27.12.24

Poésie sous les bombes

 

À Belgorod, près de la frontière ukrainienne, où j’étais la semaine dernière, les passants ne s’émeuvent plus trop lorsque retentissent les sirènes de la dizaine d’alertes aériennes quotidiennes, drones et missiles. Ils ne pressent le pas, ne piquent le sprint, que lorsque résonnent les déflagrations, sans savoir si les projectiles volants ont atteint leurs cibles, ou si c’est la DCA qu’on entend et qu’ils ont été abattus.

Pendant ce temps, certains, certaines écrivent des vers en scrutant le ciel…

Moloch-Baal, réalité de la guerre.


 

(Vers traduits du russe par Thierry Marignac)

 

 

 

Au son des sirènes

 

Tu dis « Dieu », mais ça sonne comme « aux abris ».

Mais la marmaille shoote dans la balle

Pendant qu’au-dessus de ton crâne à cet instant précis

La mort vole, et qu’importe comment tu te planques brutal.

 

Le smartphone, si profond que tu l’aies enfoncé,

Va ressortir et devant tes yeux se dresser.

La peur est ordinaire, dès l’instant

Où pour de la peur, plus on ne la prend :

 

De l’hirondelle — d’où qu’elle ait surgi —

Le ciel transmet l’esprit rapidement.

Sous la fenêtre, le concierge se tait pour sa vie

Regardant au-dessus de lui le plumage volant.

Maxime Bessonov.

 

Под музыку сирены

***

Скажешь «Бог», а слышится «отбой».
Впрочем, детвора пинает мяч
в этот миг, когда над головой
смерть летит, и как её ни прячь,

глубже ни заталкивай в смартфон,
выползает и стоит в глазах.
Страх обыден, если только он
не воспринимается как страх:

ласточки – откуда ни возьмись –
небо быстро переводит дух.
Дворник под окном молчит за жизнь,
глядя на летящий сверху пух.

 

 

Cartouche en réserve

Je ne suis pas en chargeur, mon tir est lent,

Dans une boîte pour l’instant je suis cachée,

La fusillade des disputes déjà va se calmer,

Le soleil plonge vite vers le couchant.

 

Je ne suis pas en réserve, mais à l’avant-garde sur le flanc

Le tireur se hâte, mon prix connaissant :

Je suis en réserve, peut-être la dernière !

C’est ainsi que mon chant n’est pas encore chanté, retardataire.

Véra Kobzar

 

 

 

 

Запасной патрон


Я – не в обойме, выстрел мой не скоро,
Я до поры в коробочку упрятан,
Уже стихают перестрелок споры,
И солнце быстро движется к закату.

Я - не в обойме, но на фланг передний
Спешит стрелок - моя цена известна:
Я запасной, а может быть последний!
Поэтому, моя не спета песня.



•       *  *



6.12.24

La guerre culturelle


 


    Mon très cher ami Mark Ames, avec qui nous avons traversé tant de péripéties à Moscou il y a 25 ans, me raconte que Le Monde a fait une critique élogieuse du navet cinématographique de Serebriakov sur feu notre ami commun Édouard Limonov. Comme je ne lis pas ce torchon, je n’étais pas au courant. Bien avant qu’il ne passe aux mains du pire gauchisme sociétal néo-con, les situationnistes avaient appelé cette feuille de chou « Le journal de tous les pouvoirs ». 
     Comme me l’a rappelé un récent biopic d’immigrants russes pleins aux as sur feu le poète Boris Ryjii où l’on comptait utiliser mon personnage de traducteur pour obtenir une caution européenne et prouver que le poète-voyou d’Ekaterinbourg, nostalgique de l’URSS, se serait opposé à « l’opération spéciale » — la guerre culturelle bobo bat son plein. Si j’ai refusé qu’on se serve de mon nom pour le navet Ryjii, la diaspora antirusse s’est tout de même servie de mon personnage, inventant sans doute un quelconque Henri Sigognac affublé de mes caractéristiques. Si jamais j’ai la preuve du contraire, je les traîne devant la Cour Suprême !… J’avoue regretter ne pas avoir vu le biopic pour savoir qui jouait mon rôle et comment. Ça promettait un certain nombre d’éclats de rire. Un bref moment disponible en location, le film a été très vite interdit de diffusion en Fédération Russe. Ma gloire usurpée sur les écrans aura donc été de très courte durée… 
Boris Ryjii, poète de l'Oural.


    Il semble donc normal que l’organe central des néo-cons sociétaux de Phrance fasse l’éloge d’un film nul, fondé sur le navrant recopiage des écrits d’Édouard Limonov par Carrière d’Encaustique. Ce fils à maman pleurnichard vient de s’embourber un nouveau prix littéraire, paraît-il. Né dedans, il les décroche tous, quand t’en as un, t’en as dix. Ce n’est pas une question de mérite, c’est une question de classe dominante. Peu avant sa mort, Édouard m’écrivait : « Thierry, je sais qu’il a du succès parce que c’est un bourgeois». 
    Désamorcer le « fragment radioactif de radicalité » d’Édouard Limonov, semble un objectif logique du révisionnisme gaucho-néo-con, récrivant l’histoire du soir au matin. Selon mes amis éditeurs, les « critiques » de ces organes de désinformation rapportent bien moins qu’un seul article de blogueur un peu spécialisé, un peu pointu. Tout n’est donc pas perdu. Le navet sur Limonov n’enregistrera sans doute pas plus d’entrées. Peut-être même moins. 
    Thierry Marignac, décembre 2024.