Photo © T. Z. |
Guest stars
22.4.21
Pour sortir de l'écœurant utilitarisme des imbéciles dans l'art et la littérature
18.4.21
Aspects d'une poésie objective II
À rebours d’une poésie subjective, dite « des tourments intérieurs », certains Russes choisirent une autre direction plus marmoréenne, parnassienne à sa manière : ciseler dans la pierre du réel. Une bonne partie — pas tout — des poèmes de Limonov se rattache à cette tendance, et dans les thèmes et dans le rythme. Édouard avait parfois fréquenté le séminaire informel et permanent de Kropivnitski dans la région de Moscou, évoqué par Kira Sapguir , un homme qui, par son opiniâtre résistance passive au diktats, inspira tant de poètes et de peintres…
Medvedeva/Limonov, Paris, années 80. |
(©Poèmes traduits du russe par Thierry Marignac)
Ainsi nous grandîmes. À l’Est de l’Europe.
Un Kremlin d’oreillers. De couvertures une Église.
Personne ne voyait plus loin que le bout de son microscope,
C’était avant que le téléviseur n’existe…
Le téléviseur bientôt tous idolâtraient,
En soirée comme à l’église, chez les amis on se rendait
Bien peigné et solennel on s’asseyait,
En cadeau un petit pain et des bonbons, on apportait.
Faits d’argile nous sommes l’Ouest de l’Asie
Mélancoliques et sombres Huns
C’est ainsi que nous avons donné au Géorgien
Un grand, inconfortable pays.
Sous l’œil de ce mufle ainsi
Ses moustaches noires luisantes et fières
Marchèrent sombrement les soldats d’Asie
Sur votre Berlin, venus des régions forestières…
Édouard Limonov, 2015.
Faut-il présenter ?… |
Так мы росли. Восточная Европа.
Кремль из подушек. Храм из одеял.
Никто не видел дальше микроскопа,
И телевизор не существовал...
На телевизор вскоре все молились,
По вечерам как в церковь в гости шли,
Причёсанные, важные, садились,
В подарок булок и конфет несли.
Мы западная Азия из глины —
Печальные и мрачные хунну,
И потому мы отдали грузину
Большую, неуютную страну.
И потому под взгляд его мордатый
И черные блестящие усы,
Шли мрачно азиатские солдаты
На Ваш Берлин, из лесополосы...
Эдуард Лимонов, 2015.
Evgueni Kropivnitski |
(Traduction © Thierry Marignac)
LE HARENG
On a salé le hareng gras
N’importe quel ivrogne comprend ça
C’est bien qu’on ait inventé la vodka…
Seigneur, elle est ridicule, cette blague-là !
Si toute la vie est mystère, si tout est errements
Si la mort nous guette ;
Si jusqu’à la bêtise, nous ne sommes qu’accident—
À part la vodka qu’est-ce qui nous reste ?
Ah l’amour ! Ô, comme il est Tout-Puissant !
De la luxure, aveugle tremblement,
D’une clarté enchanteresse, cette chose terrifiante
Pour les esclaves de la foule vacillante.
Et le poète ? — Il ne peut nulle part se cacher :
Il est l’organe de toute la chair du monde des humains.
Comment de boire au bouge pourrait-il s’empêcher,
Comment chez les ivrognes ne serait-il parmi les siens ?
Aux moments où l’on est épuisé
Par l’amour — ses odieux balanciers —
Seigneur, l’ivrognerie tu justifies,
Seigneur, et la passion tu apprécies.
Le saucisson et le hareng gras —
Sont un profit pour chaque État.
Quel coup de bol, qu’on ait inventé la vodka !
Ivrognes, aux sobres faîtes un doigt !
Evguéni Kropivnitski, 1950.
Réclamez jusqu'au trait, sans faux col! |
СЕЛЕДКА
Засолили жирную селедку —
Это разумеет всяк, кто пьян.
Хорошо, что выдумали водку...
Господи, нелеп сей балаган!
Если бред все, если жизнь вся тайна,
Если смерть подстерегает нас;
Если мы до глупости случайны —
Кроме водки, что еще у нас?
А любовь! О, как она всевластна! —
Этот трепет похоти слепой,
Эта жуть, что так волшебно — ясна
Для рабов мятущихся толпой.
А поэту? — Некуда деваться:
Он орган всей плоти мировой.
Так ему ль в пивной не напиваться,
И ужель он пьяницам не свой?
В те поры, когда изнемогаешь
От любви - постылой маяты —
Господи, ты пьянку оправдаешь,
Господи, и страсть оценешь ты.
Колбаса да жирная селедка
Государству каждому барыш.
Вот лафа, что выдумали водку!
Пьяницы, кажите трезвым шиш!
Евгений Кропивницкий, 1950.