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8.5.16

Voir double sans avoir bu

DOUBLONS D’ESPAGNE SUR CARGO MONOJET

         Comme me le conseillait ma troublante agente littéraire dans son bureau géant de l’avenue de Breteuil… elle cherchait à m’entuber sur l’avance de la traduction en Afrikaaner de Morphine Monojet en me montrant ses cuisses fuselées grâce à son fauteuil pivotant dernier cri… et n’abordait ce sujet que pour aggraver ma confusion :
         Thierry, il est temps pour vous de faire une revue de presse !… Non vous vous rendez compte que vous totalisez une dizaine d’articles !…
         Elle ne perdait rien pour attendre, mes collègues dans l’import-export  ont une filiale à Johannesburg.
         Marie-Astrid, vous êtes une grande professionnelle !… Je vais m’y employer derechef !… Laissez-moi deux jours !…
         Puis ma troublante agente littéraire entreprit de m’arnaquer sur les droits cinématographiques de l’adaptation de Cargo sobre par Clint Eastwood. Heureusement, à Hollywood, je suis du dernier mieux avec une adepte de Charles Manson qui a l’âge d’être sa petite-fille, mais connaît son catéchisme par cœur.


         REVUE DE PRESSE :
        
Dans le Figaro Littéraire, l’écrivain Christian Authier chroniquant Morphine se déclara : Impressionné par la beauté sèche de l’écriture, et sacra mon petit roman : l’œuvre d’un grand styliste. Dans le Figaro Magazine Jean-Christophe Buisson m’adressa un Coup de chapeau pour le très beau Cargo sobre. Un doublon, en quelque sorte…
Dans Sud-Ouest, Gérard Guégan, légende controversée du monde de l’édition (nous allons y revenir plus loin), comparait Morphine au chef-d’œuvre Substance-mort de Philip.K.Dick. Deux mois plus tard, il devait dans le même périodique faire l’éloge de Cargo sobre, sous le titre : Voyage au bout de l’abstinence. Deuxième doublon.
         Entretemps, Lionel Decottignies choqua tous les Russes blancs de ma connaissance, en parlant de Morphine Monojet comme  d’un Très beau roman social, hymne à la nuit, dans l’Huma-Dimanche. Les Russes blancs, depuis qu’ils savent que que je suis un auteur social dont on dit du bien dans un hebdo communiste, versent consciencieusement de l’arsenic dans ma vodka.
         L’écrivain Olivier Maulin  voyait non sans raison la dictature du manque omniprésente dans Morphine, comme une préfiguration du totalitarisme contemporain dans les colonnes de Valeurs actuelles. Il est beaucoup question d’un nouvel article-portrait de votre serviteur dans le même magazine, qui ne saurait tarder, par un autre romancier de mes amis. Doublon en perspective…
Dans Causeur, Daoud Boughezala me tira sa version du portrait, se souvenant d’une anecdote sur un pope dans un monastère de l’Oural, qui avait cherché à me convertir à l’orthodoxie… Ce qui m’aurait réconcilié avec les Russes Blancs certes, mais c’était aller un peu vite en besogne, changer de religion à mon âge, c’est une grande décision… Bref, pas un doublon, mais une double page…
Enfin — mais ça, il a fallu que je le montre à ma troublante agente littéraire, à l’instant même où elle prétendait que non, 25%, ça n’était pas exagéré pour tous les services qu’elle me rendait — mes amis romanciers Christopher Gérard, et Pierric Guittaut, ont pondu d’excellentes chroniques de Morphine,  et de Cargo sur leurs blogs respectifs, Archaïon hautetfort, et Fin de chasse.
Puisque je vous dis, Marie-Astrid, qu’avec toute la pub que je vous fais, vous pourriez me faire cadeau de la comm !…

