19.5.24

Le navet sur Limonov au festival de Cannes

    Les Canailles ont le pouvoir 

    Un des pires déshonneurs de l’âge est sans doute de voir les canailles se repaître des cadavres de ses amis. Un autre est de devoir se répéter. Oh oui, je sais qu’Édouard était ravi que le bouquin du fils à maman Carrère l’ait remis sur le devant de la scène en Occident. Je communiquais directement avec lui depuis toujours. De même, il ne crachait pas sur l’oseille que ça lui rapportait, directement ou indirectement. Lorsque ses anciens éditeurs français ont racheté les droits de ses livres des années 1980 — alors qu’ils le fuyaient comme la peste depuis les calomnieuses campagnes de presse menées par TéléramObsInrockMondÉration au début des années 90 — ils avaient cru trouver la poule aux œufs d’or, vu le succès international du bobo de gauche, fils de sa mère de droite académicienne. La classe dominante change de braquet sans trop de scrupules, l’essentiel est que la domination se poursuive. Manque de bol pour les éditeurs, c’était Carrère et les prix qui se succédaient pour ses bouses pleurnichardes qui vendaient, pas Édouard Limonov qui plafonna aux 5-6000 ex. Mon vieux copain, pour nourrir ses gamins, avait aussi besoin des 45 000 euros que lui versa la production du film scénarisé par Carrère. Pige versée pour se garantir des poursuites en vertu du « droit à l’image ». Au sujet de la mauvaise copie Carrère de ce qu’avait écrit Limonov sur lui-même, Édouard, avec une certaine ironie chez lui constante, devait préciser aux journalistes : « Je ne vous dirai pas ce que j’en pense ». Lorsque je lui écrivis « Tu sais, si c’était moi qui avais écrit sur toi, on aurait vendu à peine 500 ex. », il me répondit « Thierry, je sais qu’il a eu du succès parce que c’est un bourgeois ». J’ai gardé ce courriel…

    Aujourd’hui, il faut se taper le film !… Et après les états d’âme du fils à maman, qui n’ont rien à foutre là mais font les délices d’un public friand de pornographie intime, on doit se farcir ceux d’un acteur rosbif qui n’a jamais sauté un repas de sa vie et ne sait pas qu’un pain dans la gueule — c’est en trois dimensions. Limonov avait vécu autre chose. Au lien suivant pour les anglophones : https://www.vanityfair.com/hollywood/story/ben-whishaw-cannes-limonov-exclusive-first-look-awards-insider 

    Je note, évidemment, que tant cet acteur que le metteur en scène brodent dans l’antipoutinisme bobo, pour attirer l’attention des médias occidentaux aux ordres, ils savent où est la soupe. Celui de Limonov était d’une autre trempe, et lui valut notamment deux ans et demi de prison. Sur place, en Russie, pas au festival de Cannes où l’on ne risque guère que de déraper sur le tapis rouge, robe trop longue ou acteur bourré. En apprenant qu’un navet était en cours, caricature de mon vieil ami, je m’amusais à imaginer qui jouerait mon rôle, quelle farce !… Mais le fils à maman Carrère et votre serviteur… Nous ne sommes pas de la même paroisse… Je ne savais pas à l’époque que ce doré sur tranche était scénariste du navet… Nous avions entretenu de brefs rapports alors qu’il songeait à rédiger son livre sur un «sulfureux » comme l’était mon ami Édouard qu’il connaissait si mal, deux coups de fil. Puis il avait appris en quelle haute estime je tenais sa « prose » autofictionnelle pleurnicharde de nanti, et ça s’était arrêté là. Donc, personne hélas ne jouera mon rôle dans ce biopic pour les abrutis. Dommage, j’aurais bien rigolé !…

    Édouard, comme me dit à l’instant mon ami Mark Ames — ex-rédac-chef d’eXile à Moscou où j’ai travaillé — qui l’a bien connu, aurait été ravi du film et de l’attention portée sur son personnage historique, quelles que soient les approximations politcorrectes. Je n’en disconviens pas, Limonov n’était pas au-dessus de ça. Il ne me manque que ses commentaires acides en privé. Ça, c’eût été saignant. Son mépris pour tout ce cirque aurait donné lieu aux formules cinglantes qu’il affectionnait. Trop tard…              

    Dégradant, dégradant, dégradant… Mais la vieillesse est un naufrage et les nantis tiennent le haut du pavé. Pour l’instant, tout au moins. 

    Thierry Marignac, mai 2024.