6.8.24

L'été des villes qui grondent: Jethro Bare…

 

    Cet été, au Royaume qui n'a plus d'Uni que l'intitulé, les villes grondent. Des strates et des strates de corruption et de ressentiment de tous bords, une lave souterraine — jusqu'à l'éruption. 

    Jethro Bare, un ami d'Antifixion, donne ici sa vision des villes en perdition d'un Occident déboussolé, en guise d'illustration d'un futur apocalyptique, qui sonne à la porte. Dans un style percutant, le jeune auteur nous offre ici une superbe nouvelle noire, l'expert en miasmes urbains donne l'étendue de sa science… Ce texte finaliste du concours de nouvelles au festival Quais du Polar il y a deux ans méritait une réédition, que nous présenterons en trois épisodes, dont voici le premier.


Jethro Bare, photo © Iron Seb, tous droits réservés

Originaire de Saint-Ouen-sur-Seine, où il réside encore aujourd’hui, Jethro Bare est né en janvier 1977.
Nourri par diverses influences, des classiques de la littérature française et internationale à travers le temps jusqu’aux souterrains de la pop-culture, il écrit avant tout sur ce qu’il connaît : la ville, les rues, les profils atypiques, les obsessions, les combines, la violence et la tension des sentiments.
Sa nouvelle noire intitulée « Elle gronde » a été finaliste du concours de nouvelles au Festival International Quais du Polar à Lyon en 2022.
Jethro Bare travaille actuellement sur l'écriture de son premier roman.

    

    1ER ÉPISODE:    

    

    Pour Franck Triquet, c’était une enquête sans coup de feu ni sang. 

    Mais il existait bien pire que les flingues et les cadavres. Il y avait cette ville. Son odeur et le son rauque de ses entrailles noires qui grondaient.

    ELLE GRONDE

    J’arrivai à Dado-sur-Seine dans les brumes glacées de l’hiver 1987. Froid de canard. Comment une ville si proche de la capitale, à deux pas de là où je travaillais, pouvait sembler si différente ?

    Je ne m’attendais à rien de précis, rien de spécial, et je n’étais pas en service mais l’œil d’un flic ne connait ni pointeuse ni horaire. Cétait cette putain de seconde nature qu’on se tuait à expliquer aux nouveaux quand on sentait qu’ils n’étaient pas faits pour ça.

    La rue, ce n’est pas la rue. C’est une veine. Il faut la sentir battre. Grossir. Dégonfler. Savoir quand elle va péter et comment ne pas se faire engluer dans son jus épais comme du sirop. La rue, c’est la seule façon de prendre la tension de la ville. Si tu n’as pas les mains dedans, tu ne sais pas de quoi tu parles.

    J’étais pleins phares et je ne distinguais rien à plus de cinq mètres à part quelques lueurs hautes et pâles de lampadaires exagérément orangées. Dans ces rues longues et droites à n’en plus finir qui donnent accès à la ville, il n’y avait personne. Rien ni personne. Des rideaux de fer tagués au kilomètre et des petits tas de détritus posés à intervalles irréguliers comme des groupes de gnomes informes qui discutent complot.

    Si ma tante ne m’avait pas demandé de chiner dans ce coin, je ne serais jamais venu. Jamais. Aucune personne normalement constituée ne pouvait avoir quelque chose de rationnel à faire dans ce décor mi-Lune mi-Berlin-Est ; à moins d’être né là et être resté là ; naufragé éternel.

    Le brouillard se levait un peu quand j’entrai ma 309 dans un pâté de maisons légèrement plus vivant. Quelques rades au plafond bas, qu’on savait ouverts parce que leurs enseignes au néon clignotaient au loin, et quelques fantômes fluos manipulant des sacs poubelles matinaux me donnèrent envie de café. La caféine : le shoot du juste. Il y avait forcément un percolateur qui fabriquait une bouillie de grains convenable dans ce bled. Il y en toujours un.

    Avant de quitter ma caisse, je jetai un œil dans le rétro. Il n’y avait rien à voir. Le noir bleuté pesait de toute sa mélancolie. Deux ou trois loupiotes bistres et opaques s’en détachaient à des distances confuses. Une espèce d’angoisse m’envahit car, ici, j’allais faire le flic sans être flic.

