14.7.25

Le bellicisme à la mode de ceux qui n'iront jamais se battre

 

Je ne suis pas fou de Breton, loin de là. Mais, comme critique, il était parfois judicieux et Jacques Vaché, révolté sans pareil, était le héros de nos jeunesses sans merci. À une époque où l'idéologie devenue folle nous précipite vers l'apocalypse, les lignes ci-dessous sont précieuses, il s'agissait déjà d'une hécatombe, la Grande Guerre:

 


 "La strelitzie aux doigts, l’esprit même de l’humour remonte en marchant sur des œufs le cours des années de la « dernière » guerre, le corps bien de face et le visage de profil. Nullement abstentionniste, cela va sans dire, il arbore un uniforme admirablement coupé et, par surcroît, coupé en deux, uniforme en quelque sorte synthétique qui est d’un côté, celui des armées « alliées » de l’autre, celui des armées « ennemies » et dont l’unification toute superficielle est obtenue à grands renforts de poches extérieures, de baudriers clairs, de cartes d’état-major et de tours serrés de foulards à toutes les couleurs de l’horizon. Les cheveux rouges, les yeux « flamme morte » et le papillon glacial du monocle parfont la dissonance voulue continuelle et l’isolement. Le refus de toute participation est aussi complet que possible, sous le couvert d’une acceptation de pure forme poussée très loin : tous les « signes extérieurs de respect » d’une adhésion en quelque sorte automatique à ce que l’esprit trouve précisément le plus insensé. Avec Jacques Vaché plus un cri, pas même un soupir : les « devoirs » de l’homme, dont toute l’agitation de l’époque entraîne à prendre pour type le « devoir patriotique » défient jusqu’à l’objection qui, à ses yeux, serait de bien trop bonne grâce. Pour trouver le désir et la force de s’opposer, encore faudrait-il être moins loin de compte. À la désertion à l’extérieur en temps de guerre, qui gardera pour lui quelque côté palotin, Vaché oppose une autre forme d’insoumission qu’on pourrait appeler la désertion à l’intérieur de soi-même. Ce n’est même plus le défaitisme rimbaldien de 1870-71, c’est un parti-pris d’indifférence totale, au souci près de ne servir à rien ou plus exactement de desservir avec application. Attitude individualiste s’il en fut. Elle nous apparaît comme le produit même, le produit le plus évolué à cette date, de l’ambivalence affective qui veut qu’en temps de guerre, la mort d’autrui soit considérée beaucoup plus librement qu’en temps de paix et que la vie de l’être devienne d’autant plus intéressante que celle de l’ensemble est moins généralement épargnée. Il y a là un retour au stade primitif qui se traduit en moyenne par la réaction « héroïque » (le surmoi chauffé à blanc parvenant à obtenir du moi son désistement, le consentement à sa perte)…

André Breton, Jacques Vaché, "Anthologie de l'humour noir"