En librairie le 7 mars |
LES
IRONIES DE L’HISTOIRE SELON GÉRARD GUÉGAN
Ça commence à se savoir, je ne
chronique que les livres de mes amis, à l’exception notable d’Annie Le Brun que je ne connais pas,
mais dont j’ai la faiblesse d’aimer le style éblouissant, la poésie percutante,
l’antiféminisme féminin — quelles que soient mes divergences avec certains
morceaux de bravoure post-surréalistes et diverses postures ultragauches
surannées.
C’est déjà assez difficile comme
ça !… Mes copains écrivent régulièrement et ça tombe toujours au mauvais
moment. Oui, parce que nous, les brasseurs d’abstractions, on ne roule pas sur
l’or. William Burroughs
disait : Dans ce métier, ce qui
manque, c’est le pognon. Et vous croyez que je m’en mets plein les fouilles
avec mes critiques de bouquins ?…
Bref, les devoirs de l’amitié passent
au-dessus de cette inavouable cupidité.
Du reste, en ce qui concerne Nikolaï, le bolchevik amoureux, de Gérard Guégan, ce fut loin d’être une corvée. Je passai une après-midi splendide
à lire la prose du vieux forban — si aérien le style de ce conte historique, un
domaine dans lequel Guégan est passé
maître avec Fontenoy, Tout a une fin Drieu, et Hemingway, Hammett, dernière —j’ai déjà parlé des deux derniers dans
ces pages. L’enchanteur est de retour. Qui d’autre, de nos jours marqués en
littérature d’un nombrilisme sordide, pour nous raconter une histoire pareille ?…
Boukharine, favori de Lénine et déjà en disgrâce auprès du régime
totalitaire, promis au peloton d’exécution à plus ou moins long terme, est
envoyé à Paris au début 1936, fait du prince, pour racheter les
manuscrits de Marx aux Mencheviks en
exil, qui les tiennent des sociaux-démocrates allemands les ayant sauvé des
autodafés nazis. Dans cette Ville-Lumière chausse-trappe et nid d’espions, Boukharine marche sur des œufs :
les Mencheviks sont les ennemis du régime, or il doit traiter avec eux. L’Oncle Joe l’a-t-il envoyé pour le
compromettre plus avant ?…
Est-le titre d'un seul livre, ou le titre d'une œuvre ?… |
Un Bolchevik de cette stature attire
les personnages phares de l’époque, Malraux,
parfaitement décrit avec sa concision qui tourne à l’obscur — écrivait
notre cher Drieu — Nizan, Jean Renoir et autres,
dont le passage rapide dans cette fresque d’un Paris disparu enlumine les pages
d’un épisode historique peu connu, mais ô combien révélateur jusqu’à
aujourd’hui, où une Union Européenne d’essence soviétique nous apprend que les
techniques de pouvoir ne meurent jamais, elles se contentent de muer. Elles
subsistent dans l’ADN de la technobureaucratie parasitaire. Elles passent de façon
subliminale dans les formes suivantes de la domination. La politcorrectitude
ambiante n’étant que la suite du Plan Quinquennal. Celui du capitalisme de l’information,
avec ses fatwas, ses purges et ses invasions justifiées à grand renfort
d’idéologie post-industrielle — concoction de mièvrerie victimaire et
d’absolutisme mercantile.
Sur un plan plus intime, et comme il
l’a entrepris dans ses fables historiques depuis Fontenoy, Guégan nous décrit en détail la faiblesse d’un personnage historique.
C’est un trait de caractère auquel il s’attache avec opiniâtreté depuis
quelques livres, peut-être pour sa productivité littéraire. Notre Bolchevik,
non des moindres puisqu’il fut un proche de Lénine, outre qu’il souffre d’une certaine pusillanimité, a un
talon d’Achille. Bien que vieillissant, ce Casanova
impénitent s’est amouraché d’une jeunesse, restée en Russie et enceinte de lui.
Dans la sarabande des hyènes autour des manuscrits de Marx, suscitant nombre de convoitises internationales, dans sa
panique face aux staliniens acharnés à sa perte, Boukharine doit aussi compter avec ses récentes amours aux conséquences
imprévisibles — le contexte incertain de la broyeuse soviétique en pleine
bourre, fusillant à tire-larigot.
Il s’agit avec Nikolaï… d’un effarant
poker menteur sur un enjeu symbolique, raconté de main de maître — dans la
beauté enfuie d’un Paris à présent dégradé sans retour par les chacals de
l’urbanisme, les charognards de l’immobilier, les politiciens vautours de la
ville à vendre.
Thierry
Marignac 2019.
Nikolaï, le Bolchevik amoureux
Éditions
Vagabonde.