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24.10.17

Les funérailles d'Hervé Prudon

Ce matin, dans une fine pluie d'automne, on a dit adieu à Hervé Prudon, au Père Lachaise, où est venu si peu de monde, tandis que les tartuffes de l'église polar pleurent leurs larmes de crocodiles — eux qui l'ont enterré vivant. Aucun 813, aucun afficionado du manchetto-poulpisme, cette vache à lait — les apparatchiks minables d'un infra-milieu de médiocres. Son dernier éditeur avait envoyé une domestique de la chapelle, cireuse de pompes abrutie de cet univers de nuls, faire les grandes déclarations, si haïssables en ces circonstances, d'usage dans leur monde d'hypocrites — au lieu de se déplacer lui-même, prétextant une impossibilité. Il aurait pu au moins fermer sa gueule. Tout comme les autres auraient pu, pour une fois, éviter de montrer leur belle âme sans scrupules, sans foi et sans honneur — mais tellement compatissante quand l'auteur a passé l'arme à gauche.
Nous sommes quelques-uns, qui aimions et soutenions Hervé Prudon de toutes nos forces, à savoir qu'il méprisait ces larves.
Aucune autorité de l'édition (ni journaliste) ne s'est déplacée (sauf des gens du cinéma et du théâtre, on ne les adore pas, mais ils ont un certain sens de la dignité, semble-t-il). 

5.1.17

La poésie (et le rire) au-dessus de tout !

À Ekaterinburg, Olga, la sœur aînée de Boris Ryjii, aimait les vers de deux jeunes poètes, qui déclamaient au Centre Eltsine, en ce jour de décembre 2015 : Alexeï Koudriakov, et Alexandre Vavilov.  Ils étaient opposés en tous points : l’ironie féroce de Vavilov et son débit Maïaskovskien, forcené, contrastait avec les vers mallarméens de Koudriakov, et sa scansion mélancolique. Le sarcasme de Vavilov la faisait hurler de rire, et la profondeur de Koudriakov la faisait rêver. Olga a les plus beaux yeux gris du monde — c’est la sœur du poète phare de l’Oural, mort prématurément. Comme toujours abasourdi à l’idée que la poésie, dans un monde de jour en jour plus vulgaire, puisse receler une importance quelconque pour la jeunesse, je pris part à notre ivresse collective, dans ce restaurant géorgien d’Ekaterinburg, avec les poètes, avec Olga, et bien d’autres. Riant avec Vavilov, songeur avec Koudriakov. Il y a déjà quelque temps que je voulais témoigner à Olga ma reconnaissance, et à ces deux poètes, mon estime.

(Vers traduits du russe par TM)
Valse mécanique
Saoul, le mécano de L'Oural a bousillé l'avion,
Dégrisé, il écrit un rapport, il a les jetons
«Tschoauzen, Tschaouzen der tschaouzen der grot».
Son chef, c'est clair, n'y entravait que quick!
«Tschoauzen, Tschaouzen der tschaouzen…» quelque chose comme ça…
«Vas-y, crache-le, tu t'es saoulé comme une bourrique !»
Le mécanicien «Quoi moi?»
«Tschoauzen, Tschaouzen der tschaouzen der Groïte !»

Dans le monde, à propos, Fédor s'appelait le patron .
À l'école du village… Il n'avait… de telles figures de style
Jamais rencontré ! Alors il est parti sur un site de traduction,
Pour que piger l'allemand soit un peu plus facile.
Mais là dessus… Impossible de percuter l'explication…
Fédor a demandé au mécano: «Au troisième paragraphe
'Tsaoutsen' ou 'Tschaoutsen'? Je comprends pas ton orthographe.
C'est à dire que je comprends, mais j'ai pas toutes les pièces de l'information!"

Bon, le mécano, en guise de réponse: «Tschaouts cherchen, der Tschel!»
C'est à dire pas très enclin à évoquer son charabia.
«Suffit de déconner en allemand ! Tu coules une bielle ou quoi ?
 Au-dessus de Jérusalem cent personnes se sont plantées
À cause de toi espèce de dégénéré — parce que le châssis tu l'as flingué!
Tu ferais mieux de te repentir pendant que t'as pas les fers aux pieds!»
Mais le mécano s'en tape: qu'on le passe ou non à la question…
Il boit l'air coupable, écarte les mains en signe de contrition.

