Encore
un cadeau de Kira Sapguir, le poète Boris Ryjii a déjà été évoqué dans ces
pages, « passant considérable », mort avant trente ans, à la
Lermontov, avec qui il partage en outre la caractéristique d’avoir écrit plus
que de raison, pour un si jeune homme, vertige d’un déséquilibre d’instabilité
systématique.
Il évoque ci-dessous, à sa si singulière façon, l’année
charnière 1985, qui vit l’arrivée au pouvoir de Gorbi, le fossoyeur d’URSS,
l’instant même où tout a changé de texture dans ce monde en hibernation que nous avions cru
éternel, un deuil politico-mondial, semblait-il, comme un autre, mais qui
signifiait déjà le XXIème siècle, cette déchéance.
Dans cette échoppe russe de Londres, il y a quelques jours, je croyais rêver :
le recueil de Ryjii, des centaines de poèmes sauvés de l’oubli, en solde, pour
s’en débarrasser. Et j’ai béni l’errance, béni les pas perdus, dans une prière
muette au hasard objectif.
Sosnovski
et les Sibériens ne connaissaient pas ce volume, publié à Pétersbourg, par le
Fonds Pouchkine.
1985
À deux
heures ouvrirent les marchands de vin
Et dans tout le pays on cessa de travailler. Les Géorgiens
En douce vendaient des philtres, souterrains marchands.
Partout on suspendait des drapeaux en parure.
Les maniaques se cachaient dans la verdure.
Les scouts étaient à cran
Et parlaient d’eux en disant, c’est des homos.
En une semaine étaient morts les secrétaires généraux…
Sorti de taule, le voisin racontait des sornettes à tout
vent.
J’allumais une cigarette, mes cils grésillant
Et je venais d’avoir dix ans.
Boris Ryjii, 1997
1985
В
два часа открывались винные магазины
И в стране прекращалась работа. Грузины
Торговали
зельем из-под полы.
Повсюду висели флаги.
В
зелени скрывались маньяки.
Пионеры были предельно злы
И
говорили про них: гомосеки.
В неделю раз умирали генсеки…
Откинувшийся
из тюрьмы сосед
Рассказывал небылицы.
Я,
прикуривая, опалил ресницы,
И мне исполнилось десять лет.
1997 Борис Рыжий