Guest stars

27.7.13

Rive Rouge




Il est trop tôt pour en parler...
Un long et vieux poisson
qui a passé tant d'ères,
un coup à s'endormir,
à tomber dans les rets...

Mais j'ai un plan :
......

la suite par ici

24.7.13

États généraux du désengagement : discours inaugural du premier secrétaire

Staline et Gorki en 1931

 (Article paru dans Livr'arbitre, numéro 11, printemps 2013)

PASSANT, VA DIRE À SPARTE QUE TOUS ICI NOUS AVONS PICOLÉ À MORT POUR OBÉIR À SES LOIS

L’art pour l’art
Comme une vision, comme une rêverie
Comme un printemps fleuri
L’art pour l’art
Pour l’expression des sentiments
Pour la beauté et uniquement
L’art pour l’art
Comme une vision, comme une rêverie.
Evgueni Kropivnitski

         Dans un esprit certainement très éclairé, moderne et humaniste, j’en passe et des moins flatteuses, il est question de rédiger un morceau de bravoure cohérent pour cette estimable revue sur un enfonçage de portes ouvertes : L’écrivain et le totalitarisme,  rien que ça. Tout d’abord, j’ai horreur du mot « écrivain », bon pour les goncourables, et autres mégalos à verbiage. Je lui préfère romancier ou auteur, plus humbles et surtout plus exacts. Un écrivain, ça se prend terriblement au sérieux, ça cherche le mot d’auteur, ça veut faire date, passer à la postérité, graver son marbre à la Victor Hugo. Collez-lui un sujet aussi tarte que le totalitarisme sous le nez, ça fait littéralement des taches par terre de bonheur : les boulevards de la pontifiance la plus crasse s’ouvrent à lui, et combien de lendemains radieux s’il parvient à vendre sa soupe. Il va pouvoir s’écouter parler de la plus haute importance. Si, par miracle, il arrive à tordre un peu un aphorisme connu sur ce thème archi-éculé, il a une chance de passer à la télé. Il est enfin assis dans son rôle de Sauveur de l’Humanité qui souffre. Fais pas ta rosière, il faut s’y coller, l’heure de gloire est proche. Il va enfin pouvoir se prendre pour un Maxime Gorki à l’envers et être fait Grand Chevalier de la Liberté dans un Verre d’Eau.
         Je pense avec Drieu (Troisième Lettre aux Surréalistes sur l’amitié et la solitude, 1927) qu’un auteur est un faux-monnayeur quand il prétend débarquer dans un autre domaine que le sien avec armes et bagages, qu’il a droit à ses opinions comme tout le monde, mais au même rang que tout le monde : deuxième classe. Lequel Drieu aurait du reste mieux fait de suivre ses propres conseils. La faculté de composer une histoire qui se tienne avec des personnages réalistes dans un style attachant ne donne en aucun cas une autorité automatique en sociologie, philosophie, économie, géopolitique, Histoire, et tout ce qu’il faut savoir pour rameuter les forces vives dans un grand élan universel. Au mieux, un auteur aura une approche de la langue et de l’humain. Au-delà, il outrepasse ses prérogatives, ce qu’ils adorent pour la plupart, ravis d’une gloriole usurpée.
         Puisqu’il faut hélas rentrer dans le vif de ce sujet moribond, je remarque qu’il y a eu au XXe  siècle deux sortes de totalitarisme dont procèdent les métastases survivantes à ce jour, surtout une : le Communisme dans sa forme infectieuse, sous l’Oncle Joe, et le Nazisme. Il y a peut-être eu des écrivains nazis, mais on en parle peu, en dehors des collabos, et ces derniers n’étaient pas allemands. Heidegger ne compte pas, il était philosophe, il faut quand même mettre des bornes de temps en temps pour savoir où on est. Heidegger n’était pas plus capable de raconter correctement un coup de foudre que moi de contredire Kant et Hegel de manière convaincante. Chacun son métier.
 Je sais qu’on a reproché à Cioran d’avoir soutenu la Garde de Fer d’Antonescu, mais 1) la réflexion précédente s’applique à lui aussi, c’est un moraliste pas un conteur, et 2) l’idéologie roumaine était celle d’une dictature musclée d’Europe Centrale, pas un totalitarisme qui impose à la société et à l’individu une vision complète, globalisante, incontestable et sans échappatoire sous peine de vaporisation.
Par contre, il y a eu des écrivains soviets à la pelle. Et pour cause, me confiait Volodia Moysseev, camarade de Kiev travaillant à la réhabilitation des toxicos, puisqu’une fois admis à l’Union des Écrivains, ils pouvaient tranquillement picoler jusqu’à la tombe. À Rostov-sur-le-Don dont Volodia était originaire, les « écrivains » rédigeaient leurs deux premiers romans avec célérité et solennité, et puis, une fois qu’ils avaient accès au bar de la Maison des Auteurs, on attendait le troisième quarante ans. Quoiqu’en pense le rédac-chef qui s’inquiète je le sens, je suis en plein cœur du sujet. Les auteurs maudits antitotalitaires (bien obligés) n’avaient aucun copain à L’Union. C’était la croix et la bannière, pour croûter. Il ne l’a jamais dit, mais Limonov savait bien qu’il n’aurait pas dû taper sur la tête de Yevtouchentko de toutes ses forces avec une bouteille à moitié pleine au club-house des Poètes de Moscou, vers 1973. La bourde. Adieu les tirages à deux millions d’ex. des presses de la Patrie Socialiste. Samizdat à perpétuité.



