1.10.14

Limonov et Placid, plume et pinceau d'une grinçante satire du siècle…

J’Y ÉTAIS – couverture du livre paru chez Alain Beaulet éditeur
Demain soir jeudi 2, inauguration de l’exposition du même nom et signature du livre,

Librairie Galerie Le Monte-en-l’air
71, rue de Ménilmontant / 2, rue de la Mare
75020 Paris

        
         Il y a les artistes officiels, qui cirent les pompes, on leur tresse des lauriers, dans les médias, laquais aux ordres. Ils n’ont pas tellement le temps de s’occuper d’art, faire fonctionner le réseau, pour ceux qui sont nés dedans, ou grimper les échelons, pour les roturiers qui doivent s’ouvrir un chemin à force de bassesses — ça demande une attention de tous les instants, une servilité sans repos. Ils n’ont pas beaucoup le temps de travailler, comme disait Céline.
         Et puis, il y a les pigeons, qui n’ont d’autre souci que l’art pour l’art. On en parle moins, voire pas du tout, ou bien très négativement. « Quels caves » pensent les premiers, qui attendent retour sur investissement. Il arrive — rarement — que les seconds finissent par percer, à force d’acharnement, c’est le cas de mon ami Limonov, longtemps ignoré. C’est moins vrai pour un Placid, qui poursuit son exégèse du réel, avec des milliers de dessins, dédiés au théâtre de l’absurde du quotidien, et sans compromis, par pure passion incompréhensible, dans une époque où la mesquinerie s’intitule « marketing ». Pourtant, Placid, que je connais depuis presque aussi longtemps que Limonov, a su développer un art du grotesque et de la satire, qui me paraît ce soir bien proche du regard clinique à la simplicité déconcertante de Limonov, dans ses meilleurs moments.
Parti d’une admiration de jeune peintre pour Grosz et l’expressionnisme, Placid a réussi à en faire un style contemporain, inimitable, et, si étrange que ça puisse paraître, il me semble qu’il existe bien des coïncidences, entre son art et celui du Limonov d’une certaine période, dont je donne un exemple ci-dessous. Comme on peut envier, ces grands fonctionnaires des Lettres (ou des Beaux-Arts) pleins aux as — ne me forcez pas à donner des noms — quand, humblement, on cherche à créer une sous-culture de sans-parti. Comme l’oseille qu’ils s’embourbent nous serait utile. En cela, le Limonov de 1981 (jaloux de Brodski, le Prix Nobel!…), le Placid d’aujourd’hui, et, présentement, votre serviteur, ont bien des points communs.
Il est certes bien tard pour y engager nos lecteurs, mais de grâce, si vous en avez l’occasion, foncez demain voir Placid, dans sa librairie de Ménilmuche, et embrassez-le de ma part !…


ЗАВИСТЬ
         Иосифу Бродскому по поводу получения очередной денежной премии
         В камнях на солнце рано
Лежу как обезьяна
Напоминая мой недавний бред
Между камнями па песке скелет
Большой макрели. Чайки Тихоокеана
От рыбы не оставят мяса. Нет.
Волна в волну, как пули из нагана
Вливаются по воле их стрелка
Как Калифорния крепка!
И частной собственностью пряно
Несет от каждого прибрежного куска.
«Кормить немногих. Остальных держать в узде.
Держать в мечтах о мясе и гнезде» —
Мне видятся Вселенского Закона
Большие буквы… Пятая колонна
Шпион. Лазутчик. Получил вновь — «На!»
И будет жить, как брат Наполеона,
Среди других поэтов, как говна…
«Тридцать четыре тыщи хочешь?»
Я крабу говорю, смущён.
«Уйди, ты что меня щекочешь!»
И в щель скрывает тело он.
Я успеваю вслед ему сказать:
«Тридцать четыре перемножь на пять».
 
. . . . . . . . . . . . . . .
Какой поэт у океанских вод
Вульгарно не поглаживал живот
Мы все нечестен. Каждый нас смешон.
А все же получает деньги «он»
Мне интересно, как это бывает
Что все же «он» все деньги получает.
 





