Guest stars

22.11.24

Limonov l'avait bien dit!…


 De Russie nous parviennent ces vers de mirliton, assez drôles, vu le contexte actuel, où de part et d'autre on se menace des pires conséquences!… L'humour étant "la politesse du désespoir", rions avant d'être pulvérisés!…

(Traduit par TM)


Пока у русского солдата есть сало,  спички, самогон, 

Cосите х.. солдаты НАТО, дрожи от страха Пентагон.


Tant que le soldat russe a de la gnôle, du lard et des allumettes

Allez vous faire mettre les soldats de l'OTAN, Pentagone, tu trembles — les miquettes.


каждый натовский приспешник 

должен помнить про " орешник"


Chaque acolyte de l'OTAN

De 'l'orechnik"doit se souvenir. obligatoirement


13.11.24

À la lumière d'une neige lente

     Ci-dessous le second poème de Biatcheslav Popov que nous publions, l'extrême concision de l'auteur et la brutalité de ses images le rapproche d'un certain art japonais que nous nous abstiendrons de nommer, trop d'imbéciles s'en réclament…

    Des vers qui conviennent à l'automne finissant… Et à cette sanglante saison historique.

    (Traduit du russe par Thierry Marignac)





Voici ce corps si allongé 
Par la douleur de rayons traversé 

 Il ne voulait pas mourir 
En ruisseaux, il se changeait 

 Foulé aux pieds, il gisait 
À se rider, à murmurer, à fuir 

 De la mémoire, la transparente aiguille 
Le verre brisé de la vie en vrille. 
 
вот длинное длинное тело 
пронзенное болью лучей 

 оно умирать не хотело 
оно превращалось в ручей 

 оно под ногами лежало 
рябило журчало текло 

 прозрачное памяти жало 
разбитое жизни стекло

Вячеслав Попов

31.10.24

Jethro Bare, tireur d'élite

© Pictur-Al-Art

 

        TIREUR LONGUE DISTANCE

    de Jethro Bare 

    Une gorgée d'eau. Encore quelques gouttes sur la langue. Une vague fraîcheur sur le palais. De quoi lubrifier le fond du gosier. Déglutir sans difficulté avant le moment fatidique, au cas où, que l'élément qui déconcentre n'existe pas. Coudes de pierre. Il faut les décoller avant de peser une tonne. Par un mouvement lent et régulier, j’irrigue l'extrémité de mes membres supérieurs. L’index, c'est ma vie et celle des autres. Si mon sens du toucher est altéré, je serais perdu dans les quelques millimètres qui me séparent de cette libération tant attendue. Je me retiens. Je me retiens de tout. Je suis un être de retenue. Je bois peu mais je pisse tout de même. Plus tôt, je pouvais me relever pour faire plus loin. Plus tard, j'ai pu remplir deux bouteilles d'un demi-litre, en chien de fusil. Ironie quand tu nous tiens. Je repense à la scène du film l'Étoffe des Héros dans laquelle un astronaute mouille sa combinaison, et la chaleur liquide alourdit mon pantalon cargo. Les degrés ne cessent de monter, la fatigue s'accumule, l'immobilité favorise mon ennemi numéro un : le sommeil. Si je pique du nez, si je cède, je risque de ne jamais plus me réveiller. Ou alors, dans des champs trop clairs. Ceux que je fuis, ceux que j'espère. 
    Je vois loin. Œil propre, lunette propre. Je suis équipé. Les indispensables, les choses utiles et les grigris, à leur place. Dans ma poche arrière gauche, j'ai toujours un petit paquet de lingettes nettoyantes, si possible au lait. C'est devenu une obsession. Dans tous les cloaques que je visite, c'est mon lien avec la civilisation. Dans la même poche, il me reste une pipette de Dacryoserum en spare de mon IFAK*. Je ne clignerai pas. Je me suis remis à cloper durant le dernier tour. Je n'ai pas envie d'arrêter à nouveau. Le goût du tabac me rappelle de bons moments hors du merdier. Je cours toujours. Mon amplitude pulmonaire est intacte, je gère encore. Je suis le plus dangereux apnéiste de surface que ces épouvantails de chair et de chiffons aient connu. C’est ma force. 
    Mathieu est en bas de l'escalier. En vingt-quatre heures, je ne suis allé le voir qu'une fois, sans le toucher. Il est en boule, sur la dernière marche, la tête à l'envers dans son casque. Une drôle de position d'enfant maltraité pour ce fortiche qui me battait sportivement en tout. L'odeur de géranium de son sang est collée dans mes narines, plus que celle de mon urine séchée. J'aimais ce mec, et je l'aimerai longtemps. Ça bouge en face. Les enfoirés vont changer de position. Moment de vérité. Les leçons apprises deviennent une seconde nature à force de faire le turf, l'émotion laisse place à la routine mécanique. Je n'ai plus de spotter mais je vais trouer leur chef en plein milieu. C'est toujours la même balle. C'est toujours une balle différente. Expiration... feu... bang ! C'est lui qui expire maintenant. Toute mon attention, toute mon intention, tout mon être suit le projectile le temps d'un souffle. Le prochain est déjà chambré, j'inspire et tout devient blanc. Les champs clairs ? Déjà ? Je suis emporté par le haut, léger comme une plume. La pesanteur revient d'un coup. J'ouvre les yeux, toujours aussi calme. Le doc’ me dit que j'ai eu de la chance car la balle a traversé. J'ai touché l'inconnu d'en face et un autre inconnu d'en face, plus loin m’a touché aussi, pareil. La vie en apnée. Combien de temps aurai-je encore assez de souffle ? Vivement les champs clairs. 

 *Individual First Aid Kit

19.10.24

L'exposition "Observation" de Placid à Paris


 


Un artiste en état d’observation 

Daniel Mallerin 

    Ça commence par un exploit : dans l’espace minuscule et biscornu de la librairie galerie Actualités (15 rue Gay-Lussac), Placid a réussi à accrocher avec une rigueur martiale et une lisibilité percutante près d’une centaine de ses « paysages » (dessins et gouaches) minutieusement chiadés – comptes rendus des missions d’observation qu’il se confie à lui-même. 
    L’exposition dure jusqu’au 16 novembre. Dénommée Observation, elle est une déclinaison de l’aventure lancée il y a un an environ par Michel Lagarde avec la publication de l’album Ville, Mer, Campagne – 141 paysages de France à la gouache. L’aventure consiste à exploiter de librairie en librairie les pépites de conversation que féconde l’art d’observation de Placid – conversations délicieuses réarmant par leur simplicité la passion, jamais assez assouvie, d’observer l’espace commun. 
 