Chez Aéroflot, on le passe au contre-interrogatoire,
Car personne l'allemand n'a l'air de savoir.
Tout le monde dit «assassin», «gestapo» «saoulard»…
 Mais le mécano réplique:"Tschaouzen, schaoutsen, der tschertskom!"
Et répète au tribunal, comme dans le rapport de panne au départ :
«Tschaouzen, tschaoutsen der tschaousen der groven».
Tout de suite le juge autrichien percute: «Oui c'est incontournable!
Si vraiment «tschaouzen, tschaoutsen» alors c'est non coupable!

Alexandre Vavilov


Isabelle d'Outreluignes, qui aimait la poésie





Механический вальс
 
Пьяный уральский механик сломал самолёт,
А протрезвев, – испугался и пишет в отчёте:
«Цхаузэн цхайцэн дэр цхаузэн цхэйсэн дэр грот».
Вроде как – пусть разбираются в «Аэрофлоте».
Шеф, ясно дело, не может понять ни/уя:
«"Цхаузэн цхайцэн дэр цхаузэн цхэйсэн" какой-то…
Так и скажи, что нажрался!» Механик: «Я-я!
Цхаузэн цхайцэн дэр цхаузэн цхэйсэн дэр гройтэ!»
  
Кстати, начальника Фёдором звали в миру.
Он… в сельской школе… с такими фигурами речи
Не-е-е стыковался! Зашёл на транслейт-точка-ру,
Чтобы немецкий понять было чуточку легче.
Но в объяснительной всё неразборчиво, на…
Фёдор спросил у механика: «В третьем абзаце
"Цайцэн" иль "цхайцэн"? Понять не могу ни хрена.
То есть понять-то могу, – не могу разобраться».
  
Ну а механик в ответ: «Цхауц хэрцэн дэр цхэл!»
То есть, как будто не склонен болтать о галимом.
«Хватит пи/деть по-германски! Совсем о/уел!
Сто человек нае/нулись над Йе-е-ерусалимом
Из-за тебя, дол/оёба, – похерил шасси!
Лучше покайся, пока не гремишь кандалами!»
Ну а механику по/уй: проси, не проси…
Пьёт виновато и грустно разводит руками.
  
В Аэрофлоте включили обратный форсаж,
Ибо никто не сумел разобраться в немецком.
Все говорят «душегубец», «гестапо», «алкаш»…
Ну а механик им: «Цхаузэн цхайцэн дэр цхэрцком!»
И на суде повторил, как в отчёте тогда:
«Цхаузэн цхайцэн дэр цхаузэн цхэйсэн дэр гровен».
Сразу австрийский судья разобрался: «Ну да!
Раз уж, б/ядь, "цхаузэн цхайцэн", тогда не виновен!»
Александр Вавилов.
Exigez la bière sans faux-col!… 0,5 l!…



Лампы настольной расходящиеся круги
Эллипсис света, скользящего по странице
Время – через пробелы – внутри строки
Тянет подсудно полки–вереницы
Образов, становящихся по одну
Сторону памяти, действительность по другую.
Не перейти это поле, точно Чермное море по дну:
Льды не отпустят – вязнешь в торосах, пургуя,
Дальше от плена, ближе к обетованной земле.
Где она – родина ? Путь исключает роздых.
Тот бескрайний текст, мечта о тепле,
Жесткий снег и морозных воздух.
Алексей Кудряков


De la lampe de table, les cercles mouvants
Ellipses de la lumière sur la page glissant.
Le temps — au sein même des lignes —s'infiltrant dans les blancs —
Traîne dans sa juridiction les rangs du régiment
Des images, devenant d'un certain côté
Souvenir et de l'autre, réalité.
Ne pas franchir ce champ, par les fonds de mon noir océan
Les glaces n'y reculent jamais — on colle à la banquise, dans la tempête qui rage
Éloigné de la captivité, proche de la terre bétonnée.
Où est la mère patrie ? Le chemin exclut les pauses sur la page.
Ce texte sans limite, cette chaleur rêvée,
Cette neige cruelle, et cet air glacé.
Alexeï Koudriakov



