4.4.25

La matraque des droits de douane

 

Une fois passés les ricanements à voir toute la classe dominante politico-médiatique euro-américaine pousser des cris d’orfraie en se dressant sur ses ergots d’hystérique — comme ça soulage de les voir trembler ! — on aimerait en savoir un peu plus long sur le psychopathe à brushing qui occupe la Maison-Blanche et ses intentions, malgré tout l’indéniable talent comique qu’on lui reconnaît. Notre ami Mark Ames, ex rédac-chef du magazine eXile de Moscou, qui dirige Radio War Nerd et a interviewé Seymour Hersh juste après les révélations de celui-ci sur le sabotage de Nord Stream était tout indiqué et a généreusement accepté de nous répondre :

 

 

Mark Ames

(Traduit de l'anglais par Thierry Marignac): 

Quelqu’un que j’ai connu répétait cette formule de sagesse politique qu’il tenait de Pat Buchanan. Buchanan était un chien d’attaque de Nixon et Reagan, intelligent, ami d’Hunter Thompson et sous bien des aspects le gourou du trumpisme. Il avait été candidat aux Primaires républicaines dans les années 1990, et avait choqué le parti. C’est ce que Trump a retenu. Bref, un jour en privé il a confié que l’un des axiomes-clés de la perspicacité politique était : quand on est au pouvoir, on n’attend pas qu’il se produise une crise. Il s’en produira toujours une et on est baisé, il faut y réagir. Au lieu de ça, il faut CRÉER les crises politiques l’une après l’autre. Alors ce sont les autres qui doivent réagir et on contrôle tout. C’est le style Trump, parce que cette stratégie plaît à quelqu’un comme lui qui adore son pouvoir et veut s’en servir à fond. Il est également TRÈS rancunier et veut se venger du « Russiagate » et des affaires judiciaires contre lui ainsi que de la façon dont les classes dirigeantes américaines et européennes ont fait trébucher son premier mandat. La vengeance est donc le second facteur. La vengeance compte pour beaucoup, particulièrement dans ses attaques contre les agences d’influence douce comme USAID, NED, etc. Et aussi contre tout ce qui est de gauche.

© Andreï Molodkine


Donc les droits de douanes sont la puissance. Il n’a pas tort là-dessus. Tout le monde est effaré et il faut qu’ils aillent le voir pour faire baisser leur tarif. C’est un type de l’immobilier, un seigneur des taudis, propriétaire de casinos et il a appris auprès de Roy Cohn. Il est étrange de voir un président qui aime ouvertement son pouvoir et a l’intention de s’en servir autant qu’il pourra ; nos présidents prétendent toujours être d’humbles serviteurs, de se servir « sagement » de leur pouvoir. Trump c’est plutôt « Putain, oui, j’ai le pouvoir et putain je vais m’en servir, ah, ah, ah. » Et pourquoi pas ?  Quand nous avons des présidents de la gauche bidon Obama ou Biden, ils répètent qu’ils ne peuvent appliquer aucune des promesses faites aux travailleurs sous prétexte qu’ils n’en n’ont pas le pouvoir, le système les en empêche. Ils mentent bien sûr mais c’est ce qu’ils continuent à vendre à leurs soutiens. Que les pouvoirs du président sont limités. Ce qui les dégage de toute responsabilité, ils peuvent poursuivre le statu quo et jouer à l’empire mondial, la seule chose qui les préoccupe.

Au sujet des droits de douane et les politiques qui encadrent l’usage qu’en fait Trump, l’autre truc, c’est sa vision de ce que la société devrait être. La première fois, il s’était présenté comme un populiste à la Jackson. Jackson était un populiste qui a défié la Second Bank Of America et les financiers, qui a élargi le droit de vote à tous les hommes sans tenir compte de leurs propriétés, il était haï par les élites. Cette fois, Trump dit que son héros est William McKinley, l’impérialiste des grosses sociétés qui écrasa le populisme au début du XXe siècle. McKinley est l’un de ceux qui ont démarré l’empire américain, qui ont maté la classe travailleuse et imposé de gros droits de douane pour aider ses soutiens financiers des grosses corporations. Trump dit que ce qui a ruiné l’Amérique c’est l’adoption de l’impôt sur le revenu progressif en 1913, qui était un des plus grands combats des populistes contre l’oligarchie américaine. L’adoption de cette mesure a pris une vingtaine d’années. Trump veut éliminer l’impôt progressif sur le revenu (les riches paient plus que la classe moyenne qui paie plus que les pauvres) et générer des profits à travers les droits de douane, ce qui revient au fond à faire payer en proportion les pauvres et la classe moyenne bien plus que les riches. Mais le problème, bien sûr, c’est qu’on n’est plus en 1897 ou 1920. L’économie américaine est très différente. Le libre-échange a défoncé la classe ouvrière, mais il a rendu le pays et sa classe dominante tout-puissants. Remplacer ça du jour au lendemain par des droits de douane écrasants, sans un grand plan à la chinoise d’investissement dans l’industrie locale, signifie tuer la domination américaine et les entreprises, provoquer une inflation massive, sans en tirer beaucoup de profit en échange. Alors, sauf coup de bol, il va en résulter un merdier énorme et qui va le rattraper. Et si c’est le cas, il aura à prendre une décision — peut-il faire la chasse aux médias et aux élections pour s’aider lui-même. Mon intuition est qu’il ne pourra pas. Tout le monde dans la classe dominante américaine s’est rallié à Trump cette année, voir à quel point ce sont des lâches était un spectacle choquant. Mais quand on se fait des ennemis de tous les oligarques et financiers, on ne peut que perdre. Le prochain « gamin perturbé » avec un fusil de chasse ne manquera pas sa cible.

Mark Ames, avril 2025