    Le calcul du peintre sur le motif 
    Il faut dire que l’artiste a inventé un truc tout simple, mais sensationnel, auquel on n’avait pas encore pensé depuis l’invention de l’imprimerie : réaliser des peintures sur le motif en prévision de leur reproduction imprimée, donc du regard d’un lecteur. 
     Un calcul original au résultat incroyable : absorbant le regard du peintre dès les premières images-paysages, le lecteur de Ville, Mer, Campagne (VMC pour le club des souteneurs) éprouve des sensations, délicieuses et furtives, de satiété visuelle qui lui sont intimement familières. Il reconnaît le paysage avant de le regarder, de l’observer et d’en dominer tous les signes. « C’est ça, exactement ça, dans les moindres détails » ! a-t-il envie de s’écrier tant la réalité se montre plus réelle que réelle. 
     Si l’hyperréalisme discret de l’artiste remue de l’enthousiasme c’est d’abord en raison de la familiarité visuelle que dégagent les 141 images-de-paysages découpées par Placid dans l’espace commun que le titre désigne. L’aubaine en librairie : on n’a encore jamais vu la France traitée de cette manière, ni dans un livre, ni dans une œuvre picturale. 
     Un des aspects de la rareté de l’ouvrage est certainement que Placid a pu poursuivre jusqu’au bout son calcul en réalisant lui-même sa mise en page – terme insuffisant à traduire la subtilité et la complexité du défi dans la sobriété de ses apparences. 
 
    VMC 
    Trois sections d’inégales longueurs chapeautées d’un bref bruitage lexical de Françoise Geslin (poète qui dit Oh maman quand on la touche), une conversation avec l’expert Alexandre Devaux en guise d’introduction et 141 légendes réduites au lieu et à la date de réalisation de chaque peinture. Tout est là, sans surplomb, le reste est télescopages et enchainements visuels, une forme de réalisation artistique non répertoriée. 
    L’objet même – son toucher chaud moelleux, son incroyable malléabilité et sa mélancolique allure d’almanach – renforce l’intime familiarité des paysages. Le charme précède l’ébouriffement cérébral : une forme de petit bonheur ramené de loin dans l’enfance. Les paroles nous échappent, l’air nous rattrape : nous avons toujours vu ces paysages de mer et de campagne comme nous connaissons par coeur la grammaire visuelle des villes. C’est un plaisir jalousement gardé, un petit bonheur français comme dans les chansons et les poèmes. 
    Sur cette pente douce, on entre dans le jeu de l’observation avec une attention croissante pour les enseignements visuels des peintures sur le motif en prenant conscience de l’infirmité commune du regard, comme de l’exquise possibilité d’y remédier. 


 
    Paysages urbains 
    Les paysages urbains sont à ce titre spectaculaires car saturés d’objets dont le pinceau fait saillir hypnotiquement tous les aspects – design, matériaux, couleurs, volume, etc. – en même temps que leurs combinaisons dans l’espace public. Jamais on n’aura perçu avec autant d’acuité les revêtements du sol, les grilles d’égout, l’arsenal du mobilier urbain, les variétés de matériaux, les gestes architecturaux, etc., toutes ces choses qu’on regarde sans vraiment les voir et que Placid représente avec une franchise libératrice. Un par un, ces arraisonnements hyperréalistes nourrissent une jubilation esthétique inconnue jusque-là dans l’histoire de l’art. L’enchantement engendre une activité mentale féconde : une compréhension nouvelle de l’ordonnancement urbain, une forme vive et élémentaire de réappropriation. 

    Mer et campagne 
    Les paysages de mer et de campagne offrent de semblables fascination et délectations tout en s’accordant à d’autres registres de sensibilité, d’autres traces mnésiques. La sensation des étendues comme de la gouvernance du ciel devient prégnante. Cependant la théâtralité de la scène d’observation, qui saute aux yeux dans les paysages urbains, demeure ostensible. Leur franche lisibilité, leur force tranquille, frappe le citadin à la vue fatiguée et saturée. Il réalise soudain la sidérante différence entre ces miniatures sur le motif pleines d’intentions et le subjectivisme démonstratif des représentations classiques du paysage dont il a été instruit par les boîtes de chocolat et les musées. 
     La préoccupation constante de Placid est de rapporter tout paysage champêtre – griffé par les lignes à haute tension et les poteaux électriques, parsemé de panneaux signalétiques et de meules emballées de plastique bleu – à son façonnement séculaire, son imperturbable horlogerie humaine. 
     La leçon d’observation se double d’un documentaire méticuleux sur ces aspects de la France qui sont parmi les plus ordinaires ou les plus discrets. 



 Précis de décalage 

    Le documentaire saisit d’abord la palpitation vitale de chaque « mission » d’observation, son accomplissement dans le temps. Le temps qu’il fait dans son ballet de lumières, le temps des saisons balayant les territoires de France, le temps que dégorge la nature jusqu’à ses pathétiques ersatz urbains, le temps de l’Histoire incrustée dans la moindre pièce du puzzle national et puis le temps de l’action elle-même – la traque du motif et l’exécution de la tâche – dont la date en légende scelle l’irréductibilité. 
     Chaque image matérialise une journée du peintre sur le motif entre 2009 et 2023, un hier-aujourd’hui renforçant singulièrement la familiarité de ces divers aspects de la France observés. 
    Placid choisit toujours des aspects ordinaires en jouant en permanence sur le décalage entre la réalité et les archétypes du « paysage national ». Sa façon de résister aux « images toutes faites », comme au formatage des esprits opéré par l’envahissement des images numériques. Un décalage entraîne l’autre, celui que produit pour le lecteur le déroulement non chronologique d’un ouvrage qui tient pourtant du journal/almanach de voyages. Tant et si bien que VMC parait définitivement inclassable sauf à le comparer à un recueil de « poèmes topographiques » de Jacques Réda. La comparaison vaut pour ceux qui apprécient l’un sans connaître l’autre et souligner la rigueur et la subtilité des compositions qu’un petit défaut de fabrication souligne. 
    La moire des détails – le sortilège hyperréaliste de la gouache – étant ternie, l’armature de l’image ressort en force rappelant le calcul initial de Placid, sa conception de la peinture sur le motif – exigeante comme la métrique d’un poème. 

     Précis de composition 
    C’est bien la composition qui dévoile la malice du pari : découper dans le paysage une image autonome capable de se faufiler partout dans la galaxie Gutenberg. Le magazine MLQ en a fait récemment la démonstration édifiante en publiant une série de paysages à la gouache imprimées en bichromie, transgression faisant ressortir leur ossature ou dramaturgie. 
    L’approche est nécessairement frontale : on ne regarde pas le doigt qui montre le motif, l’angle de vue n’est pas à voir, tout doit être exact, aucun enjolivement ne se peut, seuls comptent la minutie et la réplétion de l’image. C’est elle qui engage les défis infiniment renouvelés de la composition, rapportant la réalité observée à l’univers de la représentation – le miroir du monde. 
     
    Du baroque l’ordinaire 
    Au jeu de l’observation de l’observation, le lecteur se voit dénicher dans les formes, volumes et couleurs de chaque paysage la trace subliminale d’une autre peinture – abstraite, fauve, cubiste, etc. – ou quelque accointance avec le minimalisme millimétré d’un dessin de presse ou d’une case de bande dessinée. 
     Ces correspondances aléatoires sont parties prenantes du jeu, même s’il n’est pas indispensable pour ressentir les effets spéciaux de la composition, son harmonie anti-lyrique, baroque pour la multiplicité des formes qui la criblent – celles que le regard ordinaire enregistre sans voir, celles des objets qui n’épuisent pas leur sens dans leur matérialité et leur fonction pratique (Baudrillard) – et la simultanéité des interactions entre les éléments du paysage, entre le motif et le peintre et, enfin, entre le peintre et le lecteur (ou l’amateur d’art quand il s’agit d’observer la peinture en vrai). 
    La foultitude de perceptions engendrées par un seul et banal sujet d’observation est un paradoxe d’autant plus captivant que l’on y perçoit toute l’intention sociale du défi : une peinture n’exigeant aucun code d’entrée, une peinture démocratique, une peinture de maintenant la France, une peinture qui renseigne, une peinture renouvelant notre chère tradition des « paysages de maison », une peinture pour apprendre à mieux décrypter l’environnement ordinaire, une peinture utile aux enfants, une peinture résistant au rouleau compresseur des images numériques, une peinture anti google-maps, anti carte postale, anti touristique, une peinture délivrée du narcissisme artistique, une peinture convoquant la réflexion, une peinture faite pour la conversation, une peinture libre, modeste et généreuse, une peinture que la Compagnie Ouïe dire, basée dans la périphérie de Périgueux, emploie comme le vecteur d’expérimentations sociales inédites entre musées et cités HLM, une peinture qui a fait de l’auteur de VMC un troubadour des temps modernes. 