17.5.14

Guerre de l'information, bestialité des propagandes

Vladimir Kozlov
Dans nos rares motifs d'orgueil : avoir des amis tels Mark Ames et Vladimir Kozlov, combattants de la lucidité, de la nécessité de l'athéisme. Après l'exposé de Ames sur ce qu'est un politicien et sa façon de virevolter selon ses soutiens, voici un texte de Kozlov sur l'impossibilité de démêler le vrai du faux dans le brouillard des propagandes, les lecteurs russophones pourront le lire en VO à : http://34mag.net/columns/istina-bolshe-ne-ryadom/

LA VÉRITÉ EST HORS DE PORTÉE
PAR VLADIMIR KOZLOV
(Traduit par TM)
         Les évènements en cours en Ukraine depuis quelques mois semblent annoncer une apocalypse en gestation. Mais « L’apocalypse des informations », quant à elle, bat déjà son plein..
         En temps de paix tout cela peut se révéler agaçant, mais on peut repousser cette déplaisante réalité,  s’en écarter, y mettre un terme. Mais lorsqu’il y a des victimes, quand on essaie de déterminer qui a tort, qui est dans le vrai,  qui a tiré, qui a tué, et qu’on s’appuie sur un barrage compact d’informations contradictoires, et que des deux côtés on avance avec certitude des « preuves irréfutables » selon lesquelles ceux d’en face sont les coupables…
         Heure par heure, les mass-médias, les blogs et les réseaux sociaux lâchent des fragments de propagande, de faits déformés, d’information authentique, et de mensonges éclatants, « de compte-rendu tendancieux » et de délire insolent. Tout ceci, souillé d’un déluge malsain de centaines « d’opinions » et de commentaires, compose un tableau surréaliste et absurde.
         On réfute constamment quelque chose. De nouvelles données apparaissent en permanence. On passe son temps à démasquer la « désinformation ». On n’a pas tabassé de vieille dame. Aucune femme enceinte n’a péri. Mais, au moment où la photo ou bien la vidéo révèle la supercherie désinformatrice, celle-ci a déjà été reproduite des dizaines de milliers de fois sur les blogs et les réseaux sociaux, devenant une réalité incontestable pour beaucoup.
         La plupart des gens n’ont ni le temps ni l’envie de s’y retrouver au sein de toutes ces infos bidons et tous ces marronniers, ces réfutations et ces preuves. D’autant moins que la première impression est celle qui laisse l’empreinte la plus profonde. Sans compter que la plupart des gens ont tout simplement l’habitude de croire bêtement à la propagande — une habitude qu’ils ont hérité de l’époque soviétique et qui s’est, curieusement, transmise de génération en génération même à ceux qui n’ont pas connu les soviets.
         Oui, il existe des sources d’information objectives. Mais, premièrement elles sont noyées par les flux des propagandes, les bobards des petits futés et la désinformation pure. Et deuxièmement, comme ces sources prétendent à l’objectivité, elles donnent la parole aux diverses parties en présence — et le flot des « preuves irréfutables » déferle à nouveau. C’est à dire qu’il revient au spectateur, à l’auditeur, à l’utilisateur lui-même de choisir de quel côté il va pencher. Mais le journaliste de CNN ou de la BBC restera à l’écart pour souligner son « objectivité ».