Et l’on aborde la question  centrale de ce thème au bord de l’épuisement : si l’idéologie, comme l’a prouvé l’histoire à travers les âges, c’est le tiroir-caisse, et c’est de nos jours de plus en plus flagrant, une certaine classe est toujours chargée d’en récolter l’usufruit. Les soviets avaient poussé la cooptation culturelle si loin que nos démocraties cybernétiques en sont réduites à l’imiter par le jeu des médias, des dynasties « d’artistes » et de vedettes dont le succès est assuré par saturation du marché, tout comme la nomenklatura saturait le marché par le monolithisme autoritaire. Les jeunes poètes en étaient réduits à casser des bouteilles sur des crânes de vieux ringards.
Et pourtant, malgré la belle légende des « dissidents », tout le monde ou presque
composait avec ce pouvoir et cette collaboration plus ou moins tacite continue jusqu’au jour d’aujourd’hui. Méfiez-vous des trop belles histoires, disait W.C. Fields, elles sont rarement vraies. S’il y eut des exceptions remarquables, la plupart des intellectuels et écrivains adhéraient au double jeu en vigueur pour surnager. Je pense à Vissotski, remarquable poète, qui joua au chat et à la souris avec le pouvoir soviétique, lâchant du lest pour pouvoir vivre sa vie de beatnick hors cadre, cigarettes, morphine et petites pépées, jusqu’à l’overdose finale que le KGB n’avait pas vu venir… Quant à Sergueï Tchoudakov, poète maudit que la critique et romancière Kira Sapguir, qualifie de  « génie de la poésie russe de la deuxième moitié du XXe siécle »[1], il se défiait comme de la peste de la dissidence et de tous les calculs sur la postérité et l’Occident très tôt à l’œuvre dans ces milieux : De la chair des foules, rien ne me sépare…
Tchoudakov préférait le rôle du mauvais chien parfois en butte aux persécutions, parfois collaborant avec le pouvoir comme la plupart de ses compatriotes sous l’épée de Damoclès, en particulier dans ses activités de lumpen : maquereautage, trafic de drogue, parasitisme. Et sa dignité était là, si paradoxale qu’elle semble aux Don Quichottes rétrospectifs de l’Occident ou aux révoltés à prébendes que sont devenus les « dissidents » : traiter avec la flicaille communiste comme tout un chacun, pour essayer de tirer son épingle du jeu, ce qui ne l’empêcha pas de faire de nombreux séjours dans les hôpitaux psychiatriques du Grand Frère.
L’échange du citoyen soviet avec l’état qui lui dérobe tout (c’est ça, la fondation matérielle du totalitarisme, la confiscation de toute la richesse sociale… tiens, tiens, on dirait une théorie néo-conservatrice…) est incomparable avec celui d’un citoyen des démocraties oligarchiques libérales d'Occident, qui, depuis le début du siècle, gouvernaient en redistribuant une partie des profits réalisés. Comme on nous le fait sentir présentement, ça va changer, Nom de Dieu.
La dignité d’un Limonov tient à un héroïsme un peu différent, non content d’avoir refusé d’abonder dans le sens de la « dissidence » devenue grand public à l’Ouest, il est retourné affronter le monstre, cet état russe sur son socle vieux de mille ans en s’affublant de ses habits d’hier, et se proclamant national-bolchevique, sachant que les conventions d’hier sont parfois les transgressions d’aujourd’hui.
Mais il y eut d’autres formes de résistance, plus insidieuses, parfois venues des communistes eux-mêmes. Je pense à Boris Pilniak, fusillé en 1937, parce qu’il avait, au détour du Conte de la lune non éteinte, un récit inspiré de la mort du maréchal Frounzé — bien qu’il s’en soit défendu — osé suggérer, que le destin pesait plus parfois plus lourd que le matérialisme historique et les progrès de la médecine. Une révolte absolue, de fond, contre l’axiome totalitaire qui prétend avoir résolu l’univers dans son infinitude d’espace-temps — très comparable en cela aux démocraties cybernétiques et leur foi aveugle dans les diktats du marché.
Il y a aussi le refus plus modeste, plus introverti, mais tout aussi buté du poète auteur de l’exergue de cet article, Evgueni Kropivnistski, qui passa sa vie dans son humble masure de campagne à composer des poèmes d’une simplicité, d’une limpidité si frappante, que se constitua autour de ce personnage hors normes un cercle qui devint une sorte d’école, en tous points opposée, sans jamais en parler, à l’idéologie rigide de « l’ingénierie des âmes » imposée par Gorki en 1934, au Congrès des Écrivains. Et certes, dans les années 1940, le goût d’une esthétique dépouillée et d’une élégance suprême était probablement le déni le plus implacable des radotages staliniens.
pacte Ribbentrop-Molotov