Observation - Exposition de Placid jusqu’au 16 novembre Librairie-Galerie Actualités 15, rue Gay Lussac, 75005 Du mardi au samedi, de 14h à 19h

9.10.24

Le bruit d'ailes de quelque héron dormant sur ses pattes…

 


    …écrivait Barbey d'Aurevilly dans "L'Ensorcelée". Ici c'est un certain Viatcheslav Popov qui ouvre une suite à la superbe concision: "À la lumière d'une neige lente", par ce court poème:

(Vers traduits par TM)


    L'âme dans le ravin descend,

    Comme, embrumé, un héron blanc

    Son cafard d'une transparente obscurité,

    En goutte énorme fait trembler

    Son cafard pas à pas

    S'alourdit et s'accroît

    Le brouillard peu à peu disparaît

    La mort est tout près

    Mais le héron est sans regret.






душа спускается в овраг
туманной белой цаплей
ее тоски прозрачный мрак
дрожит огромной каплей
за шагом шаг ее тоска
растет и тяжелеет
туман все реже
смерть близка
но цапля не жалеет

Вячеслав Попов

    

    

29.9.24

Saison mentale, disait Appolinaire

 

Brises alezanes.

Fil d'or repris sur ornements de cuivre
La brise chavire les cimes aux oiseaux ivres
Les robes alezanes juste sous ta couronne
Rendent ton port altier, et moi, fauve à l'automne.

Jethro Bare

14.9.24

110e anniversaire de la Première Guerre mondiale

 

Carte de guerre











    Pour le 110e anniversaire de la Grande Guerre, dont tant de commentaires ont rappelé l’actualité depuis deux ans, voici des poèmes de notre cher Essenine, d’avant la période bolchévique. On peut constater un certain élan patriotique et une certaine aversion du Kaiser allemand, l’ogre de l’époque, disparus trois ans de massacres plus tard. On sait que par la suite Essenine passa toujours sous silence ses récitals de poète chez des duchesses pétersbourgeoises, notamment autour d’Alexandre Blok. On sait qu’il fut plus tard protégé par Trotstky. On sait que le personnage recèle bien des mystères… 

     Traduction dédiée à mes chers amis belges Christopher Gérard et Didier Hendricks que ces vers ne laisseront peut-être pas indifférents. 
     En outre, elle présente peut-être quelque intérêt pour des étudiants d’Essenine… 

 (Vers traduits du russe par TM) 

 
    Belgique 

 Vaincue, mais pas en esclavage, 
 Tu te dresses fièrement sans armure, 
Ton lieu saint profané par l’outrage, 
En revanche, comme la neige ton âme est pure. 
Dans la fumée d’incendie un banquet sanglant 
A monté un terrible Satan 
Et sous le coup de son épée 
Un courageux pays est fracassé. 
Mais l’esprit libre, l’esprit puissant 
Des grandes forces ne s’est pas éteint, 
Comme l’aigle il s’élève par-delà un ciel d’airain 
Sur la chaîne des tombeaux des vaillants. 
Et le lot de vérité s’accomplira 
Ton ennemi à tes pieds tombera.
 Pour amèrement prier 
À tes autels fracassés. 
 Sergueï Essenine, 1914. 

 Бельгия 

Побеждена, но не рабыня, 
Стоишь ты гордо без доспех, 
Осквернена твоя святыня, 
Зато душа чиста, как снег. 
Кровавый пир в дыму пожара 
Устроил грозный сатана, 
И под мечом его удара 
Разбита храбрая страна. 
Но дух свободный, дух могучий 
Великих сил не угасил, 
Он, как орел, парит за тучей 
Над цепью доблестных могил. 
И жребий правды совершится: 
Падет твой враг к твоим ногам 
И будет с горестью молиться 
Твоим разбитым алтарям.
  С. Есенин, 1914. 
 

Les prières de la mère 

À la lisière d’un village dans une vieille izba, 
Devant l’icône prie une vieille dame, là-bas. 

 Les prières de la vieille du fils se souviennent 
Fils qui sauve la patrie dans une contrée lointaine. 

 La vieille en priant ses larmes va essuyer,
 Des visions surgissent dans ses yeux fatigués. 

 Elle voit le champ, le champ avant l’assaut, 
Où repose son fils mort en héros. 

 En flammes, sur la large poitrine, le sang jaillit, 
Dans les bras raidis, la bannière de l’ennemi. 

 De bonheur mêlé au malheur, elle s’est toute figée, 
Sa tête grise dans ses mains a plongé. 

 Et ses rares sourcils gris se sont refermés, 
De ses yeux, comme des perles, les larmes ne cessent de couler. 
 Sergueï Essenine, 1914

 Молитва матери 

На краю деревни старая избушка, 
Там перед иконой молится старушка. 

Молится старушка, сына поминает, 
Сын в краю далеком родину спасает. 

Молится старушка, утирает слезы, 
А в глазах усталых расцветают грезы. 

Видит она поле, это поле боя, 
Сына видит в поле — павшего героя. 

На груди широкой запеклася рана, 
Сжали руки знамя вражеского стана. 

И от счастья с горем вся она застыла, 
Голову седую на руки склонила. 

И закрыли брови редкие сединки, 
А из глаз, как бисер, сыплются слезинки. 
1914 г.

31.8.24

Les va-t-en-guerre qui ne risquent rien: La réponse d'Essenine…

 

Version originale du roman "La Neuvième cible" de Pavel Kreniev, paru en français à la Manufacture de livres.
,




    Dans Le Meilleur des Mondes où le pouvoir nous aime tant qu’on a les larmes aux yeux de sa sollicitude — femme, homme, hybride, poisson, fourmis tant qu’elles n’ont pas d’empreinte-carbone — où l’on nous protège de la désinformation par la censure, où la biogénétique invente chaque jour de nouvelles formes de reproduction — bientôt, comme la paramécie, par division longitudinale pour défendre les droits des asexuels, opprimés dont on parle si peu — où manger un steak saignant est un crime « spéciste », tenir la porte à une dame un délit machiste sévèrement dénoncé par le groupe « Moi aussi », où nous sommes si défendus !… On voit proliférer une curieuse espèce, encore non répertoriée, mais sans doute légale puisqu’elle s’affiche : le va-t-en-guerre, prêt à réduire en cendres tout ce qui résiste à son furieux élan libérateur — pourvu qu’il n’y aille pas, ne risque pas de perdre un œil, une jambe, deux bras, un sein, deux testicules, une fesse, la vie… Il y a cent ans, lors de la Première Boucherie Mondiale, Essenine répondait comme ceci aux guerriers par procuration : 
Hugo Ball, 1915.