. . . . . . . . . . . . . . .
Подставив огненному солнцу все детали
И тело сваленному древу уподобив
Лежу я, джинсы и сандали
На жестком камне приспособив
И чайка надо мной несется,
И, грязная, она смеется,
В камнях всю рыбу приутробив
«Что ж ты разрушила макрель?»
Я говорю ей зло и грубо.
Она топорщит свою шубу
И целит, подлая, в кисель
Оставшийся после отлива
Прожорлива и похотлива
Как Дон-Жуан косит в постель.
 
. . . . . . . . . . . . .
Мне все равно. Я задаю вопросы
Не потому, что я ищу ответы
Не эти чайки — мощные насосы
Говна и рыбы. Даже не поэты
И нет, не мир, покатый и бесстыжий
Мне не нужны. Смеясь, а не сурово
Я прожил целый прошлый год в Париже
И, как эстет, не написал ни слова
. . . . . . . . . . . . .
Однако б мне хватило этих сумм



L'ENVIE
DE EDWARD LIMONOV
(TRADUCTION TM)
À Yossip Brodski, qui vient de rafler un nouveau prix littéraire très lucratif.

Tôt le matin, au soleil, sur les pierres plates,
Allongé comme un primate
Souvenir récent de mon trouble psychique
Entre les galets, sur le sable le squelette
D’un gros maquereau. La mouette de l’Océan Pacifique
Aucune chair n’a laissé du poisson. Pas une miette.
Vague contre vague, comme on vide un chargeur,
Se succèdent et s’écoulent, au rythme du tireur,
Que la Californie est coriace !
L’épice de la propriété privée
S’exhale de chaque tranche de rivage détachée.
« En nourrir quelques-uns. Garder les autres dans la nasse.
En laisse dans des rêves de nid douillet et de viande grasse ».
La Loi Universelle sous mes yeux défile
En lettres capitales… Cinquième colonne
Il en a eu encore un. Ah ! Transfuge. Espion.
Il vivra comme le frère de Napoléon.
Parmi d’autres poètes, de la crotte en personne…
Tu les veux, les trente-quatre mille ?
Je parle au crabe, tourmenté.
« Vas-t-en, pourquoi viens-tu me chatouiller ? »
Alors il se cache dans une anfractuosité.
Je parviens tout même à lui glisser :
« Trente-quatre mille par cinq multipliés ».
Quel poète, devant les eaux océaniques
Ne s’est gratté le ventre avec vulgarité
Nous sommes tous malhonnêtes. Nous sommes tous comiques.
Mais c’est quand même  « lui » qui rafle le pognon
Il m’intéresse de savoir quelle en est la raison
Que ce soit toujours « lui » qui rafle les picaillons.
Étalant les détails sous un soleil brûlant
Comme un arbre abattu, mon corps gisant
Allongé, en jean’s et en sandales
Sur des pierres durailles m’installant tant bien que mal
Au-dessus de moi, la mouette mène le bal
Et elle éclate de rire, et elle est sale
Éventrant les poissons contre les galets
« Pourquoi massacres-tu ce maquereau qui ne t’a rien fait ? »
Je lui parle avec rudesse et méchanceté
Et aussitôt sa blanche pelisse s’est hérissée
Et fonce en piqué vers une écume proche de la gelée
Vestige de la marée
 Lascive et dévorante
Comme Don Juan au plumard cligne des yeux, en attente.
Ça m’est égal. Je me pose des questions
Pas pour chercher des solutions
Pompes puissantes — il ne s’agit pas des mouettes
À crottes et à poisson. Il ne s’agit même pas des poètes
Ni du monde, orienté, impudent
Je m’en tape. Je ris, même pas sévèrement
À Paris j’ai vécu toute l’année dernière
Sans écrire un seul mot, comme un esthète fier
Mais ce fric m’aurait comblé, cependant.

ÉDOUARD LIMONOV, 1981.