19.1.21

Lermontov, le cosmopolite…

 Mikhaïl Lermontov, quoique diablement russe, possédait une culture cosmopolite, et s’il revendiquait très ouvertement l’influence de Byron, notamment dans le poème épique Ismaïl-Bey, en romantique guerrier du Caucase, il était également inspiré par d’autres sources, surtout dans ses pièces de théâtre, moins connues en Occident que le reste de son œuvre. Il composa ainsi, à dix-sept ans, peut-être pour se délier en vue de projets plus grandioses, sa propre version d’Othello, située dans un milieu de joueurs des tripots, sous le titre Mascarade. Ce  fait d’arme éblouit la romancière Kira Sapguir, familière aux lecteurs de ces pages, aujourd’hui encore.

 S’essayant à plusieurs genres, il écrivit ainsi la tragédie castillane Espagnols, où le sang bouillant des Ibères, l’orgueil des Grands d’Espagne se consument en flambées passionnelles. Nous traduisons ci-dessous la singulière dédicace en vers qui ouvre le flamenco :

( ©Vers traduits du russe par Thierry Marignac)


Nocturne tumulte ©Evguéni Pinaïev



Ne repousse point mon faible talent,

Bien qu’ici j’exprime négligent

De l’âme, la chaleur indomptée

De la passion sauvage, la cendre révoltée.


Non ! Pour le monde, je n’ai pas écrit —

Il est étranger aux transports de l’inspiration

Non ! Ce n’est pas à lui que j’ai promis

Ma bien-aimée création.


Je le sais : il lui est indifférent,

Qu’à une âme pleine de mélancolie,

Qu’à un esprit plein de contentement

D’une vive corde l’instrument répondit.


Mais toi la femme tu m’a compris

De mes tourments, tu n’as pas ri,

Au contraire, d’un front plissé

Tu creusas des rides prématurées.


Comme se dresse sur la sépulture

Le jeune bouleau qui penche

Vers le granit une partie de ses branches,

Quand rugit un tonnerre nocturne !…

Mikhaïl Lermontov


ПОСВЯЩЕНИЕ



Не отвергай мой слабый дар,

Хоть здесь я выразил небрежно

Души непобедимый жар

И дикой страсти пыл мятежный.


Нет! не для света я писал —

Он чужд восторгам вдохновенья.

Нет! не ему я обещал

Свои любимые творенья.


Я знаю: всё равно ему,

10 Душе ль, исполненной печали,

Или весёлому уму

Живые струны отвечали.


Но ты меня понять могла,

Страдальца ты не осмеяла,

Ты с беспокойного чела

Морщины ранние сгоняла, —


Так над гробницею стоит

Береза юная, склоняя

С участьем ветки на гранит,

 Когда ревёт гроза ночная!..

Михаил Лермонтов.