JÉRÔME LEROY DÉBLOQUE À LA SÉRIE NOIRE (J'VAIS T'EN REFILER!)
Le
grand jour, que je reculais quotidiennement depuis quelques semaines, est
arrivé : chroniquer le livre de Jérôme portant sur l’extrême-droite, à la
SN. Plusieurs raisons à ma valse-hésitation, mais j’avancerai tout d’abord
celle qui figure pour moi en haut de la liste : il n’est un secret pour
personne que mon Fasciste, paru en
1988, m’a valu une casserole que j’entends résonner aujourd’hui encore à mes
basques. Mon refus de me justifier à l’époque, moi qui n’ai jamais milité nulle
part, en était la raison essentielle. Que la provo reste une provo. Mon
éditeur, Olivier Cohen, fasciné au premier abord par le bouquin, avait suggéré
de l’intituler Le Fasciste ou Un Fasciste, pour s’en distancier. Pas
question, avais-je répondu avec l’arrogance de la jeunesse. Par la suite avec
sa clique, il devait saboter le bouquin, qui ne se vendit correctement qu’en
poche, chez Pocket. En effet, son accès média, constitué de la gauche qu’on
n’appelait pas encore caviar, en
dépendait. Les éditeurs font souvent preuve de ce genre de panique. J’ai connu
ça plus tard avec Guérif (Rivages/Noir), et avec Masson (SN), lorsque j’ai osé
défier la chapelle manchetto-ellroyenne du polar, celle, constituée de
médiocres, qui a besoin d’une doctrine pour écrire, ceci expliquant cela. Donc, il s’agit d’un souvenir mi-figue,
mi-raisin. Pas travaillé pendant deux ans, ensuite. Crevé la dalle. Bon, j’en
suis fier évidemment, mais surtout a posteriori— Un léopard meurt avec ses taches comme dit Jérôme Leroy, sale type qui a
réponse à tout. L’affaire restait un hématome, tout de même, dans ma mémoire.
LA NUIT
DES LONGS COUTEAUX
Jérôme
Leroy a repris dans Le Bloc
l’équation de l’échec du romantisme en politique et des purges qui s’ensuivent,
qui était le thème de Fasciste, et
dont il me devait me dire, il y a quelques semaines : Oui, Thierry, La Nuit des Longs Couteaux, quel autre sujet ?
Prouvant par là sa finesse, et notre communauté de vues spontanée. Pourtant
Leroy est communiste et militant, il
pense que sa prose porte une partie de l’horrible
travail à infliger au Vieux Monde,
et Dieu sait que j’objecte. Pour le romancier, les idées sont matériaux de rêve
et non outils pour l’action, si « engagé » qu’il se déclare. J’en
veux pour témoin mon ami Limonov manœuvré à tous les carrefours par les
briscards de la politique, et si on peut lui pardonner Douguine, génie
théoricien parlant neuf langues, comment lui pardonner Jirinovski, médiocre
bureaucrate mûri sous les soviets, histrion de seconde zone ? Le seul
succès de Limonov — mais il était de taille — ami qui me valut lui aussi tant d’inimitiés,
c’était d’avoir réussi, dans le cauchemar des années Yeltsine, à constituer
quasiment le seul pôle
contre-culturel dans son pays de troubles et d’ignorance. Mais c’est encore un
succès d’écrivain, fût-il politique au énième degré.
Amis
depuis deux décennies, nous partageons, Jérôme Leroy et moi, loin d’être
toujours d’accord, cette histoire déchirée des lettres, du continent
d’abondance en perdition où nous vivons — régulièrement brouillés, puisque
c’est un militant, et personnellement, je suis un engagé de l’anti-engagement.
CADRE-COMMANDO
Il
devait, avec Le Bloc dédoubler en
deux personnages le concentré de violence et de rêverie que j’avais placé pour Fasciste entièrement chez le bourgeois
perdu Rémi Fontevrault — réminiscence
inconsciente de Genet, le Journal du
voleur : …De toutes les
centrales de France, Fontevrault, je crois, est la plus troublante. Il
reprenait l’Histoire où je l’avais laissée : la désindustrialisation qui
nous donne le lumpen du Nord de la France bientôt rouage essentiel, cadre
commando, Et le tour tordu qu’ont pris
tous les rêves du monde sans issue de lavie.com nous donne l’intellectuel revenu de
l’engagement (Jérôme !… Tu ne recules devant rien, tu devrais avoir honte !…),
Pygmalion du bas du front nordiste dont il a fait un soldat d’élite— avant de
le vendre finalement pour la femme
leader du parti, un trait de l’intrigue où je vois pas mal de ruse de la part
de l’auteur en quête d’une histoire à la hauteur de son originalité. Pour des
raisons de goût et d’esthétique, je n’aime pas beaucoup le : Je suis devenu fasciste pour un sexe de
fille. J’admets toutefois, que c’est une première phrase spectaculaire, ce
qui a sa valeur en soi, que l’âge m’a
peut-être rendu puritain, ce qui est inquiétant, et contrairement à ce que j’ai
lu jusqu’ici, j’y vois une vraisemblance. On a reproché à cette phrase de ne
pas être crédible puisqu’une femme leader politique a autre chose à faire. Eh
bien, au-delà de DSK — grand-bourgeois partouzard tout à fait classique qu’on
aurait absous de ses péchés comme on exonère tout un chacun dans ces univers
politiques de faux-semblants, s’il n’avait été un enjeu vital au FMI— je ne
vois pas pourquoi les femmes n’auraient pas elles aussi une fringale sexuelle
décuplée par l’ambition. Je ne vois pas pourquoi un rêveur congénital comme
l’intellectuel qui lui sert de mari ne serait pas fasciné lui aussi, par
rebond, par ce vertige de pouvoir. Au contraire, je pense que c’est une
habileté supérieure de raconteur d’histoire chez Leroy qui met en place un
mécanisme aussi subtil — et menant à la trahison d’un ami homosexuel. Mais tout est déjà depuis
longtemps délavé des fantasmagories grandioses de leurs débuts sur le théâtre
du monde, et de l’extrême-droite. C’est le monde d’après.
SANS
MERCI
Je note
également que c’est un des meilleurs romans de Leroy, ne serait-ce que pour une
simple raison : cette regrettable manie de la référence, il s’en sert ici
de main de maître, elle est un élément de l’histoire qui a droit de cité. Dieu
sait que je l’ai critiqué pour ces références constantes qui détournaient le
lecteur de l’affaire en cours. C’est Jack Vance, auteur du genre de SF des
années 1970 dont Leroy se réclame, qui ne voulait jamais qu’on le représente ou
qu’on parle de lui, en se justifiant en ces termes : C’est déjà assez dur comme ça de faire avaler à un lecteur l’univers
que vous lui proposez, sans s’interposer entre son imagination et votre roman.
Parole d’Évangile, selon moi. Mais ce roublard de Leroy et sa culture
littéraire de droite ont réussi à servir son dessein cette fois avec une
justesse confondante.
Je
remarquerai encore, que saisi par le livre — à mon corps défendant — je l’ai lu
en une seule nuit, en raison d’une certaine qualité d’âpreté sans merci que
Leroy avait rarement concentré avec tant de violence et d’efficacité dans ses
livres « communistes », mais c’est surtout pour lui tirer la bourre.
(Le
Bloc, Jérôme Leroy, Série Noire, Gallimard, vous verrez bien le prix vous-mêmes).
THIERRY
MARIGNAC, NOVEMBRE 2011.