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28.12.21

La mort d'Albert Anatolievitch Likhanov

 

         Sans appel, sans larmes, sans regrets

         Pareil aux nuées blanches des pommiers tout s’enfuit.

         Déclin de dorures envahi

         Ma jeunesse ne reviendra jamais.

         Sergueï Essenine

        

         Не жалею, не зову, не плачу,

         Все пройдет, как с белых яблонь дым…

         Увяданья золотом охвачен,

         Я не буду больше Молодым.

         (Traduction © Thierry Marignacdans le recueil Des Chansons pour les Sirènes, Éditions l’Écarlate, 2012 )

        

         Le 30 novembre, dans le somptueux restaurant de l’hôtel Arbat, à Moscou, Albert Anatolievitch Likhanov m’invitait pour un déjeuner princier où il me parla longuement de son activisme en faveur des orphelins, au Fonds pour l’Enfance qu’il dirigeait. Il était chaleureux, amical, sincère, drôle. En juin 2021, son livre Naître personne, était paru aux éditions de la Manufacture de livres, traduit par votre serviteur. Dans ses manières, sa façon d’être, sa décontraction, aucune trace de la morgue de l’apparatchik. Il était pourtant bien placé depuis longtemps.

Un mois et demi auparavant, au cimetière où nous étions venus rendre hommage à Édouard Limonov, avec Sergueï Chargounov, député à la Douma fédérale, et Daniil Doubshine, ami et factotum d’Édouard, journaliste et auteur de documentaires, nous étions littéralement tombés sur Likhanov dans ce même cimetière. Il était venu pour sa part aux funérailles d’un de ses amis. Quelle ne fut pas ma surprise de voir Chargounov et Doubschine lui donner l’accolade. C’était la troisième fois qu’ils retrouvaient Likhanov en deux jours et lorsque je confiai mon étonnement à Sergueï, il me répondit : « Je ne crois pas que ce soit une coïncidence, mais plutôt… le destin ». Likhanov tint à se faire prendre en photo avec votre bien dévoué, me tenant familièrement par l’épaule et déclarant fièrement : « C’est mon traducteur !… ».

Le 25 décembre dans la journée, Lola Zvonareva, critique littéraire et directrice de plusieurs revues, m’apprenait que Likhanov venait de décéder des suites (infarctus) de la maladie, dont, cher lecteurs, vous n’avez que trop entendu parler depuis deux ans. Il était âgé de 86 ans, mais avec une gouaille de gamin et un esprit clair et vif. Ma timidité devant un tel personnage que je n’avais vu que quelquefois auparavant fin 2019, s’était, au cours de notre déjeuner, aussitôt évaporée devant son énergie amicale.

Son roman Naître personne mettait en scène un adolescent orphelin qu’un truand des tragiques années 1990 en Russie prenait sous son aile pour en faire son second… et dérivant vers le racket presque imperceptiblement. Un sacré polar bien ficelé, dont l’humanité, la sobriété à bien des égards, les coups de théâtre remettent à leur véritable place de médiocres, les soi-disant maîtres du roman noir des larmoyantes églises gauchistes. Le métier des conteurs de l’école soviet. La cuistrerie victimaire peut aller se rhabiller. Son expérience au Fonds pour l’Enfance, finançant et gérant des orphelinats s’y reflétait avec maestria.

Nous avions évoqué la possibilité de faire publier en Phrance un second roman La Poupée cassée centré lui aussi sur les années 1990 dont l’Occident feint d’ignorer l’horreur pour les vaincus de la Guerre Froide. Son enthousiasme était communicatif.

Si La mort est un des risques du métier d’homme, comme l’écrivait feu Limonov en 2000, pour son premier Livre des morts, où il évoquait notamment Iossip Brodski (prix Nobel de littérature 1987) et Andy Warhol, parmi tant d’autres figures de sa vie vagabonde — on s’y habitue mal. Je garde l’image toute récente d’un grand vivant dévorant des Tempura  en dégustant un fameux Côte de Beaune sous mes yeux, de combien de projets possibles parlait-il — et il n’est plus là.

Cette tristesse impossible à dissiper, disait encore mon cher Essenine… fût-ce pour un virtuel inconnu, comme un écho à tous les deuils.

Thierry Marignac, fin décembre 2021.