mes amis par hasard : Jérôme Leroy, Pierric Guittaut, Christopher Gérard, Gérard Guégan. Je doute que vous en ayez entendu parler. Ils ne sont pas traduits en russe, malheureusement.
En ce qui concerne les deux auteurs (créatures publicitaires de bas étage, d'une espèce cousine du coléoptère) que vous avez cité, je méprise l'étalage de leur complaisance. Les deux sont nés dans le milieu qui leur donnerait l’accès à l’édition et aux ventes, leur succès est extrêmement suspect. Ils incarnent la faiblesse de l’Occident. C’est une bonne recette pour vendre, du racolage. L’identification du lecteur : c’est un crétin faiblard, comme moi !
Q : Pourquoi vous êtes-vous intéressé au poète de l’Oural Boris Ryjii que vous avez traduit ? Ses vers ? Son destin ? Y-a-t-il une édition française de ses vers ?
R : Encore une coïncidence. Mon amie écrivain, traductrice, et poétesse Kira Sapguir (veuve du grand poète Henri Sapguir) m’a fait connaître son œuvre. J’écoute toujours ce qu’elle dit. Lorsque j’ai lu les vers de Boris Ryjii sa poésie m'a frappé par sa puissance d’évocation. Ensuite, on m’a invité à Ekaterinbourg. J’ai parlé avec la sœur de Ryjii et d’autres. Comme toujours, l’hospitalité de votre peuple m’a touché profondément. Je m’efforce de faire publier en France les poèmes de Ryjii.
(…)
Q : Le trompettiste Chet Baker a répondu, soucieux, à la question : « Est-il difficile de jouer de la musique ? », « C’est un labeur épuisant ». Il me semble qu’écrire de la prose, c’est très difficile, un gros labeur. Ou bien quelqu’un de talentueux peut-il facilement créer une œuvre convaincante ?
R : En tant que véritable toxicomane, Chet Baker a toujours voulu passer pour un martyr dans tous les domaines, pour qu’on lui donne de l’argent et qu’on l’héberge, pour qu’on le prenne en pitié, susciter la compassion. Il s’était taillé une solide réputation en la matière. Je ne considère pas qu’écrire soit à proprement parler un labeur. Un effort, certes, mais pas un travail. Tout d’abord, on peut considérer qu’on a de la chance si la vie vous a permis de vous consacrer à quelque chose d’aussi grandiose. Beaucoup de gens passent leur vie à remplir des pots de yoghourt. Je considère que se plaindre d’une telle situation est indécent. Ensuite, j’éprouve un tel plaisir, en me livrant à cette occupation que je ne peux pas dire : c’est un labeur. Par ailleurs, fabriquer un style convaincant et personnel est une affaire compliquée. Ce que, sans fausse modestie, je suis certain d’avoir réussi. Mais on n’obtient pas une victoire sans combattre.
ITW réalisée par Vladislav Korneytchouk, pour Gazprom Magazine, 30 octobre 2016.




[1] Siège du KGB, aujourd’hui FSB.
[2] Cain’s Book, par un des rares amis communs de Debord et Burroughs, un des rares membres de l’Internationale Situationniste qui en ait pris sa retraite sans en être exclu.