         Les frontières entre le monde réel et celui des médias — ce qu’on montre à la télé, décrit sur les blogs et les réseaux sociaux — se sont brouillées depuis longtemps. Ou plus exactement, le monde des médias a remplacé le monde réel, l’a réduit comme une peau de chagrin. Mais le monde des médias lui-même a craché le morceau sur une multitude de réalités. Et chacun choisit à présent ce qui est le plus proche des ses vues et convictions.
         Et comment en serait-il autrement ?  En effet déterminer ce qui se passe réellement, et prouver quoique ce soit à soi-même ou encore à quelqu’un d’autre est impossible.
         À un certain moment, les réseaux sociaux et les blogs apparaissaient comme une alternative aux médias traditionnels, une source d’information supplémentaire et indépendante. Mais aujourd’hui, il s’agit plus que d’un nouveau relai de la bacchanale absurde de l’information. Ou plutôt, des centaines, des milliers de relais. La reproduction permanente de certains articles ou certaines vidéos, de références à des blogs… Il est facile de succomber à la surcharge d’informations.
         L’emballage médiatique des évènements d’Ukraine allume et renforce la colère et la haine. Une foule de gens s’éloignent les uns des autres, déçus par ceux-là mêmes dont ils lisaient avidement les entrées il y a peu. Un thème populaire de discussion : faut-il supprimer quelqu’un de la liste de ses amis pour une opinion sur l’Ukraine ?
         Sur Internet tout ça est facile. On supprime un ami de la liste si on veut, on chie sur quelqu’un d’autre si on veut, sur sa propre page ou celle de l’autre. Il est peu probable qu’on se retrouve en face de cet individu pour de bon, peu probable qu’il demande des comptes sur ce qu’on a exprimé. Et alors il est facile de traiter quelqu’un de « partisan de Bandera », de « créature du Maïdan », de « poutinoïde »…
         La situation ukrainienne a montré à quel point le raisonnement de la plupart des gens est primitif, comme il est uniforme. Qui n’est pas avec nous est contre nous. Oui ou non. Blanc ou noir.
         Le dialogue est impossible. La discussion est impossible. Les arguments sont impossibles. Quels arguments peut-on avancer, si dans l’heure qui suit il s’avère qu’on discutait du dernier bidonnage ou mensonge en date ?
         On ne peut convaincre personne de rien. On ne peut rien prouver à personne. La différence entre intox et fait réels s’est effacée. Il en résulte une conviction plus féroce encore qu’on est dans le vrai. Essayer de déterminer ce qui s’est vraiment passé n’a aucun sens. De toute façon, il n’est pas question de raisonner. Chacun campe sur ses positions.
         Que faire, alors ? Ne plus allumer la télé, ni écouter la radio, ne plus ouvrir son ordinateur  — pour ne plus voir, ne plus entendre, ne plus savoir… Mais ça aussi c’est impossible parce que t’es accros aux infos de la télé comme un junkie à la poudre, parce que tu veux savoir ce qui va se passer. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un quelconque avion malais abstrait qui aurait disparu des radars. Ce qui se passe en Ukraine te touche d’une façon ou d’une autre.
         Alors tu replonges de nouveau dans la décharge informationnelle pour recueillir des fragments de ce qui te semble être la vérité. Ou bien ce qui ressemble à tes convictions, qui correspond à tes vues personnelles ?
VLADIMIR KOZLOV,
(romancier, auteur de Racailles, et Retour à la case départ, éditions Moisson Rouge.)


