Brochette d'auteurs russes éméchés, à l'époque du tsar |
Je crois que c’est l’auteur de Série Noire
DOA, qui citait, au titre des qualités indispensables aux romanciers « Une
bonne résistance à l’alcool ». Des amis mal intentionnés (je vous laisse deviner de quelle nationalité) m’ont fait
parvenir cet article paru au début du XXe siècle, sous le tsar, dans une
feuille de chou non dépourvue d’humour. Les mêmes amis mal intentionnés, et
c’était sans doute le but de leur envoi, ont ajouté : « Tu bois
comme les auteurs russes, du ‘Yorsh ‘ ». Le « Yorsh » est
le nom qu’on donne au mélange bière vodka, et c’est maintenant le nom d’une
chaîne de restaurants à Moscou, où Vladimir Kozlov, romancier, a pris l’habitude de m’inviter
quand je débarque en ville. (Dernière minute, la toujours pointilleuse et précise, sans compter estimée collègue Kira Sapguir, nous rappelle qu'il s'agit originellement du nom d'un poisson de l'espèce des percidés, nous laisserons le lecteur imaginer lui-même la métaphore aquatique).
Il s’agit
bien entendu d’une rumeur sans fondement, voire d’un coup monté par une
officine. Je n’ai pas la contenance d’un romancier russe, ça se saurait. En Glaçonnie, selon l'expression d'un de mes meilleurs amis, une jeune fille de dix-huit ans ira racheter une nouvelle boutanche, que vous serez déjà en réanimation pour coma éthylique. Alors un auteur local, laisse tomber, t'es mort…
COMMENT BOIVENT LES ÉCRIVAINS RUSSES :
CE QUE RACONTENT LES AUBERGISTES
(Traduit
du russe par TM)
EN JANVIER 1908 DANS LE JOURNAL « ROUSSKOE SLOVO »
(LA PAROLE RUSSE) PARUT UN FEUILLETON
CONSACRÉ AUX RAPPORTS ENTRE LES ÉCRIVAINS RUSSES ET L’ALCOOL.
Le périodique français La
Revue a conçu et réalisé une enquête sur le thème « Comment et que
boivent les écrivains français ? ». S’inspirant de l’exemple, un
journal pétersbourgeois a mené une enquête semblable chez les écrivains russes.
Et la conclusion qui s’impose, au final, c’est que ni les écrivains français,
ni les écrivains russes n’avalent dans leur bouche pâteuse une goutte d’eau de source
pure, se contentant d’en rêver. Nous ne savons pas jusqu’à quel point c’est
vrai en ce qui concerne les auteurs français, mais pour les les auteurs russes
nous avons décidé de mener une enquête audiatur
et altera pars. Comme dans ce cas précis altera pars se trouvent être les barmen des restaurants fréquentés
par les écrivains russes, nous nous sommes en toute première instance adressé
au barman du restaurant littéraire « Vienna ».
« Les auteurs boivent avant tout de la gnôle pure, mais
ne dédaignent pas pour autant la bière, qu’ils commandent toujours par grands
verres. Lorsque leurs moyens le leur permettent, les auteurs exigent volontiers
du cognac, préférant les mauvaises marques aux bonnes, qui sont plus chères. En
revanche, les écrivains russes boivent rarement des vins bon marché — seulement
quand on leur offre — ils n’ont pas beaucoup de goût pour les liqueurs,
préférant une deuxième tournée de cognac.
En ce qui concerne les zakouskis, les écrivains russes
exigent surtout ceux qui offrent la quantité à un prix moindre. Beaucoup d’entre
eux boivent sans manger ou bien accomplissent le rituel du Yorsh qui consiste à
accompagner chaque verre de vodka d’une gorgée de bière. Les écrivains russes
ne boivent pas d’eau minérale, mais exigent du kvass (boisson fermentée à très faible degré d’alcool), avec de la
glace.
Les écrivains russes boivent à crédit, bien que certains
paient rubis sur ongle en liquide, ou bien petit à petit, par traites. Il
arrive que les écrivains russes laissent un otage et viennent payer sa rançon
ensuite. S’il est question, comment dire, de la contenance, les écrivains
russes viennent tout de suite après les marchands, du reste le verre de taille
moyenne — plus répandu dans la société civile que celui des marchands — porte
chez nous le nom de verre d’écrivain. Certains écrivains russes boivent jusqu’à
la syncope, mais pour la plupart, ils se distinguent par une grande résistance
et ne sombrent pas dans l’incohérence. Une fois qu’ils ont bu, les écrivains
russes, soit s’embrassent, soit s’engueulent, mais certains prononcent des
discours sur l’art et racontent des histoires sur les avances qu’ils ont
gagnées et bues — ou bien qu’ils se préparent à gagner et boire. On remarque,
d’ailleurs, que les écrivains russes exagèrent de beaucoup le montant de ces
avances ».
Le
barman du restaurant Vienna.
AU « CAPHARNAÜM »
—S’il vous plait, dites-nous comment et ce que boivent les
écrivains russes ?
—De la vodka. Ils ne demandent pas beaucoup de zakouskis
pour accompagner. Certains, commencent par la bière.
—Et le vin ?
—Ils n’aiment pas ça. Les auteurs d’autrefois, eux, oui, ils
y comprenaient encore quelque chose, mais ceux d’aujourd’hui, ils ne veulent
que de la vodka.
—Ils boivent beaucoup ?
—Comme des trous. Pire qu’eux, il n’y a que les dockers.
AU FEDOROV
« Les écrivains russes
boivent au comptoir et en guise de zakouskis commandent des sandwichs à cinq
kopecks. Certains auteurs de best-sellers mettent du Picon, dans la vodka. Les
reporters demandent toujours que les petits pains soient brûlants, parce qu’ils
se sont gelés en chemin. Quand les acteurs et les écrivains se retrouvent, on
les installe autour d’une table ronde, sinon les coups de poing volent dans
tous les sens »
L’aubergiste
AU CUBA
« Les
écrivains russes ne commandent jamais de champagne, bien qu’il existe une
fraction d’entre eux qui, au contraire ne commande rien d’autre que du
champagne, y compris au petit déjeuner. Les écrivains russes commandent des
liqueurs en général inexistantes. Les écrivains russes ne dégustent pas, ils
boivent en rafale. Ils sont plus généreux en pourboires que les pétroliers, et
ne sont concurrencés sur ce plan-là que par les ingénieurs des chantiers
navals, encore plus munificents. »
Serveur d’un
restaurant de luxe
AU BUFFET DU THÉÂTRE
« —Oh, les
écrivains russes, ah, les écrivains russes… Qu’est-ce qu’ils ne seraient pas
capables de boire ! Ils ne boivent pas encore de gin et ne commandent pas
de pale ale. Mais on y viendra !
L’écrivain russe boit tout, l’écrivain russe boit abondamment, l’écrivain russe
a besoin d’un crédit important parce qu’il contient beaucoup.
—Et les dramaturges russes, ils boivent aussi ?
—Même les poules boivent, alors pourquoi pas les dramaturges
russes ? Mais sa contenance le place en quatrième position. Les
publicistes occupent la première, ensuite les auteurs de best-sellers, puis les
poètes, et ensuite seulement viennent les dramaturges. »
Tels furent les résultats de notre enquête impartiale. Au
lecteur d’en tirer ses propres conclusions.
Vladimir Azov,
Pétersbourg, 1908.