31.8.24

Les va-t-en-guerre qui ne risquent rien: La réponse d'Essenine…

 

Version originale du roman "La Neuvième cible" de Pavel Kreniev, paru en français à la Manufacture de livres.
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    Dans Le Meilleur des Mondes où le pouvoir nous aime tant qu’on a les larmes aux yeux de sa sollicitude — femme, homme, hybride, poisson, fourmis tant qu’elles n’ont pas d’empreinte-carbone — où l’on nous protège de la désinformation par la censure, où la biogénétique invente chaque jour de nouvelles formes de reproduction — bientôt, comme la paramécie, par division longitudinale pour défendre les droits des asexuels, opprimés dont on parle si peu — où manger un steak saignant est un crime « spéciste », tenir la porte à une dame un délit machiste sévèrement dénoncé par le groupe « Moi aussi », où nous sommes si défendus !… On voit proliférer une curieuse espèce, encore non répertoriée, mais sans doute légale puisqu’elle s’affiche : le va-t-en-guerre, prêt à réduire en cendres tout ce qui résiste à son furieux élan libérateur — pourvu qu’il n’y aille pas, ne risque pas de perdre un œil, une jambe, deux bras, un sein, deux testicules, une fesse, la vie… Il y a cent ans, lors de la Première Boucherie Mondiale, Essenine répondait comme ceci aux guerriers par procuration : 
Hugo Ball, 1915.



(Vers traduits du russe par Thierry Marignac)



    De telles nouvelles attristées 
A chanté le cocher tout le chemin 
Dans les secteurs de Radov suburbains 
J’allais alors me reposer. 

 La guerre toute mon âme a dévoré.
Pour des intérêts étrangers
 Sur un corps qui m’était proche, j’ai tiré 
La poitrine du frère j’ai percé. 
 Et j’ai compris que je n’étais qu’un jouet, 
Et reconnaître à l’arrière les marchands, 
Et disant adieu aux canons fermement, 
Guerroyer en vers seulement, je décidais. 
Mon fusil, j’ai balancé, 
Je me suis payé un faux laissez-passer, et voilà
 Avec un entraînement de ce genre-là 
Que l’année 1917 j’ai croisé. 

 La liberté s’est élancée frénétiquement. 
Dans un feu rose puant 
Alors, en calife, régnait sur le pays, 
Sur son cheval blanc, Kerenski. 
La guerre, « jusqu’à la victoire », « jusqu’à la fin »
 Et cette foule rude sans coup férir 
Les canailles et aigrefins 
Envoyaient au front périr. 
Qu’importe, je n’ai pas pris le sabre vengeur… 
Sous le grondement, le rugissement des mortiers 
Une autre bravoure, j’ai montré, 
Être du pays le premier déserteur. 
Sergueï Essenine, 1925. 
Saule pleureur





Такие печальные вести 
Возница мне пел весь путь. 
Я в радовские предместья 
Ехал тогда отдохнуть. 

Война мне всю душу изьела. 
За чей-то чужой интерес 
Стрелил я в мне близкое тело
 И грудью на брата лез. 
Я понял, что я — игрушка, 
В тылу же купцы да знать, 
И, твердо простившись с пушками, 
Решил лишь в стихах воевать. 
Я бросил мою винтовку, 
Купил себе липу, и вот 
С такою-то подготовкой 
Я встретил 17-год. 

Свобода взметнулась неистово. 
И в розово-смрадном огне  
Тогда над страною калифствовал
 Керенский на белом коне. 
Война до конца, до победы, 
И ту же сермяжную рать 
Прохвосты и дармоеды 
Сгоняли на фронт умирать. 
Но все же не взял я шпагу… 
Под грохот и рев мортир 
Другую явил я отвагу — 
Был первый в стране дезертир. 
Сергей Есенин, 1925.