Le siège d'Otchakov (Otchcakiv dans la graphie ukrainienne) en 1788 fut un épisode important d'une des innombrables guerres entre l'Empire russe et l'Empire ottoman. S'y illustrèrent les généraux Potemkine et Souvorov. Le siège fut immortalisé par le poète Derjavine dans les vers ci-dessous d'inspiration quasi-parnassienne, qui avait, en tant qu'officier du Tsar, côtoyé le généralissime Souvorov, lors de la répression sanglante de la révolte de Pougatchev — l'imposteur prétendant au trône, ralliant les tatares et cherchant une alliance avec les Turcs contre le Tsar. Les chocs d'Empires sont une constante dans l'Histoire et on nous en prépare d'effroyables, la question qui se pose aujourd'hui: restera-t-il un poète survivant ?…
ОСЕНЬ ВО ВРЕМЯ ОСАДЫ
ОЧАКОВА
Спустил седой Эол Борея
С цепей чугунных из пещер;
Ужасные криле расширя,
Махнул по свету богатырь;
Погнал стадами воздух синий,
Сгустил туманы в облака,
Давнул — и облака расселись,
Пустился дождь и восшумел.
Уже румяна Осень носит
Снопы златые на гумно,
И роскошь винограду просит
Рукою жадной на вино.
Уже стада толпятся птичьи,
Ковыль сребрится по степям;
Шумящи красно-желты листьи
Расстлались всюду по тропам.
В опушке заяц быстроногий,
Как колпик поседев,
лежит;
Ловецки раздаются роги,
И
выжлиц лай и гул гремит.
Запасшися крестьянин хлебом,
Ест добры щи и пиво пьет;
Обогащенный щедрым небом,
Блаженство дней своих поет.
Борей на Осень хмурит брови
И Зиму с севера зовет,
Идет седая чародейка,
Косматым машет рукавом;
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И снег, и мраз, и иней сыплет
И воды претворяет в льды;
От хладного ее дыханья
Природы взор оцепенел.
Наместо радуг испещренных
Висит по небу мгла вокруг,
А на коврах полей зеленых
Лежит рассыпан белый пух.
Пустыни сетуют и долы,
Голодны волки воют в них;
Древа стоят и холмы голы,
И не пасется стад при них.
Ушел олень на тундры мшисты,
И в логовище лег медведь;
По селам нимфы голосисты
Престали в хороводах петь;
Дымятся серым дымом домы,
Поспешно едет путник в путь,
Небесный Марс оставил громы
И лег в туманы отдохнуть.
Российский только Марс, Потемкин,
Не ужасается зимы:
По развевающим знаменам
Полков, водимых им, орел
Над древним царством
Митридата
Летает и темнит луну;
Под звучным крил его мельканьем
То черн, то бледн, то рдян Эвксин.
Огонь, в волнах не угасимый,
Очаковские стены жрет,
Пред ними росс непобедимый
И в мраз зелены лавры жнет;
Седые бури презирает,
На льды, на рвы, на гром летит,
В водах и в пламе помышляет:
Или умрет, иль победит.
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Мужайся, твердый росс и верный,
Еще победой возблистать!
Ты не наемник, сын усердный;
Твоя Екатерина мать,
Потемкин вождь, бог покровитель;
Твоя геройска грудь твой щит,
Честь мзда твоя, вселенна зритель,
Потомство плесками гремит.
Твоя супруга златовласа,
Пленира
сердцем и лицом,
Давно желанного ждет гласа,
Когда ты к ней приедешь в дом;
Когда с горячностью обнимешь
Ты семерых твоих сынов,
На матерь нежны взоры вскинешь
И в радости не сыщешь слов.
Когда обильными речами
Потом восторг свой изъявишь,
Бесценными побед венцами
Твою супругу удивишь;
Геройские дела расскажешь
Ее
ты дяди и отца,
И дух и ум его докажешь
И как к себе он влек сердца.
Спеши, супруг, к супруге верной,
Обрадуй ты, утешь ее;
Она задумчива, печальна,
В простой одежде, и, власы
Рассыпав по челу нестройно,
Сидит за столиком в софе;
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И светло-голубые взоры
Ее всечасно слезы льют.
Она к тебе вседневно пишет:
Твердит то славу, то любовь,
То жалостью, то негой дышит
То страх ее смущает кровь;
То дяде торжества желает,
То жаждет мужниной любви,
Мятется, борется, вещает:
Коль долг велит, ты лавры рви!
В чертоге вкруг ее безмолвном
Не смеют нимфы пошептать;
В восторге только музы томном
Осмелились сей стих бряцать.
Румяна Осень! радость мира!
Умножь, умножь еще твой плод!
Приди, желанна весть! — и лира
Любовь и славу воспоет.
L’AUTOMNE LORS DU SIÈGE D’OTCHAKOV
(Vers traduits par TM)
L’Éole boréal grisonnant descendit
Traînant des cavernes ses chaînes
d’airain ;
Ses effroyables ailes, il étendit,
Les agitant sur le monde des héros
herculéens ;
Chassant les troupeaux de l’atmosphère
bleutée
Les brumes en nuages il épaissit,
Sous sa pression les nuages se sont
disséminés,
Son grondement s’éleva, il déclencha la
pluie.
Déjà l’automne écarlate a emporté
Dans la grange les gerbes dorées,
Et l’abondance des vignes sollicite,
Qu’en vin les transforme une main
avide.
