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25.11.19

L'Icône, roman de T. Marignac aux éditions des Arènes, collection Équinox', au Centre Culturel Russe Quai Branly, Paris, les 6-7-8 décembre.

…QUE D'AMOURS SPLENDIDES J'AI RÊVÉ…
         J’ai placé mon bonheur dans un calme langage :
         J’aime, et jusqu’aux détours, la route où je m’engage.
         (…)
Et le cruel éclat d’un ciel géométrique
         Sur toutes nos maisons comme un couteau planté.
Odilon-Jean Périer, Poèmes, Gallimard, 1952.


À certains moments, le manque d’expérience universitaire se fait cruellement sentir. Que n’eussé-je fait Hypokhâgne !… Avec quelle superbe j’eusse alors disserté sur mon thème casse-gueule — et d’ailleurs n’importe lequel.
         Lorsque par une journée de grand soleil au bord de la Manche, dont j’ai complètement oublié la teneur, et pour des raisons qui m’échappent aujourd’hui, j’ai inconsidérément décidé d’écrire un roman d’amour, j’étais loin de penser à tout ça. Étais-je mû par des raisons vénales (Ça va faire un malheur !…) existentielles (Il est temps !…), je ne sais plus.
         André Breton, qui était un auteur tarte (l’allitération est ici involontaire), fut plaisamment surnommé Dédé-les-amourettes pour s’être emphatiquement vautré à répétition, notamment le poème : L’Amour Fou dans lequel, spirite amateur, il voyait en outre la prémonition de double vue freudienne d’une rencontre qu’il fit plus tard. De même le : Je vous souhaite d’être follement aimée à sa fille encore nourrisson — dans une lettre où il se retenait furieusement d’aller combattre les Franquistes en Espagne — s’il a contribué à sa renommée, ne me paraît pas très heureux. Selon ses oukases, chaque surréaliste s’épanchait sur la femme de sa vie, même les plus effacés, comme Man Ray.
Du reste, je ne lui jette pas la pierre, à Breton, à une époque où les « romanciers à la mode » sont des chefs de pub qui prennent de l’excstasy, ou bien des psychosés qui fourguent une sous-sociologie entre deux scènes de sexe pour que leurs lecteurs se croient « contemporains » — bref des marchands de soupe. Breton faisait tourner les tables et signait des pétitions avec Léon Trotsky, ça a tout de même plus de gueule.
         Ah, je vous en prie, ne me parlez pas de Stendhal. La cristallisation a très mal opéré dans ma mémoire, une vague impression de givre matinal tout au plus, en survolant ses théories. Et épargnez-moi Barthes — un peu de tenue, s’il vous plait. La brocante, si vous voulez, mais pas structuraliste, c’est vulgaire. Vous aimez l’idéologie dominante, ça vous regarde.

         Pour éviter de patiner plus avant, je risquerai une métaphore : l’amour, c’est le ciel qui tombe dans ma bière par un crépuscule de fin d’été, suprême enluminure d’une vie passagère.
         En évoquant une créature de ciel et d’or, je l’entourais de circonstances et du crépuscule de la civilisation soviétique, un thème à la mode ces jours-ci — trentième anniversaire de la chute du Mur. L’amour c’est tout ce qui n’est pas l’amour, dit le cliché. Cette fin d’un monde est décrite elle-même dans le miroir de la diaspora, reflet brutal sur le verre trompe-l’œil d’une galerie des glaces idéologique. Les déchirements d’une époque charnière dont on arrache les gonds — Internet, à présent biberon universel, était une arme américaine de la Guerre Froide « déclassée » plus tard — constituent les déchirements intimes d’une petite histoire qui se délite au rythme de la Grande. Le monde en accéléré, Paris, Londres, New York, Kiev et Dublin, sur la bande vidéo du triomphe universel de la marchandise au rythme stupéfiant de l’ère de l’information. Et une liaison envisagée rétrospectivement, de l’autre côté de l’Atlantique, suite de décalages. Pour une raison quelconque — dans une crise de modestie absolument pas caractéristique, j’allais dire involontairement — ce roman a retenu l’attention de la présidente du Comité Littéraire du Centre Culturel Russe de Paris quai Branly pour les journées du 6-7-8 décembre où les lecteurs sont bienvenus :


—…Je suis venu te raconter des nuits avec des dames.
  Des nuits d’amour ?
Avec colère, Pierre se mit à rire.

Paul Morand, Ouvert la nuit, NRF, 1922.

(En exergue, Odilon-Jean Périer, bouleversant poète belge que je ne saurai trop recommander, nous a été conseillé par Christopher Gérard — un des très rares romanciers contemporains de langue française qui vaillent le coup de casser sa tire-lire)