DOUBLONS D’ESPAGNE
SUR CARGO MONOJET
Comme me le conseillait ma troublante agente littéraire dans
son bureau géant de l’avenue de Breteuil… elle cherchait à m’entuber sur
l’avance de la traduction en Afrikaaner de Morphine
Monojet en me montrant ses cuisses fuselées grâce à son fauteuil pivotant
dernier cri… et n’abordait ce sujet que pour aggraver ma confusion :
—Thierry, il est temps
pour vous de faire une revue de presse !… Non vous vous rendez compte que
vous totalisez une dizaine d’articles !…
Elle ne perdait rien pour attendre, mes collègues dans
l’import-export ont une filiale à
Johannesburg.
—Marie-Astrid, vous
êtes une grande professionnelle !… Je vais m’y employer derechef !…
Laissez-moi deux jours !…
Puis ma troublante agente littéraire entreprit de m’arnaquer
sur les droits cinématographiques de l’adaptation de Cargo sobre par Clint Eastwood. Heureusement, à Hollywood, je suis
du dernier mieux avec une adepte de Charles Manson qui a l’âge d’être sa petite-fille,
mais connaît son catéchisme par cœur.
REVUE DE
PRESSE :
Dans le
Figaro
Littéraire, l’écrivain
Christian Authier chroniquant Morphine
se déclara : Impressionné par la
beauté sèche de l’écriture, et sacra mon petit roman : l’œuvre d’un grand styliste. Dans le Figaro Magazine
Jean-Christophe Buisson m’adressa un Coup de chapeau pour le très beau Cargo sobre. Un doublon, en
quelque sorte…
Dans Sud-Ouest,
Gérard Guégan, légende controversée du monde de l’édition (nous allons y
revenir plus loin), comparait Morphine
au chef-d’œuvre Substance-mort de
Philip.K.Dick. Deux mois plus tard, il devait dans le même périodique faire
l’éloge de Cargo sobre, sous le
titre : Voyage au bout de
l’abstinence. Deuxième doublon.
Entretemps, Lionel Decottignies choqua tous les Russes
blancs de ma connaissance, en parlant de Morphine
Monojet comme d’un Très beau roman social, hymne à la nuit,
dans l’Huma-Dimanche. Les Russes blancs, depuis qu’ils savent que que
je suis un auteur social dont on dit du bien dans un hebdo communiste, versent
consciencieusement de l’arsenic dans ma vodka.
L’écrivain Olivier Maulin voyait
non sans raison la dictature du manque omniprésente dans Morphine, comme une préfiguration du totalitarisme contemporain dans les colonnes de Valeurs
actuelles. Il est beaucoup question d’un nouvel article-portrait de
votre serviteur dans le même magazine, qui ne saurait tarder, par un autre
romancier de mes amis. Doublon en perspective…
Dans Causeur,
Daoud Boughezala me tira sa version du portrait, se souvenant d’une anecdote
sur un pope dans un monastère de l’Oural, qui avait cherché à me convertir à
l’orthodoxie… Ce qui m’aurait réconcilié avec les Russes Blancs certes, mais
c’était aller un peu vite en besogne, changer de religion à mon âge, c’est une
grande décision… Bref, pas un doublon, mais une double page…
Enfin —
mais ça, il a fallu que je le montre à ma troublante agente littéraire, à
l’instant même où elle prétendait que non, 25%, ça n’était pas exagéré pour
tous les services qu’elle me rendait — mes amis romanciers Christopher Gérard,
et Pierric Guittaut, ont pondu d’excellentes chroniques de Morphine, et de Cargo sur leurs blogs respectifs, Archaïon hautetfort, et Fin de chasse.
—Puisque je vous dis, Marie-Astrid, qu’avec
toute la pub que je vous fais, vous pourriez me faire cadeau de la comm !…
Et je
reviendrai prochainement, sur les romans de l’un et de l’autre, le Maugis (l’Âge d’Homme) de Christopher Gérard, œuvre de grand écrivain, par
sa complexité, la limpidité de sa langue, et les thèmes majeurs du XXe siècle,
que je n’ai abordé qu’en passant ; D’Ombres
et de flammes de Pierric Guittaut, à paraître très prochainement à la Série Noire, où le talent spontané de
ce surdoué du genre donne sa pleine mesure.