19.1.14

LE PLUS PUNK DES RÉALISATEURS RUSSES: VLAD KOZLOV.


LES LECTEURS RUSSOPHONES TROUVERONT L'ORIGINAL DE L'ARTICLE TRADUIT CI-DESSOUS. COMMENT VLAD KOZLOV A TROUVÉ LE MOYEN DE TOURNER UN FILM AVEC TROIS FOIS RIEN, ET D'AVOIR DU SUCCÈS AU LIEN SUIVANT :
http://kyky.org/mag/heroes/v-diesiatku-kak-bielorus-sdielal-kultovoie-kino-biez-biudzhieta

Vladimir Kozlov, PHOTOS © Nikolaï Koupritch


COMMENT LE BIÉLORUSSE A TOURNÉ UN FILM CULTE SANS BUDGET
Par Andreï Ditchencko, 13/01/2014
(Traduit par TM)
Les débuts du romancier et essayiste Vladimir Kozlov ( à Paris le 26 janvier aux rencontres du livres russe, sous le titre La Pègre russe dessapée par le polar, voir les détails au lien suivant: http://www.russenko.fr/fr/portfolio/litterature/) comme metteur en scène avec « Deciatka » (La Dizaine) ont été distingués par la revue « SNOB » (magazine et site russe) comme l’un des dix projets cinématographiques les plus significatifs de l’année. Petits voyous, tramways rouillés, commissariat aux affaires militaires, et le Docteur Alban sur MTV — les critiques ont écrit que « …ce réalisateur dilettante et débutant possède le don des génies d’élection : la capacité de bourrer de tension le plan le plus ordinaire ». Dans l’interview faite par A.Ditchenko, le romancier évoque Moguilev en 1984, Tchernobyl, Tchikatilo (un tueur en série russe) et promet de continuer à s’occuper du cinéma à petit budget.

Né à Moguilev, Vladimir Kozlov est Biélorusse. Auteur d’une dizaine de livres (dont deux sont parus en français : Racailles, et Retour à la case départ, traduits par TM, éditions Moisson Rouge). En 2013, il a fait ses débuts de metteur en scène de cinéma, portant à l’écran sa nouvelle « Deciatka », tournant le film avec de l'oseille tiré de sa propre poche et le secours d’amateurs enthousiastes, habitants de Tcheliabinsk.
VK, ©NK

QUESTION : Comment se fait-il que tout le monde parle de « Deciatka » Comment se fait-il qu’il figure sur la liste des projets de film les plus significatifs de 2013 d’après la revue « Snob » ? Il se passe quelque chose de neuf dans la culture, ou bien c’est un simple concours de circonstances ?
VLADIMIR KOZLOV : Ce film prouve qu’on peut tourner sans budget si on le veut vraiment et qu’on a quelque chose à dire. Je suis ravi qu’on le prenne au sérieux  et qu’on le mette sur le même plan  que des films ayant disposé d’un gros budget sans comparaison avec le mien. Et je souhaiterais, bien évidemment,  qu’il pousse d’autres gens à tourner en dehors de l’industrie traditionnelle du cinéma, et qu’il devienne représentatif d’une nouvelle tendance. Difficile de savoir si ça arrivera. Il y a de plus en plus de cinglés et désespérés dans notre genre prêt à tourner un long métrage sans budget, et la technique le permet. Par contre, s’arranger pour qu’on voit votre film, ça c’est un problème. Ce serait vraiment d’enfer si le festival  de premiers films « Doukh Ognia » (L’esprit du feu), devenait une sorte de Sundance russe, qui permet aux films indépendants d’être reconnus. Soit, un festival d’un genre nouveau, soit les festivals déjà existants se mettant à accorder plus d’attention au cinéma indépendant. Dans ce cas, ce serait le début d’un nouvel âge de la culture.
Q : Peut-on gagner de l’argent avec ça pour l’instant ?
VK : Gagner de l’argent avec des films sans budget est quasiment impossible, et peu de gens s’y risquent. Au festival international « Doukh Ognia » en Russie on a présenté deux films commerciaux à gros budget, deux films financés par le ministère de la Culture, et quatre films comme le nôtre. Mais on peut penser que ça se développera.
Des caméras numériques de qualité pro ont commencé à être abordables pour les gens ordinaires il y a trois ans. À présent, quiconque dispose de 2-3000 $ peut devenir réalisateur. Mais le plus difficile est  de faire de ce qu’on a tourné quelque chose de présentable.

Un plan du film "Deciatka"

Q : Certaines parties de votre livre « Varchava » (Varsovie) décrivent le Minsk du début des années 1990. Est qu’il y a certaines pour lesquelles vous éprouvez de la nostalgie ? Peut-être certaines cantines, ou des endroits maintenant fermés.
VK : La nostalgie n’a pas pour objet des choses concrètes, mais  une « tranche de vie », quand on a 20-25 et « l’avenir devant soi ». Minsk a été cette « tranche de vie » en partie, le fond, sur lequel elle s’est déroulé. C’était une sombre époque, très âpre, durant laquelle il fallait vivre l’instant présent, sans se soucier du lendemain. Parce que ce lendemain n’aurait de toute façon rien à voir avec ce qu’on imaginait. Mais, malgré toute la brutalité et la négativité de l’époque, on prenait souvent son pied. Je ne me souviens que d’un seul endroit, la boîte de nuit « Réservatsia » (plus tard rebaptisée " Alternativa"), là où j’allais voir la plupart des concerts. Mais c’était un peu plus tard, le milieu, la fin des années 1990.
Commissariat aux affaires militaires de Kharkov (tampon officiel).