(Vers traduits du russe par Thierry Marignac)



    De telles nouvelles attristées 
A chanté le cocher tout le chemin 
Dans les secteurs de Radov suburbains 
J’allais alors me reposer. 

 La guerre toute mon âme a dévoré.
Pour des intérêts étrangers
 Sur un corps qui m’était proche, j’ai tiré 
La poitrine du frère j’ai percé. 
 Et j’ai compris que je n’étais qu’un jouet, 
Et reconnaître à l’arrière les marchands, 
Et disant adieu aux canons fermement, 
Guerroyer en vers seulement, je décidais. 
Mon fusil, j’ai balancé, 
Je me suis payé un faux laissez-passer, et voilà
 Avec un entraînement de ce genre-là 
Que l’année 1917 j’ai croisé. 

 La liberté s’est élancée frénétiquement. 
Dans un feu rose puant 
Alors, en calife, régnait sur le pays, 
Sur son cheval blanc, Kerenski. 
La guerre, « jusqu’à la victoire », « jusqu’à la fin »
 Et cette foule rude sans coup férir 
Les canailles et aigrefins 
Envoyaient au front périr. 
Qu’importe, je n’ai pas pris le sabre vengeur… 
Sous le grondement, le rugissement des mortiers 
Une autre bravoure, j’ai montré, 
Être du pays le premier déserteur. 
Sergueï Essenine, 1925. 
Saule pleureur





Такие печальные вести 
Возница мне пел весь путь. 
Я в радовские предместья 
Ехал тогда отдохнуть. 

Война мне всю душу изьела. 
За чей-то чужой интерес 
Стрелил я в мне близкое тело
 И грудью на брата лез. 
Я понял, что я — игрушка, 
В тылу же купцы да знать, 
И, твердо простившись с пушками, 
Решил лишь в стихах воевать. 
Я бросил мою винтовку, 
Купил себе липу, и вот 
С такою-то подготовкой 
Я встретил 17-год. 

Свобода взметнулась неистово. 
И в розово-смрадном огне  
Тогда над страною калифствовал
 Керенский на белом коне. 
Война до конца, до победы, 
И ту же сермяжную рать 
Прохвосты и дармоеды 
Сгоняли на фронт умирать. 
Но все же не взял я шпагу… 
Под грохот и рев мортир 
Другую явил я отвагу — 
Был первый в стране дезертир. 
Сергей Есенин, 1925.

17.8.24

Bébés Parking 2, Jethro Bare, le peuple de l'abîme

 

Originaire de Saint-Ouen-sur-Seine, où il réside encore aujourd’hui, Jethro Bare est né en janvier 1977.
Nourri par diverses influences, des classiques de la littérature française et internationale à travers le temps jusqu’aux souterrains de la pop-culture, il écrit avant tout sur ce qu’il connaît : la ville, les rues, les profils atypiques, les obsessions, les combines, la violence et la tension des sentiments.



Sa nouvelle noire intitulée « Elle gronde » a été finaliste du concours de nouvelles au Festival International Quais du Polar à Lyon en 2022.
Jethro Bare travaille actuellement sur l'écriture de son premier roman.


    BÉBÉS PARKING II:

— J’avais demandé qu’on me prévienne expressément et dans l’heure ! La voix du professeur Ezra fit trembler la pièce. Ce n’était pas souvent.

Trois nouveaux bébés parking étaient arrivés à La Plage en douze heures, dont un retrouvé près d’un accès aux égouts de Dado-sur-Seine, tout près de l’hôpital. Les deux autres, à l’instar des précédents affichaient des handicaps physiques lourds ainsi que des pathologies internes engageant leur pronostic vital. Ceux envoyés par les structures médicales alentours pour les faire converger vers Ezra à Treves, conformément à la procédure tacite commandée par le professeur, furent sauvés de justesse du trafic routier du périphérique, abandonnés sous une rampe d’accès au pied d’un pont qui soutient l’autoroute surélevée.

Professeur, sauf votre respect, on vous a prévenu seulement quelques heures après leur arrivée. On vous sait très fatigué, depuis que les deux premiers bébés sont chez nous, vous êtes pratiquement là jour et nuit, on voulait vous laisser un petit delta, déclarèrent les cadres de santé dans leurs petits souliers.

Ezra répondit sèchement — Je n’ai pas besoin de... delta ! J’ai besoin de savoir ce qui se passe dans le service que je dirige ! Particulièrement concernant ces enfants. Il faut en prendre soin. Un soin particulier. Ce sont les derniers.

L’homme de science devint évasif.
Installez les nouveaux dans une chambre en bout de couloir, au calme, je prends le relais.

Les soignants s’exécutèrent sans piper mot, pris dans l’effet tunnel de cette ambiance explosive.






Le lendemain du bourre-pif en sous-sol, après un traitement maison fait d’eau oxygénée et de muscadet, Willy prit rendez-vous avec une vieille connaissance : Hugues Pauchard, personnage haut en couleurs et ancien propriétaire du journal Le Cradingue, délire informationnel composé de rapports sur les coulisses inavouables du gotha, de reportages axés sur le paranormal et de faits divers impossibles à publier ailleurs.

Pauchard avait, selon lui, soulevé quelques dossiers minés qui causèrent l’incendie de ses locaux en 1984, et sa perte, à lui, in fine. Services secrets de l’État, nervis du crime organisé donnant le change ou créanciers à bout de nerfs, personne ne le saura jamais, mais si sa gazette était partie en fumée, lui, non, et dans son antre où seuls quelques fous lui rendaient encore visite, au milieu de ses collages constitués de dizaine de milliers de coupures de presse du monde entier, il restait une source de renseignements précis bien qu’à la marge.

Dans le taxi qui roulait vers Pauchard, le Termite redécouvrit une portion de Paris qu’il n’avait pas visité depuis un bout : le vingtième, entre Ménilmuche et Place des Fêtes, qui changeait à vitesse grand V, comme beaucoup de quartiers. Comme le sien, sa ville, Dado-sur-Seine.
— Hep, chauffeur, y’avait pas un marché de tout et de rien là, avant ? lança Willy presque inquiet.

Pour sûr ! Mais y’a que tchi maintenant, r’garde moi ça... Ils vont tout mettre sur une dalle comme partout. Des dalles, des dalles, des dalles, y’a plus que des dalles et puis que dalle après ! Pffff !

C’est vrai que tout avait sacrément changé, et pas que dans l’aspect, même si c’était encore plus criant en cette période de l’année, censée être festive. Le phénomène de cavitation sociale de ces lieux de vie, entre paupérisation constante et gentrification brutale, au gré des politiques locales, représentait de véritables tremblements de terre pour les gens qui vivaient là depuis longtemps. Le choc pétrolier de 73, l’accélération des inégalités depuis le début de la décennie 80 secouaient dramatiquement les parigots-populos pur jus. Où étaient passés tous les ni riches ni pauvres, les « juste en dessous », les moins que rien ? D’un marché aux biffins, ici, qui brassaient clodos semi-volontaires, « originaux » et artistes post-bohèmes maudits ou cinglés, là, ce Paris était devenu un truc lugubre, sale, dangereux, camé, froid et impersonnel. Les nouveaux bourges étaient planqués derrière leurs digicodes et les sans le sou étaient... où, d’ailleurs ?