Comme il est curieux de constater qu’aujourd’hui, dans les démocraties cybernétiques, cette idéologie de « l’ingénierie des âmes » s’est à son tour communiquée aux auteurs, aux critiques qui doivent obligatoirement diverger de la littérature en abordant un grand problème larmoyant, et qui concerne tout le monde s’il vous plait. Le verdict est sans pitié : c’est ça ou l’autofriction. À chaque époque ses totalitarismes, à chaque époque ses laquais culturels. TM, 2013


[1] Des Chansons pour les sirènes, Trois saltimbanques russes du XXe siècle : Essenine Medvedeva, Tchoudakov, présentés par Thierry Marignac et Kira Sapguir, Éditions l’Écarlate.

23.7.13

Words for the wise

La forme la plus courante du bonheur consiste à ignorer que l'on n'est pas heureux.

Première phrase de: Cruelle Zélande, Anonymous, roman érotique, Pauvert, 1978.

22.7.13

24 heures dans la vie d'une femme


traduit par V.Deyveaux



Tomsk, Sibérie
vingt-quatre-heures
c'est bien trop peu
pour rattraper le temps

maintenant rien
n'y fera
aucune ruse
subterfuge

dans vingt-quatre heures pile
à ta maison frappera
l'huissier avec deux assistants

à ta porte frappera
la vraie vie

et le fracas du balcon qui s'écroule
se joindra aux coups à la porte

le bleu du ciel disparaitra
et en place surgira
la pharmacie avec les ballons
rouges et verts
dans la vitrine

à travers la vitre

on pourra voir
le comptoir

et la porte avec l'inscription
Apothèque”

un docile apprenti
te donnera la clé

et tu franchiras cette porte
consciente que la réalité
toujours triomphe et que
si tu n'étouffes pas ton imagination
la vie t'étouffera




