La nécessité de la présence se vérifie par l'absence |
Paris.
Il était de l’autre côté du monde, autrefois
en Europe, cette icône d’alcôve lui faisait un gringue d’enfer et quand elle
avait pris l’initiative de l’embrasser, c’était comme à quinze ans, les jambes
en gilet de flanelle. Qu’est-ce qui les avait poussé ensuite à faire l’amour
dans une remise d’hôpital, sortant du chevet d’un dissident des Pays Baltes
agonisant — sans doute la proximité de la mort, intolérable à l’un et à l’autre,
qui s’étaient entrevus quelquefois auparavant, dans l’entourage du grand homme.
Elle avait cette peau parfaite, l’âme de la soie incarnée dans une chair sans
défaut, et il n’y avait absolument aucune raison qu’elle l’eût choisi lui,
combattant quasi anonyme de la cause, ni le plus riche, ni le plus gradé, ni le
plus beau. Sans pouvoir détacher ses yeux d’elle, dans cette chambre de mort où
un homme encore jeune — mais soudain vieillard — récitait des vers de
Khlebnikov comme un testament d’anticommunisme — pas un instant il ne s’était
cru digne de cette splendeur de blonde un peu maigre, nouée, la fille de
l’agonisant. Il la contemplait à la dérobée, d’autres hommes peuplaient la
pièce, des Baltes, des Russes, des Français. Des hommes de rang dans la
hiérarchie de la cause. Il n’était venu que pour rendre hommage au vieux
révolté, rétréci comme une peau de chagrin sur un lit de misère. Il connaissait
peu le héros vivant ses dernières heures. Il avait toutefois traduit
l’essentiel de ses principaux articles et fait un jour le coup de poing aux
côtés du rebelle des pays Baltes, dans une embrouille de rue avec une section
du syndicat métallo dont ils avaient bien failli sortir en miettes —
n’échappant que d’extrême justesse à un lynchage en règle grâce à la tactique
du lièvre. Dans la chambre de mort, la jeune femme avait capté son regard éperdu,
sans en concevoir de rancune, semblait-il, dans un élan de reconnaissance pour
un signe d’émotion trouble-fête funèbre.
Honteux malgré tout, il avait alors détourné les yeux et pris le chemin de la
sortie. Mais le moribond l’avait retenu :
—Consiglieri, venez me dire adieu.
(…)
(…)
TM, extrait d'un roman inachevé, 2013.