Dans la pénombre de la tanière de Pauchard, un café instantané infect sous le palais, Willy en apprit de bonnes. Pour commencer, trois nouveaux chiards avaient été récupérés. Ensuite, ces mêmes chiards étaient « des putains de monstres » du grand Hugues dans le texte – déformés et malades. Pour finir, tout ce cinéma ne datait pas d’hier.





Jab, crochet, uppercut.
Comment ce mec hirsute à la voix de crincrin savait tout ça ? Mystère et boule de gomme.
— Il ne t’a pas échappé, mon très cher Termite, que ces enfants sont, certes posés là comme des valises oubliées, mais qu’à chaque fois, celui ou celle qui les y dépose, s’arrange pour qu’ils soient trouvés. Et sauvés !
Tu vois juste.
Selon moi, ça recommence, les mauvaises herbes poussent une dernière fois au champ d’honneur avant de faner à tout jamais.

Lorsque Pauchard devenait lyrique et hermétique, mieux valait se barrer, la pleurniche puis la violence pointeraient respectivement leur museau à la fin de l’épisode. Et inutile de penser pouvoir le travailler au corps pour qu’il justifie ses dires ou donne ses sources, il crèverait plutôt que de balancer quoi que ce soit. Vu le bonhomme, Willy n’avait jamais eu aucune envie de savoir comment il trouvait ses infos ni au cours de quelles pérégrinations il avait pu les recouper. C’était bonnard comme ça.

À tête reposée, sèche au bec, le Termite récapitula.

Près de trois semaines depuis le premier bébé. En considérant les éléments rapportés par Pauchard, chaque site sur lequel un orphelin fut trouvé communiquait avec une infrastructure plus importante. Trois parkings construits proches de la Seine, du métro, ou avec des accès directs aux égouts. Dans Paris, tout communique, c’est une ville gruyère construite sur une carrière de craie avec un réseau de catacombes et des vides sanitaires à donner le vertige ; assez de place pour vivoter en bande là-dessous, ça collait donc avec les insinuations du gardien nerveux. À proximité de la gare de l’Est, un bébé fut récupéré devant un local technique appartenant à la SNCF. Willy connaissait bien le coin pour avoir enquêter sur un réseau de partouzeurs sadomasos nommé La Membrane, il y a quelques années, se réunissant dans les souterrains de la zone, notamment un bunker datant de l’Occupation. Lors de la dernière livraison de gamins, un d’entre eux gisait près d’un vestige de fortification, aux portes de la capitale, contigu à des volumes de galeries techniques gigantesques creusées pour alimenter la ville en ressources énergétiques diverses.

Les enfants avaient pour point commun des anomalies visibles et un mauvais état de santé général. Une même cause ? Une provenance commune ?



Définitivement, le nez de Bhermitte jouait à la baguette de sourcier et piquait vers le bas. Quelque chose de convergent semblait caché sous les pieds de tous.
Pour l’homme de presse, pas d’autres choix que d’aller fouiner à nouveau sur le terrain, et même en dessous.

4 h du matin, dimanche. Verglas sur le sol et gel dans les naseaux. Armé de son rossignol et vêtu de sombre, Willy ouvrit une issue pénétrant dans le bloc de béton brut d’un des pylônes du boulevard périphérique. L’idée même de passer dans un endroit pareil avec un mioche qui n’a même pas encore ses dents de lait était moche, alors en profiter pour s’en débarrasser, c’était criminel. Derrière l’imposante porte rouillée : le noir. Fumet de pisse, feuilles mortes, moisissures et araignées. Cette lourde était cependant ouverte de temps à autre, ça se voyait à l’usure des gonds. Il pénétra l’obscurité non sans peur, mais avec la curiosité de celui dont la plume veut savoir, et ça prenait chaque fois le dessus.

Il descendit des escaliers, sans savoir à quoi s’attendre hormis que la place n’était pas gardée. Un premier palier éclairé par de très faibles blocs de secours servait d’embouchure à de très longs couloirs courbés, ornés d’autres entrées. Des kilomètres carrés d’installations mécaniques, hydrauliques et électriques maîtrisées uniquement par les initiés qui en assuraient la maintenance. Des marches menaient vers les ténèbres d’un deuxième palier. L’atmosphère étouffante, l’écho de chacun de ses pas et la perception irrationnelle d’une présence raidirent la nuque de l’explorateur curieux, jusqu’à sentir le besoin de stopper nette sa progression. Un souffle rauque, tout près, une pestilence soudaine puis un cri firent trembler chaque os de Willy, qui remonta l’escalier fissa ! Pas assez vite, hélas.

À la lueur bistre des néons, il aperçut un corps aux angles trop nombreux pour être humain et trop humain pour être totalement animal. Sa jambe fut agrippée fermement et tirée vers la pénombre. Au milieu de grognements sauvages, Willy se débattit avec la force que procure l’instinct de survie. Brandissant son briquet afin de remonter vers la surface, il vit clairement les visages innommables de la horde qui l’entourait. Des êtres pâles, enguenillés, aux gestes brutaux fendant l’air à sa recherche. Dans son dos, une traction soudaine l’éleva de plusieurs mètres, et il fut projeté sans ménagement au travers de l’ouverture par laquelle il était entré quelques minutes plus tôt ! Effaré, il se retourna assez rapidement pour voir la silhouette d’une femme décharnée disparaitre derrière la porte, accompagnée d’une tourmente de hurlements.

À l’extérieur, sous les lampadaires, le palpitant à cent à l’heure, il constata avec effroi une profonde lacération sur sa cheville. Le sang se répandait partout autour de lui, et le Termite tourna de l’œil avant de s’effondrer.

Trop de rouge, trop de visions de cauchemar. Trop d’un coup.

— Pau... Pauline ?
Au moins tu me reconnais. Double sourire.
— Qu’est-ce que ...

— Reste calme, Willy. On t’a retrouvé sur le trottoir il y a cinq jours en train de te vider de ton sang. Ton artère tibiale a été percée, tu as eu chaud. Dans quoi tu t’es encore fourré ?

Le Termite sauvé de justesse raconta tout ce qu’il savait à sa belle. Besoin de se confier. — Il faut que je parle à ton prof là, arrange-moi le coup s’il te plait.
Vous venez de le faire !

Image démoniaque, Aleister Crowley.




La voix parfaitement placée du professeur Ezra retentit dans la chambre, semblable à celle d’un maître de conférences en amphithéâtre.
Willy, le cou rigide, le regard fixé sur
Pauline, n’avait pas remarqué le vieil homme assis en retrait de son lit.

Pauline, je pense que le service a besoin de vos talents. Veuillez nous laisser, je vous prie. L’infirmière quitta la pièce en glissant un clin d’œil faussement discret à son patient un peu

spécial.
Elle tient à vous, vous savez ? Temporairement affectée en pédiatrie, je l’ai vu s’effondrer lorsqu’elle a appris, par une collègue, qu’un homme venait d’arriver aux urgences presque exsangue. Cet homme, c’était vous.