Q : Le tournage de votre récit « Deciatka » s’est fait à Tcheliabinsk, bien que le récit lui-même décrive sans aucun doute, l’espace biélorusse. Qu’y-a-t-il de commun  dans toutes les grandes d’Europe orientale de Brest à Ekaterinbourg ?
VK : Exact, l’action du récit se déroule à Moguilev en 1990, alors que nous avons adapté l’action du film dans une grosse ville jamais nommée — le « rôle » que joue Tcheliabinsk — et à notre époque. D’une part, recréer les années 1990 dans un film sans budget était impossible, d’autre part, c’était inutile. Ce genre d’histoire pouvait arriver dans les années 1990 et peut arriver de nos jours. Et, sur le plan visuel, malgré tous les changements survenus depuis vingt ans, toutes les grosses villes d’ex-URSS se ressemblent, elles ont été construites sur le même modèle ou peu s’en faut.
Je me souviens que ça m’a sauté aux yeux : à quel point le centre de Tcheliabinsk ressemblait au centre de Minsk, ou à ce qu’était autrefois Varsovie. Ne parlons même pas des cités dortoir dans toutes les villes post-soviétiques, elles sont toutes semblables.
Q : Peut-on considérer la Biélorussie contemporaine comme une anti-utopie socialiste si on la voit du point de vue du héros ?
VK : Pour moi la Biélorussie d’aujourd’hui, est le rêve réalisé des réformateurs soviétique des années 1980, à commencer par Gorbatchev. C’est ça qu’ils voulaient réussir avec leur pérestroïka : un hybride du socialisme et du capitalisme. J’ai même écrit un jour un essai sur ce sujet sous le titre : « Le pays du Socialisme triomphant ». C’est-à-dire que, d’une part, les gens ont encore accès à l’instruction et à la médecine gratuite, le contrôle de l’État sur la société est assez sévère ; d’autre part, ceux qui ont du fric peuvent se procurer des vêtements d’importation des voitures de marque étrangère et voyager à l’étranger. La seule différence, c’est qu’il n’y a plus d’idéologie communiste. C’est à dire plus d’idéologie du tout.
VK, ©NK

(…)
Q : Votre livre « 1986 » a pour thème centraux Tchernobyl et les tueurs en série. On voit clairement la synthèse entre les activités démoniaques de Tchikatilo (célèbre tueur en série soviet), et l’accident lui-même. Vous souvenez-vous du jour où vous avez appris l’accident de Tchernobyl et l’apparition de tueurs en série au pays du socialisme triomphant ?
VK :Je me souviens très bien de Tchernobyl. Les bruits qui couraient, suite aux informations des radios occidentales, alors que la télé soviet affirmait que tout allait bien. J’étais en sixième et on nous a envoyés aux manifestations du Premier Mai, alors qu'étant donné le nuage de radiations en suspens dans l'atmosphère, traîner dans la rue n'était pas très recommandé. C’est un peu plus tard, que j’ai su, pour les tueurs en série. Ils n’ont tenu Tchikatilo que dans les années 1990, et les mass-médias ne parlaient pas beaucoup  de l’affaire Viterckoe dont le héros n’était autre que le maniaque biélorusse Mikhassevitch. Les tabloïds (« la presse jaune ») qui abordent ce genre de sujets n’existaient pas. C’est plus tard que j’ai relié ces faits et compris que les tueurs en série de la dernière période soviet et Tchernobyl faisaient partie, à un degré ou à un autre,  de la même histoire qu’on pourrait appeler : « L'Effondrement de l’empire soviétique ».
Un Plan du film "Deciatka".