Déjà les oiseaux se rassemblent en
nuées,
Par les steppes miroitent, argentées,
les juments ;
Jaunes et fauves les feuilles
frémissant
S’étalent partout sur les sentiers.
En lisière, le lièvre aux pattes
véloces,
Comme un grisonnant héron repose ;
Les cornes de la chasse retentissent,
Les chiens aboient et s’élève un
grondement.
On fournit le pain des paysans,
Il y a de la soupe au chou, on boit la
bière du solstice ;
D’un ciel généreux s’enrichissant,
De la grâce des jours s’élève le chant.
L’hyperborée sur l’automne fronce le
sourcil
Et du nord convoque l’hiver,
En marche est la grise sorcière,
Hirsute, elle agite ses manches
fossiles
Et la neige, et la boue et le givre
sont déversés
Et l’eau en glace est transformée
Par sa respiration glaçante
Le regard de la nature s’est figé.
De loin en loin d’arc-en-ciel bariolé,
Est suspendue aux cieux la brume
environnante,
Et sur le vert tapis des champs,
Est saupoudré un duvet blanc.
Les déserts se lamentent et les
vallées,
Où hurlent les loups affamés ;
Dressés les arbres aux dénudés sommets,
Devant eux aucun troupeau ne paît.
Dans la toundra moussue, le cerf s’en
est allé,
L’ours dans sa tanière est
couché ;
Dans les hameaux, les nymphes au voix
puissantes
Ont cessé de chanter dans les rondes
dansantes ;
S’élèvent les fumées grises des
maisons,
Sur le chemin se hâte le compagnon,
Le céleste Mars a laissé son tonnerre
Et s’est allongé dans le brouillard
sans rien faire.
Ne sont russes que Mars et Potemkine,
Pour qui le cauchemar, ce n’est pas
l’hiver :
Par les déployées bannières
L’aigle des régiments conduits par
discipline,
Sur le royaume antique de Mithridate,
La lune s’assombrit et s’envole
délicate
Sous ses ailes en bruissements,
scintillantes, sibyllines,
Le noir, le blanc, l’écarlate Evkchine.
Le feu inextinguible dans ses vagues
répétées,
Les murailles d’Otchakov a dévoré,
Devant eux le Russe indompté,
Jusque dans la boue, moissonne ses
verts lauriers,
Les tempêtes grises, il sait mépriser,
Sur les glaces, sur les douves, sur le
tonnerre il s’est envolé,
Dans les eaux, dans la flamme il a
médité :
Soit mourir, soit la victoire
remporter.
Courage, Russe dur au mal et dévoué,
Que le triomphe à l’horizon puisse
briller !
Tu n’es pas un mercenaire, mais le fils
fervent :
La Grande Catherine est ta mère,
Potemkine est ton guide, ton protecteur
est le Dieu des vivants ;
De bouclier, ton héroïque poitrine te
sert,
L’univers te contemple, l’honneur est
ta récompense,
D’étincelles crépite ta descendance.
Courage, Achille de Russie,
Des nordiques déesses les fils,
Bien que vous ne vous abîmiez pas dans
le Styx,
Immortels par vos actes inédits.
Vers vous toutes les pensées, vers vous
tous les regards,
À la suite de vos pères, soyez
hardis !
Et toi Golitsine, accours sans
retard !
Apporte en ta maison le rameau
d’olivier de la gloire.
Ton épouse est ulcérée
Captive en sa personne et son cœur
Depuis longtemps elle attend ta voix tant
désirée
Quand vers elle, enfin tu entreras dans
ta demeure ;
Quand tu l’étreindras avec ardeur
Quand sur tes sept fils
Et leur mère tendrement se posera ton
iris
Que les mots te manqueront, dans ton
bonheur.
Lorsqu’ensuite en discours abondants
Tu afficheras ton ravissement
D’une inestimable victoire couronné
Ton épouse tu auras étonné
Tes actions héroïques, tu auras raconté
À son oncle, à son père, ta valeur
À son esprit, son cerveau, tu auras
prouvé
Comment à lui, il a attiré un cœur.
Hâte-toi époux, vers l’épouse fidèle,
Réjouis-toi, et réconforte la, elle,
Tandis qu’elle est pensive, attristée,
Dans des vêtements sans affèterie, les
voix
Sous son front propagées, désordonnées
Elle reste assise à la table, sur le
sofa.
Son regard bleu clair, troublant,
Coulent les larmes, à chaque heure,
constamment.
Elle t’écrit quotidiennement,
Et la gloire et l’amour affirmant,
Respirer la peine ou le ravissement
Et la crainte lui échauffe les
sangs ;
Le triomphe de l’oncle souhaitant,
Ou de l’amour de l’homme assoiffée,
Embarrassée, en lutte, elle va
prophétiser :
Si le devoir l’exige, cueille tes
lauriers !
Le palais autour d’elle est muet de
stupeur
Les nymphes n’osent même pas
chuchoter ;
Ravies seules sont les muses par la langueur
Osant ces vers laisser tinter.
Bonheur du monde ! Automne
cramoisi !
Ta chair encore, multiplie,
multiplie !
Approche, ô nouvelle désirée ! —
que la lyre sans fard,
Entonne le chant d’amour et de gloire.
Gavril
Derjavine, 1782.