Grayzone, site d’information accusé d’être un suppôt du Kremlin, sans preuve jusqu’à aujourd’hui, avait révélé la ténébreuse affaire du « réseau des réseaux » Integrity Initiative, financé par le MI6 et Facebook, qui m’a donné une partie de l’intrigue de mon dernier roman « L’interprète », se déroulant dans les eaux troubles de la guerre de l’information britannique. Grayzone avait été rejoint par une enquête du Daily Mail et du Working Group on Syria propaganda and media, un groupe d’universitaires de gauche de Cambridge. Aujourd’hui, Grayzone dévoile une autre facette de l’influence pernicieuse d’une aile « opérations psychologiques » apparemment très active. L'article dans son intégralité: https://thegrayzone.com/2025/04/01/british-intel-top-russia-academic-leaks/
Nous publions quelques extraits d’un article « pour abonnés » et conseillons vivement à nos lecteurs anglophones de s’abonner à Grayzone sur Substack. Ils en apprendront de belles !…
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TM, éditions Konfident |
Les services secrets britanniques ont cherché à faire taire le meilleur spécialiste occidental de la Russie, révèlent des fuites
Par Kit Klarenberg, 1er avril 2025
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Kit Klarenberg |
(Traduit de l’anglais par Thierry Marignac)
Des fuites de documents montrent des agents des services secrets préparant des politiciens britanniques à faire taire des professeurs exprimant leur scepticisme de l’effort de guerre par procuration en Ukraine. L’une des cibles, Richard Sakwa, pense que cette campagne a eu pour résultat un harcèlement dans sa vie quotidienne.
Les e-mails qui ont fuité examinés par Grayzone révèlent un complot dans les sphères supérieures du renseignement pour calomnier et réduire au silence des savants politologues britanniques tels que Richard Sakwa, qui est largement considéré comme un des meilleurs spécialistes de la Russie du monde anglophone.
En mars 2022, un e-mail intitulé « Les Russes envahissent nos universités », l’officier des renseignements britanniques et ancien conseiller de l’OTAN Chris Donnelly accusait Sakwa d’être un « compagnon de route » des Russes qui avait « graduellement abandonné sa couverture », insistant sur le fait que le professeur était « beaucoup trop bien informé sur la stratégie russe pour n’être appelé qu’un idiot utile ». Un autre message montrer que Donnelly fantasme d’exposer publiquement « les financements par des organisations russes » de Sakwa, une assertion que le professeur dément catégoriquement.
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Le professeur Richard Sakwa |
Donnelly a envoyé ces messages deux semaines après les déclarations du Secrétaire d’État à l’Éducation du Royaume-Uni de l’époque Nadhim Zahawi, selon lesquelles le gouvernement britannique était « déjà sur l’affaire et contactait leurs universités » quand on lui avait demandé si le gouvernement du Royaume-Uni allait intervenir pour empêcher les professeurs anti-guerre « d’agir en idiots utiles du président Poutine et de ses atrocités en Ukraine ».
Grayzone a révélé que Donnelly était un personnage-clé derrière une cellule secrète militaire et d’espionnage, appelée « Project Alchemy », créée en 2022 pour pousser l’Ukraine à « combattre coûte que coûte ». Une composante centrale de cet effort était de réduire au silence toutes les voix journalistiques et les médias — y compris le nôtre — considérés comme une menace pour le contrôle par Londres du récit de la guerre par procuration.
Les messages récemment exposés montrent que Donnelly conduisait des opérations similaires dans le monde universitaire. Bien que le professeur Sakwa ait depuis longtemps remis en question les récits dominants sur la Russie de Poutine, critiquant et l’expansionnisme de l’OTAN et son refus d’inclure Moscou dans la structure de sécurité européenne à la suite de l’effondrement de l’URSS, il a été effectivement éliminé des débats grand public sur le conflit depuis que la guerre a éclaté en Ukraine.