двацать четыре часа из жизни женщины



двацать четыре часа
слишком мало
чтобы вернуть потерянное

теперь уже ничто
не поможет
никакие хитрости
никакие уловки


ровно через сутки                
в твой дом постучится
пристав с двумя понятыми

в дверь постучится
реальная жизнь

и с этим стуком соединится
шум рухнувшего балкона

голубая страна исчезнет
а на ее месте встанет
аптека с красными и
зелеными шарами
на витрине


через стекло можно будет
разглядеть прилавок

и дверь с надписью
Фармакотека”

послушный ученик
даст тебе ключ
и ты врйдешь в эту дверь
зная что реальность всегда
побеждает и если ты не
задушишь свое воображение
жизнь задушит тебя



Vladimir Ermolaev dans Tributs et hommages" (Flaubert)
2011, Koultournaya Revolucia
traduction et photos
Vincent Deyveaux

19.7.13

l'Octombule

Comerode, vers 2013
   Oyé-oyé !
l'Octombule numéro Z14, qui se tient à deux mains et s'encadre recto-verso, tient ses promesses :
   La poésie, un truc de géants...

   Le poète, l'artiste Philippe Gerbaud,
nouveau Pythéas de retour au Lacydon après un voyage chez les Hyperboréens (et Hyperboréennes), fait le tour des bouges de la cité de Lodève, sa tablette à bout de bras, ses rouleaux prêts à l'emploi.
   Au cours de son périple il croisa quelques bardes dont il recueillit les hululements inspirés :  
 Daniel Mallerin, Thierry Marignac, Vincent Deyveaux, Adèle, Pierrette Dô et d'autres...

Plus de détails :
NSA
DCRI
Prism 

17.7.13

L'encre qui coule à flots sur le sang des poètes…


         L’amitié et la fantaisie
         Je me souviens de Charles Duits, poète et écrivain surréaliste tardif, que j’ai à peine entrevu, pourtant. J’ai du le voir trois fois et à peine communiqué avec lui, sinon pour un regrettable accès d’impulsivité dans mon prurit de tout rejeter à vingt ans, qu’il eut l’intelligence et l’amabilité de remettre à sa place, en se moquant gentiment de mon anarchisme déplacé.
         Je ne sais plus comment j’étais arrivé dans sa mansarde rue d’Assas, par un après-midi très vague dans mon errance d’alors. Certainement plus ou moins grâce à Daniel Mallerin mon éditeur, mentor et ami, depuis tant d’années que ça fait mal de s’en souvenir. Mallerin était très proche de Duits à cette époque, de son épouse délirante, de son fils, étrange. Mallerin avait édité un Cahier du Silence, défunte collection de feu l’éditeur suisse Kesselring, consacré à Duits. Du coup, j’imaginais que l’écrivain faisait partie de l’Establishment !… Je crois que Duits s’était mis à parler de Dieu, et quoique je n’aie rien dit jusqu’alors, j’étais parti dans une tirade boute-feu athéiste qui avait fait sourire le vieux sage. Je ne me souviens plus de sa réponse,  sinon qu’il m’avait dit, en gros, tu peux jouer les cow-boys, ou bien on peut parler. D’une manière suffisamment subtile et avec assez d’humour pour m’impressionner.
         Ensuite, un tout petit lascar de ses amis, genre Arménien basané, ou Grec, ou Sarde, métèque, quoi (j'ai, bien entendu complètement oublié le nom de ce mec-là, et le titre de son bouquin), s’était pointé chez lui avec son nouveau livre à la main. Duits — un homme de 60 ans environ à l’époque, couronne de cheveux blancs entourant sa calvitie, visage de sérénité — s’était mis à lire l’Opus de son ami couleur caramel — et tout de l’intellectuel réfugié politique Montparnasse qui se néglige. Je ne me souviens que de quelques mots du début de ce livre : — Et Job s’adressant au Tout-Puissant… S’ensuivait une longue série de récriminations terrestres à l’encontre de l’Éternel, se terminant par : Pourquoi est-ce que tu m’as fait ça ?…
Et le Seigneur répondait :  Job, c’est parce que je ne peux pas te piffer !…
Et Duits referma le livre bruyamment, dans l’hilarité du public (dont moi), en remerciant son ami d’une occasion de rire.
Duits avait connu André Breton à New York dans les années 1940, une affaire qu’il avait raconté dans un livre au titre éminemment surréaliste : André Breton a-t-il dit passe. Comme Duits avait alors 17 ans, et que c’était déjà un poète extrêmement doué, le pape du surréalisme avait été séduit et toutes les comparaisons fatiguées rimbaldiennes avaient joué dans cette amitié un rôle non négligeable (quoique regrettable comme toutes les mômeries sur la tarte à la crème Rimbaud). Je ne me souviens que d’un seul passage du livre de Duits sur Breton, celui où le jeune homme, presque un adolescent, emporté par les théories anarcho-tralala de l’écrivain reconnu de vingt ans son aîné, lui proposait, en voyant un flic américain au coin d’une rue, de se jeter sur lui pour lui faire un mauvais parti. Or Breton, courageux mais pas téméraire, faisait remarquer à Duits que le robuste cop new-yorkais avait des muscles comme des pastèques, une matraque et un flingue, l’entreprise était donc sans doute vouée à l’échec. Et Duits de conclure : J’étais soulagé, tout de même, déçu, mais heureux…