Willy écoutait attentivement. Une vague angoisse fouillait le fond de ses tripes.
Puisque vous avez payé un tribut physique dans cette histoire, je vais vous raconter, mais vous n’écrirez rien à ce sujet. Vous m’entendez ? RIEN. Par le passé, un de vos confrères n’a malencontreusement pas hésité, lui, et les conséquences ont été dramatiques. Sur les cinq enfants dont nous avions la charge, deux sont morts. C’est une catastrophe. Les exposer, c’est les tuer, paradoxalement. Il faut les sauver comme vous avez été sauvé.
Ils ? J’pige pas, doc.
— Monsieur Bhermitte, vous êtes né ici, à Treves, n’est
-ce pas ?
Affirmatif...
— J’ai retrouvé votre dossier
suite à vos résultats d’analyses, à votre arrivée. Bhermitte, pourquoi faites-vous ce métier ?

Cette question galvanisa Willy, qui avait un discours bien rôdé à ce sujet.
— J’ai un don pour ça. Et puis, ça paye les factures. Mon activité est ingrate, c’est vrai, mal vue la plupart du temps. Mais passer pour le coprophage de l’information en traînant partout où les autres ne vont pas, pour parler de ce dont les autres ne parlent pas, c’est aussi proposer au peuple un outil pour assainir son opinion. Salubrité publique, rien de moins que ça. Comme vous. Une limite haute, celle des autres, une limite basse, la mienne, entre les deux : des faits. Toujours divers.

Ezra acquiesça.
— J’ai prêté serment, il y a longtemps, et je n’ai jamais manqué à ce dernier. Les bébés, là- haut, près de mon bureau, je les connais. Ils sont les derniers spécimens d’une foule devenue invisible. Des gens d’ici, là depuis toujours, fantômes des rues pour un système qui va trop vite pour eux. Des gens de peu qui sont restés malgré tout sur leur terres, sous leurs terres. Toute une population jugée à la traîne, qui n’a pas voulu, qui n’a pas pu, ou qui n’a pas su partir. Réfugiée dans les entrailles de la ville, au contact constant de la saleté, de la toxicité des substances qu’on met sous le tapis, dans des conditions de vie d’une rudesse extrême, cette communauté s’est adaptée en sortant petit à petit de la civilisation, tout en profitant paradoxalement de ses excès pour survivre. Le consanguinité et les maladies non traitées finissent aujourd’hui de les achever. Je me dois de les aider, de les soigner. Il y a quarante-cinq ans, j’ai été confronté aux mêmes bébés apparus brutalement, bizarrement, certes un peu moins en souffrance à l’époque, mais ils présentaient la même particularité biologique que les actuels, un facteur sanguin très rare, résultant d’une exposition prolongée aux différents maux qui coulent sous nos trottoirs, et dont nous sommes la cause, collectivement. Même un hôpital rejette régulièrement des flots de matières impropres, radioactives, dangereuses.

Le cerveau du Termite traitait les informations aussi vite qu’il le pouvait.
Ezra poursuivit
Monsieur Bhermitte, ce sont les femmes de ce groupe qui déposent leurs enfants à la surface afin que nous les aidions. Ce sont les femmes qui poussent à la vie. Par instinct comme par raison. Nous, les mâles, préférons aborder l’existence sous une dimension guerrière qui nous pousse à dévorer le monde, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien.

Le souvenir de la femme le poussant hors de l’ombre lors de son agression, revint à Willy. Elles veulent une chance pour l’avenir. Une chance pour leurs enfants. Mon serment m’oblige, mais j’ai failli, marmonna le professeur, le visage dans ses mains.

Ne sachant pas comment réagir, Willy chercha une banalité à dire. Au fait, c’est bientôt Noël, professeur ?

Avant de se lever pour quitter la chambre, Ezra déposa des résultats d’analyse sur le ventre de Willy puis ajouta Et vous faites un drôle de petit Jésus.

Écrit par Jethro Bare, 2021.

15.8.24

Jethro Bare: Le peuple de l'abîme, bébés parking…

Frank Costello devant la Commission d'Enquête parlementaire, 1960


        "Le Peuple de l'abîme" ou People of the abyss, était le récit "gonzo" avant la lettre de Jack London dans les bas-fonds de Londres en 1900, où il s'était immergé, vivant avec les clochards. Il inspira The Road to Wigan Pier de George Orwell, une immersion non moins cruelle dans l'Angleterre de la Grande Dépression des années 1930, jusqu'au Pays de Galles et ses mines qui fermaient… Il m'inspira "Vint, le roman noir des drogues en Ukraine" en 2004, mes errances de journaliste dans les bas-fonds de Kiev et d'Odessa.

    En suivant l'ami Bare dans son pays natal, intermonde de Saint-Ouen, en bordure du périphérique où l'extrême misère du Tiers-Monde, dans ses déchéances de mort qui rôde, côtoie le nouvel urbanisme colonialiste et son arrogance de bienfaiteur, j'avais exactement la même sensation qu'en lisant London 45 ans plus tôt: les enfers péri-urbains sont éternels…

    Jethro a choisi la fiction pour décrire l'intermonde, dans ce saisissant BÉBÉS PARKING dont Antifixion est fier de présenter ci-dessous le premier épisode — le suivant dans deux jours.


Originaire de Saint-Ouen-sur-Seine, où il réside encore aujourd’hui, Jethro Bare est né en janvier 1977.
Nourri par diverses influences, des classiques de la littérature française et internationale à travers le temps jusqu’aux souterrains de la pop-culture, il écrit avant tout sur ce qu’il connaît : la ville, les rues, les profils atypiques, les obsessions, les combines, la violence et la tension des sentiments.
Sa nouvelle noire intitulée « Elle gronde » a été finaliste du concours de nouvelles au Festival International Quais du Polar à Lyon en 2022.
Jethro Bare travaille actuellement sur l'écriture de son premier roman.

BÉBÉS PARKING

Les remontées gastriques, c’est pas le pied. Willy avait l’habitude de ce genre de réveil acide et urgent, mais impossible de s’y faire pour autant. Une fois les yeux ouverts, le souffle court, la quinte de toux abrasive pour chasser des alvéoles les sucs qui n’avaient rien à y faire, la routine quotidienne s’installait sur son trône de morne chaos, reléguant le sommeil à de vains espoirs lointains.

Clope, fond de bouteille de la veille, radio calée sur la FM pour saturer son cerveau avec un max d’infos tous azimuts, le journaleux pointait tous les jours de cette façon à l’usine des news invisibles. C’était dur pour Willy d’émerger, de plus en plus difficile. Il avait même inventé une nouvelle formule pour parler de ses matins, il n’émergeait plus, il « émerdait ».

Inutile de faire un dessin.
Encore quelques minutes avant la verticalisation du grand Willy Bhermitte, dit le Termite,

surnommé ainsi par la corporation car il creuse le sujet, toujours, pourvu qu’il en tienne un. Vingt-quatre années de lutte quotidienne pour trouver le scoop, sortir l’affaire qui fera sensation avant les autres, chasser l’information la plus vendeuse, rendre ses gribouillis plus juteux et attrayants que ceux de ses collègues entendez concurrents pour survivre au rythme des presses d’imprimerie qui gerbaient sans discontinuer de la feuille de chou à la fraîcheur inégale. Hebdos, bi-mensuels et mensuels, tous spécialisés dans le fait divers, le judiciaire plus ou moins sourcé et le sensationnel à grand spectacle sans peur du ridicule, ces canards représentaient autant de piges à faire pour rentrer de quoi payer les petits berlingots de plâtre qui apaisaient le bidon lors des éruptions de lave nocturne œsophagienne, de quoi régler le loyer, bouffer et se rincer le gosier jusqu’à voir un nouveau jour se lever sur les bizarreries du monde.

