9.7.23

Écrivain international

 




TRADUCTEUR TRADUIT (II) 
     S’il est un bonheur dans cette vie d’auteur qui en comporte bien peu — sauf si l’on fait partie de la bande de… de la famille de… du parti des… de la chapelle du… — en dehors de celui d’écrire, c’est bien d’être traduit. Outre que la vanité s’enflamme — Mon influence au-delà des frontières!… — l’imagination s’échauffe — Alors on m’invite… Envoyé spécial de la Littérature Française (!!!), on me soigne, on me cajole, on m’invite à dîner, force libations et les dames s’inquiètent de ma profondeur subjective !… Je pontifie sans vergogne devant des foules ébahies !… 
     Bref, on n’en est pas tout à fait là. Quoique… Lorsqu’Andreï Doronine, auteur de l’inoubliable Trainspotting à la russe TranssiberianBack2black, traduit par votre serviteur, publia en 2018 mon Morphine Monojet, traduit par feu Kira Sapguir à qui je dois tant, les conditions étaient assez… rudimentaires. Andreï traînait dans un petit appart aux environs de Moscou où, en ce mois d’août caniculaire, il arrosait les plantes pour je ne sais quels vacanciers de ses amis, loin de tout, la zone. Et mon statut de vedette internationale? 
    Limonov était en tournée quelque part, Italie ou Haut-Karabakh, tous mes copains avaient fui la mégapole, pénible en été. Pénible toute l’année, d’ailleurs, comme toutes les mégapoles, il serait temps que l’humanité s’en rende compte. 
    Un peu plus réconfortantes furent les soirées de « présentation », comme on dit en russe, de mon roman-junkie. Jeunes filles et jeunes gens, s’étant frottés à l’enfer de la came très présent en Russie, étaient curieux de mon regard de vieux punk, ce que pouvait bien être « l’enfer de la drogue » au pays de cocagne, en 1979, chez les capitalistes !… Un shoot d’énergie, à Moscou d’abord, puis à Pétersbourg, à la librairie — existe-t-elle encore ?— Farenheit 451, au fond d’une cour, avant d’aller se taper la cloche dans un vieux restau de décoration soviet, rue Maïakovski, où les babouchkas qui servent sont le plus désagréable possible parce que c’est le style maison. Qu’on était loin du tapis rouge et du festival de Cannes !… Comme j’eusse pu être mortifié, en dépit de mon humilité native !… 
Le Contemporain


     Eh bien voilà, que toutes proportions gardées — ça recommence !… L’ami Krassimir Kavaldjiev, traducteur bulgare dont j’avais fait l’éloge pour Des Âmes vagabondes, anthologie de poètes symbolistes de Bulgarie aux éditions Le Soupirail, traduits par lui en français, exploit de traduction, vient de faire publier deux de mes nouvelles dans une revue de son pays. Les racines slaves me permettent sans aucun doute d’affirmer, malgré mon ignorance de la langue bulgare, que la revue s’appelle : Le Contemporain ! Comme je suis flatté : être contemporain, je ne pense qu’à ça, en dehors d’autres obsessions d’ordre moins admissible dont mes lecteurs, du reste, se contrebalancent. Dirty old man needs love too !… C’est un dicton américain. Grâce à Krassimir, je produis donc une vaguelette en… Bulgarie !… C’est ma Sainte mémé qui serait fière de moi, elle qui me traitait toujours de vaurien. En admettant qu’elle ne lise pas les nouvelles… 


    La première, Plus belle la Mort — détournement du titre d’une série télé française disparue — raconte l’assassinat d’un lobbyiste dans la bien critiquable UE à Bruxelles pr une tueuse aussi belle que machiavélique — un film noir. La seconde, intitulée Le Mécompte — parue dans la revue littéraire alsacienne Schnaps — imagine un coup d’État manqué par les services spéciaux occidentaux dans un pays de l’Est imaginaire (…), parce que les révolutionnaires se sont tirés avec la caisse, 400 000 $, versés par l’Ouest et jamais arrivés à destination pour soutenir le soulèvement. Ça n’aurait sûrement pas plu à ma grand-mère, ces allusions… Mais ma renommée à l’étranger, grâce à Doronine et Kavaldjiev ! Elle m’aurait peut-être pardonné, dans un accès de fierté familiale. Comme le lecteur le verra sur les photos, la femme du rédac-chef — tous deux écrivains — étend des ongles effrayants sur l’en-tête de la première nouvelle, où figure ma bobine… À quoi dois-je m’attendre en Bulgarie ?… Krassimir, protège-moi !… 
    Quoi qu'il en soit, il serait temps que la Phrance se rende compte que je la représente à l'étranger. Diplomate du peuple, m' avait-on surnommé à Nijny-Novgorod au Festival Gorki en 2018, et Notre Robespierre chez les '"Narcotiques Anonymes", à Kiev, en 2005.
     Thierry Marignac, juillet 2023.