Et je reviendrai prochainement, sur les romans de l’un et de l’autre, le Maugis (l’Âge d’Homme) de Christopher Gérard, œuvre de grand écrivain, par sa complexité, la limpidité de sa langue, et les thèmes majeurs du XXe siècle, que je n’ai abordé qu’en passant ; D’Ombres et de flammes de Pierric Guittaut, à paraître très prochainement à la Série Noire, où le talent spontané de ce surdoué du genre donne sa pleine mesure.
Dernière minute!… L'ami Pierric ne s'est pas contenté de son blog!… Il a récidivé dans Éléments (On vous l'avait bien dit, il est infréquentable!… s'exclament les commissaires du peuple!…Eh, les gars, répond votre serviteur, vous me fait rentrer à TéléramInrocksMondéRation?… Il paraît que le proprio paie bien?…), avec un papier plus long et plus fouillé, ma modestie souffre cruellement, moins pour ses éloges, que pour son exergue: Punk's not dead!… Dans la revue de la Nouvelle Droite!… Ça et La ballade des junkies dans le Figaro Littéraire entre deux académiciens (Si j'étais académicien, je m'habillerais tous les jours en académicien, disait Gombrowicz, d'après de Roux…) et une ancienne ministre, vous avouerez que je suis le seul à le faire !… Il va falloir que je reprenne mes pilules contre la mégalomanie…
Bref, il était temps de prendre congé, la salle d’attente de ma troublante agente littéraire était pleine d’auteurs venus se faire enfler. Avant de partir, je pris, comme toujours, soin de vérifier qu’elle ne m’avait pas barboté mon larfeuille.


GÉRARD GUÉGAN, LE JOUR ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION : TOUT A UNE FIN, DRIEU 
(GALLIMARD) :
On parlera de copinage, voire de prévarication… Curieux comme le temps présent, qui se proclame affranchi, est un paradigme de la philosophie du soupçon, d’essence policière Voire on me traitera de faf, comme c’est arrivé récemment — un foutriquet mal dessalé, lui-même esclave d'une antédiluvienne vermine de 68  politique fiction tournée néo-con Charlie, dans un syndicat d'auteurs où je m'étais inscrit pour faire plaisir à un  vieil ami… vils flatteurs, va ! Comme je vous remercie!… Quiconque ne s’est pas fait traiter de faf, à une époque où la bourgeoisie post-gauchiste a pris les rênes, pour accomplir l’ordre du jour des multinationales, et mener l’éternelle politique de la canonnière au Tiers-Monde sous prétexte de démocratie — comme autrefois sous prétexte de civilisation— est une mauviette ou un vendu, voire les deux, c’est souvent le cas. À moins qu’il ne s’agisse encore d’un certain abrutissement crasse franco-français — par exemple celui qui voit dans l’OTAN, une force de libération !…