Les folles passantes cruelles du cadran de l’horloge accrochée en face de son lit défilaient dextrorsum, il était temps de bouger pour le Termite. La physiologie primaire reprit le dessus et madame vessie obligea l’homme à se dresser sur ses cannes aux articulations engourdies.

À travers la petite fenêtre rectangulaire de ses gogues, Willy regardait les cimes de la ville et les néons publicitaires encore allumés dans la brume hivernale de Dado-sur-Seine.
À nous deux maintenant ! pensa-t-il, s’imaginant être un Rastignac moderne même si rabougri, prêt à conquérir la cité... l’espoir fait vivre. Mais son urine sentait trop fort, son bide était irrémédiablement trop enflé pour apercevoir son sexe, et le rêve s’estompa dans la crasse poisseuse de la réalité.

L’infirmier parlait fort pour que tous ceux présents dans la salle de repos l’entendent. C’était un dragueur, le genre à augmenter le volume devant le personnel féminin pour se faire remarquer.

Quand le môme est arrivé, j’ai tout de suite pigé la prise en charge que le vieux allait décider. Je suis là depuis trop d’années, je le connais par cœur, et pour nous faire chier avec ce genre de cas, l’ancêtre n’est jamais le dernier ! clama-t-il sûr de lui, en s’assurant que les attentions convergeaient vers sa faconde provocatrice.

La gêne de ses collègues était palpable, sauf de la part des deux jeunes aides-soignantes fraîchement débarquées dans le service, auprès de qui ce genre de balourd pouvait encore passer pour un cador et faire illusion quand la fatigue possédait les corps comme les esprits. Derrière la vitre, l’ombre du chef approcha de l’entrée de la pièce, promenant son mètre quatre-vingt-quinze légèrement vouté d’un pas sûr et régulier, comme un vieillard dont la vie n’avait cessé d’être un pèlerinage. Lorsqu’il passa la porte, son regard azur scruta les troupes vêtues de blanc sans méchanceté mais avec assurance. Le silence régnait. L’infirmier lourdingue et prévisible n’osait plus faire vibrer l’air ambiant de ses mots creux. Le professeur Ezra, qui dirigeait le service pédiatrique du Centre Hospitalier Universitaire Frederick Treves, posa ses volumineux dossiers sur un coin de la table en soufflant Au travail. Des petits d’Homme attendent nos soins. Je m’occuperai personnellement du nouveau-né arrivé en urgence cette nuit.

Réjouissez-vous!




C’était le deuxième enfant en bas âge trouvé seul, livré à lui-même, abandonné dans un parking en ce mois de décembre 1989. Le C.H.U Treves, calé derrière les glacis qui soutiennent le périphérique au nord de la capitale possédait des urgences pédiatriques, c’était donc là l’étape logique pour ce genre d’histoires malheureuses. Ezra guettait minutieusement l’activité de tout le microcosme hospitalier parisien pour que rien ne lui échappe, et surtout pas les cas de gosses laissés à crever dehors à l’âge où ils sont censés encore boire le lait de leur mère. Tous le savaient et acceptaient ce fait sans s’interroger plus que de raison. Après tout, le vieux professeur était légitime dans sa fonction, son parcours parlait pour lui, et son autorité comme sa réputation lui conféraient le droit de rapatrier à La Plage n’importe quel gamin de n’importe quelle structure médicale, pourvu qu’elle soit du secteur. Ezra mettait un point d’honneur à s’en occuper personnellement. La Plage, c’était le surnom des imposantes tours de Treves jointes en accordéons, qui dominaient Dado par- dessus le périph’. Un accordéon noir qui jouait sa rengaine muette mais implacable en scellant les sorts, et qui constituait un refuge espéré pour tous ces drames, toutes ces vies brisées, tous ces morts, emportant les destins croisés, pris dans autant de vagues jetées sur un rivage où toutes les sirènes de la ville finissaient par échouer.

Café noir, croissant ordinaire, œuf dur. À défaut d’être le petit déj’ des champions, c’était celui de Willy. Accoudé au zinc de son rade de prédilection, pas loin de sa piaule, le Termite commençait à renifler le monde à sa façon. Revue de presse papier humide achetée au kiosque d’en face, qui n’était toujours pas foutu de protéger sa marchandise de la bruine, une oreille trainant sur les ondes qui servaient de tapis sonore aux discussions vides et quotidiennes des habitués du bar, l’orpailleur du fait divers mettait son talent d’analyste-trieur au service de son tamis mental. Bhermitte avait su se tailler une réputation dans cette profession particulière et obscure aux yeux des bonnes gens. À coups de bluff, à coups de triques, et parfois même, à coups de génie.

Dans le tas de feuilles épluchées ce matin-là, rien à fureter. Que du lisse, du plat, de l’insignifiant pour un gars comme Willy. Il était temps d’aller réveiller ce qu’il appelait « son calmar », son réseau, son carnet d’adresses, un machin tentaculaire aux ramifications inattendues, un radar géant qui ramenait vers lui un tas de signaux silencieux pour le commun des mortels mais qui, une fois centralisés dans son cerveau de journaliste, allumaient une loupiote rouge stipulant « à fouiller ». Un calmar d’eaux profondes constitué de contacts, connaissances et autres relations troubles basées sur plus ou moins de franchise et de vérité par ce pro à travers les années, un bien précieux.

Quelques pièces laissées sur le comptoir en contrepartie des matières ingurgitées et Willy se rendit à son bureau. Il suffisait de traverser la rue. Pas de locaux lumineux et modernes, rien qui faisait rêver, rien de très personnel même, mais tout ce qui lui permettait de rester collé à la rue, de la sentir physiquement. Il travaillait à l’ancienne : cabine téléphonique discrète à l’odeur douteuse, carnet corné à la reliure cuir amovible et stylo noir, comme le café, comme son décor, noir comme sa vie et la plupart des histoires où son encre trempait.

On reconnaîtra au moins Lucky Luciano au centre de cette belle brochette…


Il décida d’agir avec sa méthode habituelle : sonner quelques indics précis vivotant dans les articulations rouillées de la société. Dring ! Paparazzi spécialiste des coups fourrés : rien. Dring ! Enquêteur privé de la place de Paris qui lui doit toujours quelque chose : que dalle. Dring! Voyou de la génération montante issu des banlieues pour qui il avait joué l’entremetteur avec un baveux filou qui ne perd jamais : des clous! Le même avocat en question : circulez ! Le calmar perdait ses ventouses les unes après les autres, la semaine allait être dure.

Restait une sonnette sur laquelle appuyer. Celle-là, Willy hésita longtemps avant de l’actionner car sa mélodie lui filerait des extrasystoles et finirait par lui briser le cœur. Tant pis, il fallait bouffer, trouver de quoi écrire, alors il appela Pauline à son boulot. Le tout pour le tout.