    Ma tante, à qui je ne refusais rien car elle avait pris soin de moi mieux que ma génitrice, m’avait demandé de trouver ce que je pouvais sur cette drôle d’histoire qui, selon elle, avait tué sa vieille amie. « Une ville qui gronde ». Que voulait-elle dire par là ? Je craignais autant de décevoir ma chère tante que de ne pas me sentir à l’aise et légitime dans ma démarche. Manquait le truc qui créé la confiance entre ton instinct et tes questions, le tout coordonné par ton flingue et ta carte tricolore.

    Allez, remonte ton col, Franck, arrête de flipper... besoin de kawa.
    J’allumai une sèche et me dirigeai vers la première bouée lumineuse au milieu de ces rues 
sombres comme la gerbe de l’Amoco Cadiz, sales et poisseuses même débarrassées de leurs déchets, et par-dessus tout, qui dégageaient une puanteur infernale. J’avais déjà senti un truc semblable lors de mon premier voyage de noces à Venise il y a quinze ans, mais dans des proportions plus raisonnables. Ici, à Dado, l’atmosphère était saturée par une odeur de sulfure d’hydrogène — pour ne pas dire « odeur de prout » comme appris à la PJ, surtout devant les légistes et les familles des victimes mélangée à de l’ail brûlé au fond d’une poêle hors d’âge.

    Ça ne venait pas d’un endroit en particulier, et j’ai le nez fin, ça semblait tenir d’un bloc entre tous les murs de la cité. Moi qui voulais être sur le terrain pour sentir et humer un peu l’ambiance des lieux, j’étais servi. Cette pestilence commença à me tourner la tête car j’avais le ventre creux et le cerveau pas encore irrigué par le pur arabica, je pressai donc le pas pour atteindre « Le Celtic ».

    Assis au comptoir avec un café fumant sous le pif, j’allais déjà mieux. Les premières gorgées, courtes et brûlantes, étaient toujours salvatrices.

    Mon regard balaya le décor. Triste à crever. Le Formica, les cendriers jaunes triangulaires, le poste de radio cradingue, le patron, tout faisait la gueule.

    Chaque fois que quelqu’un pénétrait les lieux, l’homme gris derrière le zinc lançait un «Fais pas chaud hein ! » toujours sur le même ton, en regardant dans le vide. Ça sentait le mégot, l’huile de frites froides et l’inox mal lavé, mais c’était tout de même réconfortant par rapport à l’odeur du dehors. Cette odeur de malaise lancinant.

    Je ne savais pas le moins du monde ce que je cherchais.
« T’es flic, tu sais faire des enquêtes, tu trouveras bien ! » m’avait lancé Gisèle, ma bonne tantine.

    Du point de vue des gens c’était toujours comme ça. Dans les faits : tu parles !
    Mais elle était trop triste pour que je la laisse tomber sur ce coup, il fallait que je trouve quelque chose.
Je ne me voyais pas l’envoyer sur les roses quitte à lui remettre la réalité en face des trous sur mon potentiel dans cette affaire.

    Dado-sur-Seine était de toute façon suspecte d’emblée, peu importe la raison, avec sa gueule et son parfum louche ; traîner mes guêtres ici ne me ragoutait pas mais pouvait être utile.

    Le bistrot abritait une dizaine de personnes. Une seule au zinc et les autres assises par petites tablées. Des types en tenue de travail avec des bandes réfléchissantes ici, et là des anonymes à la viande morte. Ça ne parlait que très doucement, articulait les borborygmes du matin, et même en tendant l’oreille je n’entendais rien d’intéressant à cause de la radio qui crachait des informations hachées sur Tchernobyl.

    J’étais dans le schwartz, alors autant lancer quelques lignes au hasard.
    Je me retournai vers le type le plus « vivant » de la scène, bien que tout le monde dans ce patelin affichait un air défoncé depuis le cantonnier dans la rue jusqu’au patron du bar, et lui lançai un «  Alors, ça gronde à c’qui parait ? »

    Aucune réaction de la part du bougre, il continua de mâcher son œuf dur en luttant contre son râtelier.