J’avais lu un autre livre de Duits : La Salive de l’éléphant. Encore une fois (que le lecteur me pardonne cette ritournelle !…) je ne me souviens que d’un seul chapitre. Dans ce livre, la salive de l’éléphant est un aphrodisiaque du feu de Dieu, qui rend les femmes torrides et les hommes insatiables. Si mes souvenirs sont exacts, Duits avait écrit ce roman en 24 ou 36 heures, suite à un pari avec son éditeur. Avait-il consommé de la mescaline pour ça comme c’était son habitude à l’époque ? Je ne sais plus. Bref, dans le chapitre dont j’ai gardé mémoire, un ami demandait à Duits pourquoi un type aussi doué que lui écrivait de la pornographie ?… Et l’auteur de répondre par une théorie moderniste Dada sur l’interaction du public et de l’œuvre : Parce que c’est le seul moyen d’avoir une influence immédiate sur son lecteur !… Je change son état de conscience au moment même de la lecture !…
Bien des années plus tard, au soir d’une journée où je m’étais servi du nom de Duits, qui n’était plus de ce monde— et ne risquait donc pas de me contredire — pour me sortir d’un mauvais pas dans une affaire douteuse, j’échouais en fin de course, chez une vieille amie. Un des tableaux de Duits suspendus au-dessus de mon lit de bohème se décrocha du clou (Touche-à-tout surréaliste, Duits était doué en peinture, littérature, poésie) pour me tomber carrément sur la tête. Aucun doute dans mon esprit : c’était une petite vengeance du vieux farceur qui avait une fois de plus remarqué que je passais les bornes. Duits a-t-il dit tu chies dans la colle…
Cet homme que j’ai si peu connu avait réussi à me communiquer la mauvaise graine, qu’un ami très cher, fréquenté très longtemps, Patrice Duvic, autre éditeur-auteur fou de science-fiction, hélas lui aussi aujourd’hui au royaume des ombres tenait pour le Graal : foin des sermons en chaire, la littérature, c’est l’amitié et la fantaisie.
TM, 2013.