— C’est moi. Raccroche pas.
— Je ne compte pas raccrocher. Qu’est-ce que tu veux, Willy ?
Rien de personnel, rassure-toi. Je me demandais juste si tu n’avais rien vu ou entendu qui pourrait m’intéresser dans ta cour des miracles.
Court silence.
— C’est ça, ouais. Puisque tu m’appelles de manière professionnelle, de journaliste à infirmière, je te réponds que non, ces derniers temps, je n’ai assisté à rien qui serait susceptible de nourrir ta plume acerbe.
— J’fais pas les poubelles, tu sais, j’demande juste. J’ai besoin de travailler. Et puis, j’pense à toi.
— Si tu pensais à moi juste pour moi, tu m’aurais rappelé y’a trois mois, Willy.
Silence plus long.
— J’sais pas quoi te répondre que tu ne saches déjà, Pauline. J’suis qu’un con, ça changera pas.
— Si tu le dis. Je vais te laisser, j’ai du boulot. Les urgences adultes ne grouillent pas en ce moment mais je donne un coup de main en pédiatrie, les épidémies habituelles de la saison et puis, les orphelins là...


Les orphelins ?
Ouais, deux nourrissons trouvés seuls dans des parkings nous ont été amenés dans un sale état, le boss du service veut des renforts au cas où y’en aurait d’autres.
Répète un peu ça ? Des bébés dans les parkings ? Où ça ? Quand ?
— Willy, je suis ni ton indic, ni ta pute. Sinon tu m’aurais certainement donné de tes nouvelles avant.
Touché.
Silence de mort.
— C’est le professeur Ezra qui s’excite sur cette histoire. T’as qu’à lui demander.
Et comment je ... Bip... Bip... Bip...

Comme prévu : pincement au cœur et mauvais goût dans la bouche. Mais truffe au vent. L’adrénaline avant la tristesse, il fallait qu’il en sache plus sur ces mômes.

Le vieil Ezra hantait les couloirs de son service jusque tard. Les équipes se tenaient à carreau, sentant intuitivement une tension qui ne se verbalisait pas.

Dans la chambre la plus proche de son bureau, les deux « bébés parking » étaient là, appareillés, en observation. Le professeur resta longtemps assis dans la pénombre, sans dire un mot, au chevet de ces petits êtres de souffrance en manque de tout et à l’aspect si singulier. Une fille et un garçon. Quelques mois chacun seulement. Souffrant de malnutrition, d’affections de la peau, d’importants problèmes respiratoires, dun déficit oculaire et dun retard de croissance. Les enfants présentaient des problèmes identiques, notamment de sévères malformations congénitales. Là où les candides du personnel voyaient juste de l’empathie pour les petits de la part d’Ezra, ceux qui le pratiquaient depuis longtemps décelaient autre chose, de plus complexe. Tout ce qui concernait cette chambre devait lui être remonté immédiatement et en temps réel, avec consigne de l’appeler à domicile si besoin. Rien ne devait filtrer à l’extérieur, et les services sociaux seraient dirigés vers lui comme interlocuteur unique. Il avait cloisonné la situation.

Bataillon disciplinaire (Film russe).








Au rythme des signaux sonores des différentes machines qui surveillaient les constantes des gosses, le docteur plongea dans ses souvenirs, l’âme inquiète et le regard dur.

Le journaliste souhaitait battre le fer tant qu’il était chaud, il connaissait la musique. Impossible d’entrer frontalement en contact avec cet Ezra, qu’il identifia à juste titre comme un grand mandarin de l’Assistance publique, sans compromettre sa source, sans mouiller Pauline. Mais si les mouflets avaient été retrouvés abandonnés à leur triste sort, l’histoire était forcément judiciarisée et il fallait fouiller de ce côté-là.

Willy travaillait depuis toujours avec les flics, et ça n’avait jamais été une mer calme. En tant qu’indépendant, il osait beaucoup, parfois trop. Être dans et hors des clous de la légalité juste pour sortir un papier irritait certains fonctionnaires, quand ça en arrangeait d’autres. Ce qui restait sûr, cest que pour récolter de l’info de première bourre, il fallait taper haut dans leur hiérarchie. Il décida alors de renouer avec Franck Triquet, inspecteur du 36, au courant de beaucoup de choses, avec qui le Termite avait eu affaire dans une sombre histoire de déchets toxiques et d’empoisonnement de masse, un scandale potentiel monstre contre lequel le flic se battait encore en sous-marin, et que les politiques aussi véreux que puissants étouffèrent avec l’efficacité qu’on leur connaît lorsqu’ils sont mis en cause.

Willy ne la ramenait pas avec Triquet car il endossait désormais le rôle du lâcheur dans leur relation, n’ayant pas eu les burnes de sortir l’article qui aurait pu tout changer à l’époque de l’enquête non officielle du policier. Le Termite marcha donc sur des œufs pour ne pas vexer l’officier et ainsi faire un retour dans ses bonnes grâces de manière à obtenir du biscuit sur ses drôles d’orphelins. D’ailleurs « orphelins », qui pouvait en être sûr ? Tout le monde a des géniteurs, quelque part, même Willy Bhermitte, né de parents inconnus, gosse balloté de foyer en foyer jusqu’à ce qu’il accroche un premier job. Coursier pour une imprimerie. Le papelard, il y était depuis longtemps. Fond comme forme.

En raccrochant avec Triquet, Bhermitte se sentit bien merdique, parce que le flicard fut fidèle à lui-même, intègre, sans amnésie mais sans rancune. Willy se vit donc gentiment indiqué vers qui se tourner pour plus d’infos sur les mouflets retrouvés à une semaine d’intervalle dans différents parkings de la capitale, dont un était surveillé. Interroger le gardien de ce dernier, situé sous le centre commercial Beaugrenelle, dans le quinzième arrondissement, s’imposait.

Obscur, humide et peu rassurant. Voilà les adjectifs les plus appropriés pour décrire le décor de ce sous-sol qui s’étendait sur trois sous-niveaux. Le gardien était un type assez spécial, Bhermitte s’en doutait, connaissant ce genre de profil. Ancien de la police aux états de service ternis, employé-là pour cuver et casser quelques gueules à l’occasion. Les meilleurs se retrouvaient à courser les voleurs dans les supermarchés Mammouth, les moins bons sous la terre, comme présentement. Cet endroit était bruyant, un tintamarre subtil.

Proximité de la Seine. Ça coule de partout ici, y’a qu’à voir. Tout est moisi, pourri. Ya tout qui grouille ici d’façon, éructa le gardien.
Cafards ? Rats ? Pas étonnant près du fleuve.
— Si y’avait qu’ça, encore... Si le rejeton s’est retrouvé là, c’est pas par hasard...

Dites- m’en plus !
— J’ai rien à vous dire, foutez le camp, j’ai des consignes moi, j’étais de la Grande Maison en plus, attention !
Du calme, chef ! Si vous me filez un tuyau, j’vous ramène une boutanche de jaune, hein, juste entre nous...
Allez vous faire foutre ! J’suis pas un alcoolo !

Le gardien asséna un pain dans la tronche de Willy, qui ne vit rien venir. Lèvre inférieure ouverte. Par expérience, inutile de rentrer dans un pugilat avec ce genre de mec teigneux et sûr de lui, qui plus est quand il vous dépasse d’une tête et demie et qu’il a deux grammes d’anisette dans le sang. Le journaliste tourna les talons sans demander son reste. 

(À SUIVRE)