    Je m’étais planté en beauté, son faux air vif et alerte n’était finalement que celui d’un fou qui n’avait pas pris ses médicaments... bravo le flic ! Je m’étais laissé duper par ses ongles propres et son pantalon repassé dans les plis, mais le gars n’avait rien de net. D’ailleurs il s’était mis à recracher son œuf façon mimosa sur le comptoir et le barman, agacé, ramassa sa production à la main avec un «  Rhooooo.... Dédé... Merde ! »

    Si c’est le patron qui le dit...
    Tout flottait dans cet endroit. Avec les gens plus légers que l’air, qui lui, comptait dix tonnes de gaz lourd.

    Perdu pour perdu, je m’adressai au maître des lieux en reprenant son accroche :
Pas chaud hein ?!
    Pas de réponse. Regard hagard.
Dites-donc Patron, vous n’avez pas entendu grogner cette nuit ? Je veux dire, comme un grondement général, partout ?

— ‘Savez, moi, depuis l’Indo j’entends qu’dalle.
    Sa main tremblait sur le chiffon à carreaux effiloché qu’il enfonçait profondément dans un verre encore humide.

    Il regardait encore et toujours dans le vide.

    Je tournai la tête en soupirant pour me rendre compte de l’absurde misère dans laquelle j’étais, à cette heure-ci, dans un trou pareil, parce que j’essayais d’être un bon neveu.

Le rock'n'roll de V. Kozlov pour Jethro Bare, Lithium…


    Non, décidément, il fallait que je prenne mon courage à deux mains et que je retourne voir Gisèle pour lui dire que si sa bonne amie résidente de Dado-sur-Seine, sa confidente, était morte d’une crise cardiaque à cause d’un bruit, c’était sûrement dans sa tête que ça grondait, pas dehors, même dans son Dado City maudit.

    Elles n’étaient plus toutes jeunes après tout, fallait qu’elle se fasse une raison. Je savais qu’elle me ferait remarquer que ça n’expliquait pas les analyses toxicologiques vraiment hors norme de la vieille. Elle me lavait déjà rabâché cent fois et elle marquait des points à chaque coup. Sûr que c’était vraiment bizarre. Mais on ne sait pas ce que font les gens dans l’intimité, même lorsqu’on en est proche. La mémé sympa se droguait peut-être... on pouvait s’attendre à tout, surtout dans une ville pareille.

    Je divaguais. Je perdais mon temps. Je voulais rentrer regarder Auto-Moto.
    J
’arrachai une Camel de mon paquet souple qui commençait à faire pâle figure, l’allumai, posai une pièce de cinq balles sur le zinc et me tirai sans demander mon reste. Le soleil se levait. Ledit soleil était plutôt un néon industriel. À voir les murs crasseux autour de moi, je me demandais s’ils avaient un jour été léchés par un seul rayon chaud.

    Dado, c’était une maquette cassée. Du carton-pâte qui puait sur un fond blafard comme une lumière d’usine. Du néon au néant.

    Juste avant de regagner ma tire, j’entendis le sifflement de quelqu’un qui appelle.
    Je me retournai en loucedé, pour voir, comme si ça ne pouvait pas être moi qu’on hélait de la sorte, et vis un mec habillé en tenue de travail haute visibilité. Un jeune, que j’avais repéré dans un des groupes attablés, sans rien en penser.

    Il avait l’air normal, lui, mais je me méfiais pour ne pas avoir à m’accabler deux fois le même jour pour la même erreur de jugement.

— J’ai horreur qu’on me siffle jeune homme. Je ressemble à un clébard ? lançai-je, goguenard.

— Non m’sieur, désolé, c’est l’habitude, j’appelle mes collègues comme ça dans les égouts. 

— J’ai l’air de sortir d’un égout ?

Non... non.
    Je lui avais un peu coupé la chique et
ça m’a fait sourire. Il tordait son bonnet dans tous les sens avec ses mains rouges et sèches.