Les messages fuités suggèrent fortement que c’est l’intervention directe de Donnelly, agent de renseignement connu, qui est la cause de la marginalisation de Sakwa. Les messages montrent Donnelly en train de contacter des législateurs du Royaume-Uni pour oblitérer l’influence de Sakwa qu’il appelait sa cible numéro un, tout appelant à une liste noire d’autres professeurs susceptibles d’exposer des vérités inconfortables sur le conflit ukrainien.
La détermination de Donnelly à faire taire le professeur s’étendait apparemment au-delà de la durée du conflit. En privé, il s’inquiétait « qu’une fois que les combats auraient perdu de leur intensité » en Ukraine, les « modérateurs » commenceraient à « parler de lever les sanctions », et que « les Sakwas de ce monde seraient les fers de lance de l’effort pour changer la stratégie de l’Occident ». En d’autres termes, même si la guerre tournait mal pour Kiev et ses soutiens, Donnelly et ses associés resteraient déterminés à empêcher toute reconsidération publique des relations entre l’Occident et la Russie.
Sakwa était un « redoutable opposant » à « prendre au sérieux ».
Bien que récemment calomnié comme un apologiste du Kremlin vendant de la désinformation dans certains cercles, les travaux de Sakwa ont historiquement suscité des critiques élogieuses grand public. Même après l’éclatement de la guerre par procuration en Ukraine, le magazine du Conseil en Relations Étrangères « Foreign Affairs » avait une évaluation très positive des récents livres du professeur disséquant la fraude du Russiagate aux États-Unis et les origines du conflit en Ukraine. Manifestement, c’étaient la crédibilité de Sakwa et son formidable savoir qui en faisait une cible pour le renseignement britannique suivant le début de la guerre en Ukraine.
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Un des ouvrages de Richard Sakwa |
Dans un échange de messages avec James Sherr, un carriériste des laboratoires d’idées qui dirigea le programme Russie et Eurasie Pour le laboratoire d’idées Chattam House lié au gouvernement britannique, Donnelly exprima son malaise devant la perspective de voir les idées de Sakwa atteindre des audiences occidentales impressionnables. « La connaissance de la politique russe très poussée de Sakwa", avertissait Donnelly en faisait un « redoutable adversaire » que « la majorité des étudiants britanniques et des politiciens de niveau intermédiaire prendrait sans doute très au sérieux. »
Sherr répondit qu’il n’avait aucun doute que Sakwa était payé par le Kremlin, mais insistait sur le fait que le professeur critiquait l’expansion de l’OTAN, non pour de l’argent mais par « haine des États-Unis ». S’il existait des preuves fondées que Sakwa recevait de l’argent d’entités russes « il fallait le faire savoir », ajoutait Sherr, mais même si l’on obtenait une vidéo de Poutine en train de lui « signer un chèque pendant le dîner…L’université de Kent continuerait à l’employer et ses fans à l’adorer.»
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Dans ses commentaires à Grayzone, Sakwa dit que les actions de Donnelly « sont extrêmement préoccupantes » et avance les e-mails indiquent « qu’il y a des cellules dans l’appareil d’État britannique travaillant d’une manière subversive pour saper les principes fondamentaux de la démocratie britannique, la tolérance des points de vue politiques divergents, l’encouragement au débat ouvert et au dialogue ».
Le professeur argue qu’en « salissant des érudits et des militants civiques » Donnelly et ses collaborateurs « sapent précisément les valeurs qu’ils prétendent défendre et pratiquent « la présomption de culpabilité par association »
« L’hypothèse selon laquelle remettre en question la politique officielle sur une question particulière est motivée par des considérations mercenaires, en l’occurrence être payé par Moscou, est une épouvantable manifestation du McCarthysme que nous espérions derrière après la fin de la Guerre Froide », ajoute Sakwa.
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(NDT : après l’ouverture d’une enquête, l’Université de Kent a rejeté toutes les accusations portées contre le professeur Sakwa et « solidement défendu le principe de la liberté académique » selon les dires de celui-ci)