J’ai croisé Gérard Guégan au début des années 1980, par l’intermédiaire des éditions du Dernier Terrain Vague, et puis il fréquentait une salle de sport aujourd’hui disparue, Plage 50, rue du Fbg St-Denis, où il pratiquait le karaté, sous l’égide de l’instructeur Gaston Portugais. J’y avais également, à l’époque, mes habitudes, quoique dans une section différente. La dernière fois que je l’ai vu, il y a 35 ans à St-Germain, j’allais fourguer des pirates de Hammett à la défunte librairie La Hune, forçat de la diffusion, et il ne m’a parlé que de karaté. J’avais lu ses romans, une dizaine d’années plus tôt, dans la première moitié des années 1970. Si un certain nombre de détails à la Hemingway m’avaient marqué dans les premiers (On testera les recrues à l’acide —LSD— dans Les Irréguliers), celui qui m’avait le plus impressionné est celui dont on ne parle jamais : Un Silence de mort (Lattés). C’était un roman sur l’impossibilité d’écrire, telle qu’on la concevait à l’époque. Après dada, Céline, les hussards, et les situs, qu’ajouter aux oraisons littéraires ?… Ce paradoxe était une gageure très significative, dont le vieux lion se sortait à merveille, les passages « hussards » et les passages « Utopia » (ou le rêve situationniste) étaient d’une facture remarquable de prescience. Et puis le journaliste parti à la cambrousse pour écrire son chef-d’œuvre — sans y parvenir, en dehors de ses éblouissants pastiches— se faisait flinguer pour une banale histoire d’adultère.
Depuis, en dehors de sa chronique sur mon camarade Vladimir Kozlov  pour le roman Racailles, traduit par votre serviteur (« La Vie à bout portant »), je n’avais pas lu Gérard Guégan, que je n’ai jamais revu non plus. Et puis, Une fleur du temps, disait feu mon amie Micheline, fille des rues au beau brin de plume quand elle s’y mettait, Gérard me fait la grâce de deux critiques de mes récentes parutions. Alors forcément, il y a deux jours dans une librairie politcorrecte à pleurer de mon trou de province, quand je vois son Tout a une fin, Drieu, la curiosité est la plus forte. Faf, comme je suis d’après certains, DLR est dans mon panthéon, mais peut-être pas pour les raisons qu’on croit. N’ayant fait ni Sciences-Po, ni Normale-Sup’, c’est chez le maudit que j’ai appris comment faire des portraits de femmes, qui ne soient pas qu’un cul, ni une pure projection masculine, qui aient leur logique propre, quels que soient les préjugés années 1930 de DLR.
Or Gérard Guégan, dans Tout a une fin… réussit parfaitement à résumer le malaise qu’est Drieu, qui hante notre littérature. Le monologue intérieur — car Guégan l’hemingwayen est moins dogmatique comportementaliste qu’il ne semble — de DLR est parfaitement convaincant dans sa résignation ultime, son abandon au destin, ses lancinants remords d'homme fini. De même, les partisans communistes qui le jugent ont à la fois une précision de tireur d’élite pour le flétrir dans les accès d’hystérie nazie ou antisémite où DLR se déshonora, et paradoxe encore, ce reproche : comment vous, d’une ultra-sensibilité parfois divine, vous que nous lisions pour votre sincérité désarmée, avez-vous pu déchoir dans la barbarie dégradante ?… Ces partisans sont les lecteurs de Drieu, pour l’essentiel.
En cela, Gérard Guégan nails it, je ne sais pas le dire en français. Il rive le clou en étant concret communiste, comme il est noble de l’être, que DLR ne peut qu’accepter dans cette « fable » d’une grande intelligence. Et la dissolution interne de DLR n’en est que d’autant plus vraisemblable. Il exprime aussi le déchirement intime qui caractérise le regard sur DLR (sauf pour la vermine politcorrecte et son ordre du jour abject). Si proche et si lointain, dans ses crises de virilisme, dans son masochisme, dans son auto-condamnation, dans sa rumination infinie, ses souvenirs de guerre, son orgueil parfois justifié, son narcissisme.
Depuis le livre de Frédéric Saenen (éditions infolio), qui plaçait DLR face à son œuvre sans complaisance, je n’ai rien lu d’aussi pertinent sur le sujet, au cœur de la culture française jusqu’au jour d’aujourd’hui.
Un certain nombre de mes copains vont monter au créneau. Guégan a déboulonné le mythe Debord de bien des manières, les puristes situs vont faire des pertes blanches. Mais Sanguinetti l’a fait aussi et n’encourt pas les mêmes fatwas. On dit que Guégan a inventé les propos d’Annie Le Brun au sujet de Debord, qu’il est mythomane. Eh bien, si c’est vrai, c’est un témoignage de ses qualités d’écrivain, parce qu’on s’y croirait, cela sonne juste comme si Annie Le Brun l’avait dit. De même, Guégan est toujours resté à distance respectable de la politcorrectitude, quoique communiste au début des années 1960, quand c’était encore une véritable transgression. Dans quel roman de Guégan ai-je lu ce coup de manche de pioche sur un poignet de facho, pendant la guerre d’Algérie ?… Est-ce que les bourgeois bohèmes, qui passent dans la médiacratie pour des « rebelles » avec leurs transgressions bidon,  peuvent se mesurer à ça ?…
La tartufferie, c’est la sincérité, écrirait Orwell aujourd’hui.
Gérard Guégan, avec son Tout a une fin, Drieu, a résumé ce qu’il y avait d’insupportable, Drieu, comment as tu pu nous trahir ?…
TM, mai 2016.