Vous êtes flic ? Vous travaillez pour la mairie ?
    J’adoptai la technique du rabbin déguisé fuyant loccupation, qui répondait à une questionpar une autre question afin de sonder son interlocuteur. À la question « Êtes-vous juif ? », il fallait répondre « Et vous ? », histoire de savoir ce que voulait vraiment celui d’en face.

Et vous ? Vous travaillez pour qui ?
Il hésita. Penaud.
Moi je travaille pour le chauffage urbain, sous le trottoir.
Et tu cherches à parler à un flic ou à un gars de la mairie ?
— Je cherche à parler à quelqu’un qui n’est pas d’ici.
Pourquoi ?
— Parce que s’il a du pouvoir, il faut faire quelque chose. Et j’ai des trucs à montrer. 

    Pas con ce jeunot, il l’avait joué fine et on s’entendait sans prononcer les mots. Maintenant, mes oreilles étaient tendues comme celles d’un limier, les oreilles du flic dans son élément : ouvertes et intriguées.


2. Démêler les cheveux de la sorcière

    Sur le chemin du retour vers ma télé et un environnement plus sain que ces quartiers à l’atmosphère épaisse, je repensais à tout ce que Marco, ce jeune qui bossait au chauffage urbain de Dado depuis 5 ans, m’avait dit. Il avait peur, ça se voyait mais surtout, je le sentais. J’étais comme les animaux dangereux pour ça, je sentais la peur des autres. Celle qui vous compresse la cage thoracique, vous bloque les intestins et installe ces ritournelles sordides au fond de votre cervelet 24h sur 24. Je lui ai dit que j’étais flic. Ce qui l’avait surtout rassuré était le fait que j’appartenais à un monde différent de celui dans lequel il évoluait. Une autre contrée. De l’autre côté du périph’ ; si près si loin ; TOUT sauf Dado.

    J’avais joué franc jeu avec lui. Il était au fait que je posais mes questions et l’écoutais à titre personnel, pas plus. Le jeune avait les cordes vocales tendues et il parlait de plus en plus du nez, comme s’il allait chialer. Il m’a raconté qu’il assistait à des choses vraiment bizarres et « pas bien pour les gens » selon lui. Apparemment, c’était lorsque j’avais prononcé le mot « grondements » dans le bar qu’il s’était intéressé à moi et à ma dégaine. Il avait du flair mais surtout l’air moins dans les vapes que les autres. Dans le tas d’informations un peu confuses livrées par ses soins le temps d’en griller une, cul sur l’aile de ma 309, il y avait de quoi tirer plusieurs fils louches.

    La C.C.U.D, la Centrale de Chauffage Urbain Dadoseinoise, qui fournissait de la chaleur pour les radiateurs et l’eau des habitations, avait en partie été privatisée il y a trois ans sous l’impulsion du maire, qui rempilait pour un deuxième mandat. Les laboratoires pharmaceutiques Bouvier, qui possédaient une énorme usine et étaient le principal employeur de la ville avaient injecté d’importants capitaux dans la C.C.U.D pour éviter qu’elle ne périclite. Pour Marco, tout ça représentait magouilles et manigances car de son point de vue, beaucoup de choses avaient changé dans son quotidien de travail. Les gars d’intervention sur le réseau souterrain, comme lui, devaient désormais gober une pilule contre « les microbes du sous- sol et les émanations de gaz » distribuée par Bouvier, ainsi qu’enfiler des combinaisons étanches lourdes et contraignantes. Lorsque lui et certains de ses collègues avaient demandé aux syndicats ce qu’ils risquaient désormais, on leur avait opposé une fin de non-recevoir avec intimidation à la clef. Pas que l’ambiance ait un jour été bonne dans la boîte et que les délégués aient vraiment aidé les bosseurs, mais là c’était pire qu’avant.

« Vous avez eu 3 jours de récup’ de plus à la fin de l’année et la prime de 200 francs pour le port de la combi, non ? Alors, que demande le peuple ? On a une des meilleures mutuelles sur le marché et pas à se plaindre avec les cadeaux de fin d’année pour les gosses, et vous voulez encore faire chier la direction avec vos questions à la mords-moi-le nœud ? Vous pensez quand même pas qu’on va vous empoisonner les gars ?! Faisez-pas les cons, merde ! »

    Cette histoire sentait aussi mauvais que leur ville, ça se voyait comme le pif d’un ivrogne sur le visage d’un ange, mais les preuves dans tout ça ? Il fallait que Marco étaye ses dires, suffisait pas d’accuser. Il m’avait donc donné rendez-vous la semaine d’après en « tenue sport » comme on disait à l’armée, des fripes qu’on n’a pas peur de salir, pour me montrer deux ou trois choses sous la terre.