Q : Vous êtes en train de réaliser un film documentaire sur le punk sibérien. En quoi est-ce un véritable phénomène, à vos yeux ? Quelles sont les particularités du genre souvent utilisé par les groupes punks, qui jouent loin d’Omsk ou de Novossibirsk, et jusqu’à Minsk ?
VK : C’est un phénomène unique. Le véritable punk-rock — en Angleterre des années 1970, en Amérique des années 1980, était une musique pas très intellectuelle. Une protestation — et même un nihilisme — en effet, mais à un degré primitif. Mais des groupes comme « Grajdanskaïa Oboronna » (Défense Civile), et « Instrouktsia po Vijibanio » (Instruction pour la survie), ont ajouté à l’élan et à l’énergie du punk-rock une « fondation intellectuelle » ce qui donné quelque chose qui ne ressemble à rien d’autre.
Ce n’est pas par hasard, par exemple, qu’un groupe comme Massive Attack a consacré tout un album aux œuvres de « Oboronna » et de Yanka Diaguileva et chanté des versions de leurs morceaux en russe. Il est clair qu’ils n’ont pas saisi réellement le contenu, mais ils ont reconnu l’importance du phénomène.
Plus généralement le punk sibérien est pour moi lié à une période concrète, la seconde partie des années 1980. Et il a pris fin au début des années 1990. Deux évènements marquants de cette époque : la dissolution du groupe « Oboronna » en 1990, et la mort de Ianka en 1991. Mais cette musique a eu une influence énorme. C’est ainsi que sont apparus dans toute l’ex-URSS des groupes qui jouaient le même genre de musique. Au mieux, il s’agissait du développement de l’idée du punk sibérien, au pire, de simples épigones.
Ianka Diaguileva (égérie du punk sibérien)

Q : Pourquoi la sous-culture des jeunes reste-t-elle un sujet d’intérêt, indépendamment de l’époque où elle est apparue ?
VK : Ce qui se distingue de la masse, « nage à contre-courant » est toujours intéressant. Le pékin moyen avec un goût standardisé restera en principe indifférent. Sans parler du fait, que ces dernières années la sous-culture s’est beaucoup dégradée, transformée en simple élément de style. C’est fascinant de se trouver à l’intérieur d’une sous-culture. Au moment où elle vient d’apparaître, quand elle est brillante, quand elle est dans le vent, quand elle attire les gens non parce qu’elle est une mode mais parce qu’elle est une idée. C’est à dire que c’était vraiment excitant d’être un punk dans l’Angleterre des années 1970, ou un hippie dans l’Amérique des années 1960. Mais les punks d’aujourd’hui sont simplement des garçons et des filles qui s’habillent dans ce style et écoutent ce genre de musique. Ils se contrefoutent de l’idée sous-jacente du punk, mais d’un autre côté, à quoi pourrait-elle bien leur servir, puisqu’ils vivent dans un contexte qui n’a rien à voir ?
Q : Croyez-vous que vous auriez eu du succès si votre illumination littéraire s’était produite aujourd’hui, et non deux décennies en arrière ?
VK : Si j’avais commencé une œuvre en 2013 et non au début des années 2000, ça n’aurait rien donné. C’est difficile, aujourd’hui, pour les jeunes auteurs. Personne ne s’intéresse à la nouvelle prose d’Europe de l’Est. Dans la situation présente, les éditeurs ne s’intéressent qu’à ce qui peut leur rapporter beaucoup d’argent. En ce moment, j’essaie de rendre possible le tournage de mon roman « Retour à la case départ ». J’aimerait obtenir un financement sérieux et en faire quelque chose d’unique.
Q : Eh bien, passons à la question finale : y-a-t-il un endroit sur terre où vous ne voudriez retourner à aucun prix ?
VK : Un endroit et une époque. L’école numéro dix-sept à Moguilev, le 11 janvier 1984 — le premier jour d’école après les vacances d’hiver. Se profilent à l’horizon le trimestre d’études le plus long, un grand morceau d’hiver et encore toutes sortes d’autres saloperies.