Dernière minute!… L'ami Pierric ne s'est pas contenté de son blog!… Il a récidivé dans Éléments (On vous l'avait bien dit, il est infréquentable!… s'exclament les commissaires du peuple!…Eh, les gars, répond votre serviteur, vous me fait rentrer à TéléramInrocksMondéRation?… Il paraît que le proprio paie bien?…), avec un papier plus long et plus fouillé, ma modestie souffre cruellement, moins pour ses éloges, que pour son exergue: Punk's not dead!… Dans la revue de la Nouvelle Droite!… Ça et La ballade des junkies dans le Figaro Littéraire entre deux académiciens (Si j'étais académicien, je m'habillerais tous les jours en académicien, disait Gombrowicz, d'après de Roux…) et une ancienne ministre, vous avouerez que je suis le seul à le faire !… Il va falloir que je reprenne mes pilules contre la mégalomanie…
Bref,
il était temps de prendre congé, la salle d’attente de ma troublante agente
littéraire était pleine d’auteurs venus se faire enfler. Avant de partir, je
pris, comme toujours, soin de vérifier qu’elle ne m’avait pas barboté mon
larfeuille.
GÉRARD GUÉGAN, LE JOUR ANNIVERSAIRE DE LA
LIBÉRATION : TOUT A UNE FIN, DRIEU
(GALLIMARD) :
On
parlera de copinage, voire de prévarication… Curieux comme le temps présent,
qui se proclame affranchi, est un paradigme de la philosophie du soupçon, d’essence policière… Voire on me traitera de faf,
comme c’est arrivé récemment — un foutriquet mal dessalé, lui-même esclave d'une antédiluvienne vermine de 68 politique fiction tournée néo-con Charlie, dans un syndicat d'auteurs où je m'étais inscrit pour faire plaisir à un vieil ami… vils flatteurs, va ! Comme je vous remercie!… Quiconque ne s’est
pas fait traiter de faf, à une époque
où la bourgeoisie post-gauchiste a pris les rênes, pour accomplir l’ordre du
jour des multinationales, et mener l’éternelle politique de la canonnière au
Tiers-Monde sous prétexte de démocratie
— comme autrefois sous prétexte de civilisation—
est une mauviette ou un vendu, voire les deux, c’est souvent le cas. À
moins qu’il ne s’agisse encore d’un certain abrutissement crasse
franco-français — par exemple celui qui voit dans l’OTAN, une force de libération !…
J’ai
croisé Gérard Guégan au début des années 1980, par l’intermédiaire des éditions
du Dernier Terrain Vague, et puis il fréquentait une salle de sport aujourd’hui
disparue, Plage 50, rue du Fbg
St-Denis, où il pratiquait le karaté, sous l’égide de l’instructeur Gaston
Portugais. J’y avais également, à l’époque, mes habitudes, quoique dans une
section différente. La dernière fois que je l’ai vu, il y a 35 ans à
St-Germain, j’allais fourguer des pirates de Hammett à la défunte librairie La Hune, forçat de la diffusion, et il
ne m’a parlé que de karaté. J’avais lu ses romans, une dizaine d’années plus
tôt, dans la première moitié des années 1970. Si un certain nombre de détails à la Hemingway m’avaient marqué dans les
premiers (On testera les recrues à
l’acide —LSD— dans Les Irréguliers), celui qui m’avait
le plus impressionné est celui dont on ne parle jamais : Un Silence de mort (Lattés). C’était un
roman sur l’impossibilité d’écrire, telle qu’on la concevait à l’époque. Après
dada, Céline, les hussards, et les situs, qu’ajouter aux oraisons
littéraires ?… Ce paradoxe était une gageure très significative, dont le
vieux lion se sortait à merveille, les passages « hussards » et les
passages « Utopia » (ou le rêve situationniste) étaient d’une facture
remarquable de prescience. Et puis le journaliste parti à la cambrousse pour
écrire son chef-d’œuvre — sans y parvenir, en dehors de ses éblouissants
pastiches— se faisait flinguer pour une banale histoire d’adultère.