    Pour l’heure, j’arrivai au bercail où personne ne m’attendait à part ma cafetière et mon tube cathodique.

    Dès mon retour au bureau le lendemain, en plus des affaires en cours, je pris du temps pour essayer d’en savoir plus sur Dado-sur-Seine et toutes les choses que Marco m’avait balancées. Il devait forcément y avoir des traces, des débuts de piste que je pouvais remonter. Est-ce que ça avait un rapport avec la mort de l’amie de ma tante ? Je n’en savais foutre rien, mais Dado n’était définitivement pas une place très nette, j’avais besoin d’y voir plus clair.

Loin des villes en rêve…




    J’avais pensé à cet endroit une bonne partie de la nuit, entre plusieurs mauvais demi- cauchemars aux tons verdâtres qui laissent un goût de moisi dans la bouche. Les émanations d’œuf pourri frotté à l’ail rance m’avaient aussi laissé une sensation de tête qui lance contre laquelle je luttais à grand renfort d’expresso.

    Après quelques questions posées à qui de droit dans les bons services et la consultation de la presse locale de ces dernières années dans ce que j’avais pu trouver sur microfilms, l’envers du décor de cette foutue ville était aussi moche que ce qu’elle affichait en façade.

    Scandales, corruption, prise illégale de marchés, jeu trouble des administrations, pont d’or fait à des marchands de sommeil, j’en passe et des meilleures. Tous ces problèmes ne dataient pas de la veille mais l’élection d’un nouveau maire il y a neuf ans avait encore terni le blason du lieu.

    Force était de constater que personne n’était blanc-bleu aux postes à responsabilité. La C.C.U.D avait failli couler malgré le budget de l’état alloué à ce genre d’installations à cause des grèves radicales et successives montées ces dernières années par ses puissants syndicats. Basée en majeure partie sur la chaleur produite par la combustion de déchets, fournis par le privé, la centrale dépensait plus quelle ne rapportait, laissée exsangue par la gestion de son ancien patron, un proche de l’ex-maire, à qui aucun Lech Walesa du chauffage n'avait rien à reprocher jusqu’à ce qu’il parle de gel des salaires. Changé en deux coups les gros, c’est un ami du nouvel édile qui avait été mis en place, un ancien de la chimie d’État, qui a un temps été conseiller de plusieurs laboratoires pharmaceutiques. Ses liens avec le groupe Bouvier, repreneur de la C.C.U.D pour plus de la moitié du capital, n’avaient jamais été prouvés, mais certains avaient dénoncé un milieu petit et poreux de bout en bout. Si on y ajoute les taches de fiente qui éclaboussaient le maire à cause des relations floues qu’entretenait sa police municipale qui jouissait d’un budget presque aussi gros que le nôtre avec la voyoucratie locale et les scandales d’insalubrité du gigantesque parc de logements sociaux que comptait Dado, on n’était pas rendu.

    C’était la masse et la régularité de toutes ces merdouilles peu reluisantes qui en faisaient un bloc compact et impressionnant à constater sur le long, de petites et crapuleuses affaires nourrissant un feu couvant à basse intensité. Compilé ça représentait quelque chose, mais personne n’en avait eu l’idée. À quoi bon ? Ces infos n’avaient pas le caractère de scoops défrayant la chronique, c’était du local, certes proche de la capitale, mais ça restait de l’urbain de seconde zone. Rien à voir avec les scandales d’envergure nationale. Les procédures étaient rébarbatives et longues, l’administration étouffe toujours avec un rythme de constrictor, alors oubliez les rebondissements chocs qui plaisent au public pour vendre de la feuille de chou.

Bref, il fallait que je démêle les cheveux sales de cette sorcière de cité.