15.7.13

Tube de l'été


MORT
(Traduction TM)
Brisée la chaîne de la vie juvénile,
Bout de la route, l’heure sonne, retour au domicile,
Où il n’y plus d’avenir, il est temps de s’envoler,
Ni le passé, ni les ans, ni l’éternité ;
Où il n’y plus d’attente, et plus de passion,
Ni gloire, ni honneur, ni larmes amères ;
Où les souvenirs dorment d’un sommeil profond,
Et le cœur enserré sous la tombale pierre
Ne se sent plus rongé par le vers.
Il est temps. Fatigué je suis des soucis de cette terre.
Se peut-il que du vacarme des plaisirs vides,
Que du tourment des pensées inutiles,
Que de la foule vaniteuse et futile,
Devenue par sagesse complètement stupide,
Que des filles, de l’amour perfide
À mon heure dernière je sois soudain avide ?
Se peut-il que j’ai envie de vivre encore une fois,
Pour que souffre mon âme comme autrefois
Et aimer si souvent ? Dieu Tout-Puissant
Tu savais : je ne peux aller plus avant ;
Que de moi s’empare l’enfer tout entier
Que j’y rôtisse, je suis content, content,
Au moins deux fois plus qu’aux jours du passé
Mais au-delà, éloigné, loin des gens.

Lermontov


Оборвана цепь жизни молодой,
Окончен путь, бил час, пора домой,
Пора туда, где будущего нет,
Ни прошлого, ни вечности, ни лет;
5 Где нет ни ожиданий, ни страстей,
Ни горьких слез, ни славы, ни честей.
Где вспоминанье спит глубоким сном,
И сердце в тесном доме гробовом
Не чувствует, что червь его грызет.
10 Пора. Устал я от земных забот.
Ужель бездушных удовольствий шум,
Ужели пытки бесполезных дум,
Ужель самолюбивая толпа,
Которая от мудрости глупа,
15 Ужели дев коварная любовь
Прельстят меня перед кончиной вновь?
Ужели захочу я жить опять,
Чтобы душой попрежнему страдать
И столько же любить? Всесильный бог,
20 Ты знал: я долее терпеть не мог;
Пускай меня обхватит целый ад,
Пусть буду мучиться, я рад, я рад,
Хотя бы вдвое против прошлых дней,
Но только дальше, дальше от людей.

ЛЕРМОНТОВ


Correspondance avec Moscou, Doubshine et Tchoudakov

Le poète ultralumpenprolétaire Tchoudakov en 1955 (Des Chansons pour les sirènes)


 Sur Antifixe, on s'occupe d'affaires de romanciers et de poètes, ça nous paraît une meilleure banderole que le lyrico-taratata des auteurs à messages, qui disent tant de bêtises solennelles (et commerciales) sur les affaires du monde et de l'actualité.
Notre ami Danila Doubschine, dont nous avions traduit une nouvelle ("Le Tueur a froid au cœur") aux éditions Dernier Terrain Vague/Exotic, il y a des lustres, est depuis devenu réalisateur de documentaires. Le revoyant en 2012 dans un bistrot de Moscou, nous avions évoqué Sergueï Tchoudakov, notre marotte. Le camarade Doubschine fut légèrement froissé, lui qui savait toujours tout sur tout, de n'en avoir jamais entendu parler. C'était mal le connaître que de croire qu'il allait en rester là. Son âme de collectionneur ne lui laissa point de répit dès qu'il eut découvert le génie que nous ne sommes pas les seuls à croire, chez Antifixe, qu'était cette mystérieuse figure, "Le Villon russe", selon l'expression en cours en Fédération Russe.  Doubschine est président de l'association des fans russes de Conan Doyle et de Schwarzenneger (Doubschine fait du body-building), tout de même. Nous lui dûmes de rencontrer l'éditeur de Tchoudakov. Et puis, récemment, Doubschine se lança dans la réalisation d'un documentaire sur le poète maudit. Il fouilla tous les dossiers, rencontra les témoins, et obtint des confidences de Limonov, qui, pour une fois ne débina pas un confrère : "Il ressemblait à James Dean, dans son manteau élimé". Doubschine nous fit aussi des reproches: on s'était gouré sur la date de naissance du poète, né en 1937 et non en 35.
En exclusivité pour Antifixe, les dernières découvertes de Doubschine, sa correspondance sur Tchoudakov, et l'annonce de son film.