Depuis,
en dehors de sa chronique sur mon camarade Vladimir Kozlov pour le roman Racailles, traduit par votre serviteur (« La Vie à bout
portant »), je n’avais pas lu Gérard Guégan, que je n’ai jamais revu non
plus. Et puis, Une fleur du temps,
disait feu mon amie Micheline, fille des rues au beau brin de plume quand elle
s’y mettait, Gérard me fait la grâce de deux critiques de mes récentes
parutions. Alors forcément, il y a deux jours dans une librairie politcorrecte
à pleurer de mon trou de province, quand je vois son Tout a une fin, Drieu, la curiosité est la plus forte. Faf, comme je suis d’après certains, DLR
est dans mon panthéon, mais peut-être pas pour les raisons qu’on croit. N’ayant
fait ni Sciences-Po, ni Normale-Sup’, c’est chez le maudit que j’ai appris
comment faire des portraits de femmes, qui ne soient pas qu’un cul, ni une pure
projection masculine, qui aient leur logique propre, quels que soient les
préjugés années 1930 de DLR.
Or
Gérard Guégan, dans Tout a une fin…
réussit parfaitement à résumer le malaise qu’est Drieu, qui hante notre
littérature. Le monologue intérieur — car Guégan l’hemingwayen est moins
dogmatique comportementaliste qu’il ne semble — de DLR est parfaitement
convaincant dans sa résignation ultime, son abandon au destin, ses lancinants remords d'homme fini. De même, les
partisans communistes qui le jugent ont à la fois une précision de tireur
d’élite pour le flétrir dans les accès d’hystérie nazie ou antisémite où DLR se
déshonora, et paradoxe encore, ce reproche : comment vous, d’une
ultra-sensibilité parfois divine, vous que nous lisions pour votre sincérité désarmée, avez-vous pu déchoir
dans la barbarie dégradante ?… Ces partisans sont les lecteurs de Drieu,
pour l’essentiel.
En
cela, Gérard Guégan nails it, je ne
sais pas le dire en français. Il rive le clou en étant concret communiste,
comme il est noble de l’être, que DLR ne peut qu’accepter dans cette
« fable » d’une grande intelligence. Et la dissolution interne de DLR
n’en est que d’autant plus vraisemblable. Il exprime aussi le déchirement
intime qui caractérise le regard sur DLR (sauf pour la vermine politcorrecte et
son ordre du jour abject). Si proche et si lointain, dans ses crises de
virilisme, dans son masochisme, dans son auto-condamnation, dans sa rumination
infinie, ses souvenirs de guerre, son orgueil parfois justifié, son
narcissisme.
Depuis
le livre de Frédéric Saenen (éditions infolio), qui plaçait DLR face à son
œuvre sans complaisance, je n’ai rien lu d’aussi pertinent sur le sujet, au
cœur de la culture française jusqu’au jour d’aujourd’hui.
Un
certain nombre de mes copains vont monter au créneau. Guégan a déboulonné le
mythe Debord de bien des manières, les puristes situs vont faire des pertes
blanches. Mais Sanguinetti l’a fait aussi et n’encourt pas les mêmes fatwas. On
dit que Guégan a inventé les propos d’Annie Le Brun au sujet de Debord, qu’il
est mythomane. Eh bien, si c’est vrai, c’est un témoignage de ses qualités
d’écrivain, parce qu’on s’y croirait, cela sonne juste comme si Annie Le Brun
l’avait dit. De même, Guégan est toujours resté à distance respectable de la
politcorrectitude, quoique communiste au début des années 1960, quand c’était
encore une véritable transgression. Dans quel roman de Guégan ai-je lu ce coup
de manche de pioche sur un poignet de facho, pendant la guerre
d’Algérie ?… Est-ce que les bourgeois bohèmes, qui passent dans la
médiacratie pour des « rebelles » avec leurs transgressions bidon, peuvent se mesurer à ça ?…
La tartufferie, c’est la sincérité, écrirait
Orwell aujourd’hui.
Gérard
Guégan, avec son Tout a une fin, Drieu,
a résumé ce qu’il y avait d’insupportable, Drieu,
comment as tu pu nous trahir ?…
TM, mai 2016.