(Traduction TM)


 --> Autobiographie
Moi, Serguéï Ivanovitch Tchoudakov, de nationalité russe suis né le 31 mai 1937 à Moscou. Mon père est parti trois ans plus tard à Kolyma, où il est fonctionnaire du parti, aujourd'hui encore.
 Nous avons été évacués ma mère et moi vers le village Bachkir de Daouletbaïevo, près de Tcheliabinsk. Nous y vivions en tant que réfugiés, ma mère fut désignée pour tenir les comptes. À la fin de l'année suivante, on nous a envoyé rejoindre mon père, dans le Nord. En attendant de pouvoir passer par bateau, nous avons vécu six mois à Nakhodka. Nous ne devions arriver à destination qu'au printemps 1943, errant cinq mois et quelques semaines dans les mines et les villages de la taïga.
En 1945, j'ai commencé à aller à l'école. J'ai sauté la troisième année d'études : ayant passé l'été à bûcher mes devoirs, on m'admit en quatrième année d'études directement après la seconde. En 1948 toute la famille fut expédiée sur le continent en congés. Après un séjour de deux ans à la capitale nous retournâmes à Maladane. Je terminai la septième année d'études avec le prix d'excellence. Je rejoignis les komsomols en novembre 1951. Une des recommandations que j’obtins pour entrer dans cette organisation fut celle des pionniers (scouts soviétiques), peu de temps auparavant on m'y avait choisi comme président du conseil des équipes scouts.
Nous ne nous installâmes définitivement à Moscou qu'au début 1952. C'est là que je devais faire mes huitièmes, neuvièmes et une moitié de la dixième année d'études à l'école N° 665. Je devins délégué de la classe et siégeais plus tard à au comité d'école. Je me pris de passion pour la chimie, la littérature, la mécanique auto. J'obtins les notes parmi les plus élevées.
En janvier de l'année dernière, je suis tombé malade, j'ai perdu deux mois, il m'a fallu quitter l'école, bien que j'ai poursuivi le travail au Komsomol, participant à l'édition de l'hebdomadaire satirique : «Radiocrocodile» (en tant que poète et feuilletoniste)
Il y a deux jours, j'ai passé les examens finaux d'externe à l'école N° 59. Ma décision de devenir littérateur est inébranlable.
30/VI – 55
Tchoudakov



Автобиография

Я, Сергей Иванович Чудаков, русский, родился 31 мая 1937 года в Москве. Три года спустя отец мой уехал на Колыму, где состоит и до сих пор партийным работником. Осенью сорок первого нас с матерью эвакуировали в башкирскую деревню Даулетбаево, недалеко от Челябинска. Жили на положении беженцев, мать назначили счетоводом. В конце следующего года отправились к отцу на Север. Ожидая навигации, прожили шесть месяцев в Находке. До места добрались только весной 1943 года, пять с лишним месяцев скитались по приискам и таежным поселкам.
В 1945 году начал ходить в школу. В третьем классе не учился: позанимавшись летом с домашними, пошел сразу после второго в четвертый. В 1948 году мы всей семьей отправляемся в отпуск на материк. После двухлетнего пребывания в столице опять вернулись в Магадан. Семилетний курс кончил я с отличием. Ноябрь 1951 года ознаменован был для меня вступлением в комсомол. Одну из рекомендаций дала мне пионерская организация: незадолго до этого меня избрали председателем совета дружины.
Мы окончательно переехали в Москву только в начале пятьдесят второго года. Здесь проучился восьмой, девятый и первую половину десятого в школе № 665. Состоял членом бюро класса, позднее в школьном комитете. Увлекался химией, литературой, автоделом. Успевал с небольшими четверками.
В январе прошлого года заболел, провалялся два месяца, вынужден был оставить школу, однако комсомольской работы не бросил, принимал участие в выпуске сатирического еженедельника «Радиокрокодил» (поэт и фельетонист «на безрыбьи»).
Два дня назад закончил сдачу экзаменов экстерном при школе № 59.
Непоколебимо тверд в решении своем со временем стать литератором.
30/VI – 55
Чудаков


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Doubshine et un pote
«…Je t'envoie une vieille photo de Tchoudakov que je viens de découvrir. Sur ce cliché il a dix-huit ans, c'est en 1955. J'ai obtenu l'accès à son dossier dans les archives de la faculté d'état de Moscou. Il s'est inscrit pour des études de journalisme en 1955, et s'est fait virer en deuxième année parce qu'il a essayé de faire la révolution et obtenir que les «profs abrutis» (d'après lui) soient licenciés. Remarquable que l'homme qui ait ordonné de l'exclure soit signé par le doyen-adjoint Iassen Zakourski — en 1957. Ce Zakourski devint lui-même doyen par la suite, et l'était encore il y a deux ans, et il est à présent «président d'honneur de la faculté» — une carrière d'une durée incroyable !

Le 3 juin au ciné-club «Mart», j'ai projeté la première version de mon film sur Tchoudakov. Il y avait environ cent spectateurs, et avec Orlov (l'éditeur du recueil de poèmes de S.Tchoudakov), on a encore une heure et demie de film en réserve — et on m'a interrogé en profondeur sur Tchoudakov. Je lis à présent sur Internet que le film est «bouleversant» — bien que ce ne soit et de loin qu'une esquisse du véritable film…»

«…Посылаю тебе только что найденное мною новое-старое фото Чудакова. На снимке ему 18 лет, 1955 год. Я получил доступ к его профайлу из архива МГУ. Он поступил на факультет журналистики в 1955 году, и был отчислен со второго курса за то, что попытался устроить революцию и добиться увольнения "тупых преподователей" - по его мнению. Примечательно, что приказ об отчислении Чудакова подписан заместителем декана факультета по имени Ясен Засурский - в 1957 году. Так вот этот Засурский (кстати, неплохой человек), ставший впоследствии деканом, находился в этой должности еще два года назад, а сейчас числится "Почетным президентом факультета" - фантастически долгая карьера.

3 июня в киноклубе "Март" я показал first draft моего фильма про Чудакова. Зрителей было сто человек, и меня с Орловым еще полтора часа не отпускали - расспрашивали о Чудакове. Теперь в сети читаю про "потрясающий фильм" - хотя это был лишь очень приблизительный эскиз фильма…»

12.7.13

Carte postale des banlieues du monde

L'ami Doubschine, dont il a été question il y a peu, vit dans un quartier éloigné de la périphérie de Moscou avec sa femme et sa fille. Réalisateur de documentaires, il est aussi poète à ses heures perdues, et me décrivait les quelques vers qui suivent comme des "impressions d'un quartier bariolé" où se mêlent les Russes et les immigrants venus d'Orient, d'Asie Centrale la plupart du temps, et parfois de plus loin encore…
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Un hindou marche dehors, la tête dans un turban
Le pas chaloupé, la démarche peu banale
Comme s’il était non pas Hindou mais matelot dérivant
Et pesait sur ses épaules toute l’école navale

Faudrait dormir, mais bouillonne mon esprit
Tourmenté, comment pourrait-il en être autrement ?
À l’aube, l’homme dort profondément
Fréquemment il pleure, s’il est pris d’insomnie

Je me frotte les yeux d’un rideau de crasse
Puisque mon niveau de culture est minimal
 J’éprouve pour vous un mépris de classe
Comme si je présidais un tribunal

Je charge mon mousqueton de mélancolie
Aux cartouches je mélange des confettis
Puisque je ne regrette rien du passé
De baies multicolores je vais nourrir l’été.
Danil Doubschine, 2013.


По двору в чалме идёт индус
у него престранная походка
Будто не индус он, а матрос,
Словно за плечами мореходка

Надо спать, но разум мой кипит
возмущенный, ну а как иначе?
Человек под утро крепко спит
А если не спит - то чаще плачет

Вытираю занавеской глаз
оттого во мне культуры мало
что я презираю вас как класс,
словно председатель трибунала

Заряжу печаль свою в пищаль
С конфетти заряд перемешаю
Оттого, что прошлого не жаль
Я рябиной летом угощаю.
Даниль Дубшин, 2013.




5.7.13

Cosmos et retour


















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