Au Salon du Livre Russe, qui se tenait ce
week-end à l’Espace des Blancs Manteaux, nous eûmes la bonne surprise de voir
le livre de Kira Sapguir « Paris, un monde à part et merveilleux » (Париж –
мир чудесный и особый ) éditions
Rosstok. En parcourant l’ouvrage, on tombe sur la nécro de Vladimir Volkoff, auteur
respectable à notre avis — et ce, depuis les jours d’enfance où l’on dévorait
la série des Langelot en
Bibliothèque Verte, que Volkoff écrivait sous le pseudonyme « Lieutenant X », auteur jeunesse
avant la lettre.
Quelle surprise et quel bonheur de
constater qu’il avait avec le roman d’espionnage dans lequel on le classait, à
peu près les mêmes relations qu’un certain TM avec le polar, cette église
de « l’enquêtisme » focalisée sur la vie de la police et des
détectives, à la recherche d’une justification aussi judiciaire que
« justicière» à sa bonne conscience de bénitier. Et c’est grâce au regard
singulier de Kira Sapguir qu’on l’apprenait !…
VLADIMIR VOLKOFF, ARISTOCRATE RUSSE —
CLASSIQUE FRANÇAIS.
Par Kira Sapguir
(Traduit par TM)
« Il
faut être privé de sa terre natale, pour l’aimer d’un amour extra-terrestre.
Et, dans un amour extra-terrestre infini, il y a une source de force
infinie… »
Dimitri Merejkovski
« J’ai
un pays natal, mais ma patrie d’origine est ailleurs ».
Vladimir
Volkoff
Le 14 septembre 2005 Vladimir Volkoff est décédé dans le
Périgord, écrivain de langue française, et Russe par l’esprit. Vladimir
Volkoff, émigrant de Russie Blanche deuxième génération était d’une famille aristocratique.
Il comptait V.I. Tchaïkovski au nombre de ses grands-oncles. Parmi ses ancêtres
figure également le célèbre marchand moscovite Porokhovchtchikov. Le grand-père
de Volkoff avait combattu dans les rangs des armées blanches sous les ordres de
l’amiral Koltchak, avant de mourir au
cours des années effrayantes du malheur et de la misère russe. Vladimir
Volkoff, combattit lui aussi, comme son grand-père, servant dans les rangs du
contre-espionnage français pendant la Guerre d’Algérie (1957-1962). Après
l’armée, Volkoff obtint un doctorat de philosophie à l’université de Liège
(mémoire sur l’esthétique), et fut licencié de philologie. Dans les années
1960, il enseigna pendant onze ans les littératures russe et française aux
États-Unis.
Vladimir Volkoff est l’auteur de 50 livres. Ses deux romans
les plus connus en France sont Le Montage
et Le Retournement (« Un
Thriller métaphysique sur la conversion religieuse d’un officier du KGB »,
selon l’auteur), nous relèverons également des ouvrages plus tardifs, tels que L’Enlèvement (sur la guerre de Bosnie), Le Complot (Sur l’Amérique, la Russie et
les évènements de Tchétchénie). Il était
lauréat du Grand Prix de l’Académie Française.
« Personne ne
distingue l’électron, même à travers le microscope le plus puissant. Mais on
peut suivre sa trace, et c’est ainsi qu’on doit concevoir l’activité des
services de renseignement, l’action d’agents d’influence secrets sur un
territoire étranger », disait Vladimir Nicolaïevitch Volkoff, en me
parlant du roman intitulé Le Montage,
un terme spécifique en français.
Volkoff écrivait en français.
—En moi dialoguent
deux civilisations, et je dialogue avec moi-même depuis ma naissance, disait
l’écrivain, J’ai un pays natal, et
une patrie d’origine, ailleurs.
Cet homme au regard vif, qui
avait toujours conservé la prestance et le maintien de l’escrimeur, la
gestuelle élégante — était un véritable aristocrate, tant par le sang que par
l’esprit. Cette aristocratie instinctive, pour laquelle Le Figaro le trouvait presque « vieux
jeu », traverse sa création grâce à un style cristallin.
C’est précisément dans cette langue française d’une pureté
cristalline que sont écrits les deux principaux romans de Volkoff, Le Montage, cité plus haut (Juliard/ L’Âge d’Homme, 1982),
pour lequel il fut couronné du grand prix de l’Académie Française, et Le Retournement, sur lequel l’éditeur
Bernard de Fallois devait dire : « Ce roman entretient les mêmes rapports avec le genre de l’espionnage
que Crime et Châtiment avec le genre policier ».
—Je n’écris pas des romans d’espionnage,
poursuivait Volkoff , mais des romans
métaphysiques sur l’espionnage. Celui-ci est pour moi un moyen très intéressant
de découvrir le monde. Lorsqu’on regarde les choses de ce point de vue, on
s’aperçoit souvent que les gens ne correspondent pas du tout à l’image qu’ils
souhaiteraient donner d’eux-mêmes. Tout le monde vit sur un plan différent. Et
il me semble que le fondement de la littérature est de dévoiler cette essence
secrète, invisible, de la nature, et de l’homme, de la psychologie, de la
société, de la religion.
Depuis
son service dans les rangs du contre-espionnage, V. Volkoff avait gardé la
conviction que les services secrets mènent le monde. Et ses romans d’espionnage
historiques font en partie référence à un certain manuel — celui d’une école
invisible, dont les figurants apprennent l’art subtil et complexe de mentir et
de subvertir…
Du
reste, c’est Vladimir Volkoff en
personne qui introduisit le terme soviétique
désinformation, dans la langue française…
La désinformation
est une matière beaucoup plus complexe qu’une simple information mensongère — mystification
simpliste, une grossière manœuvre d’espion. C’est une manipulation de
l’opinion, une subversion de la société par le biais d’un choix
tendancieux de certaines données, coupées de leur contexte, et diffusées par
des agents d’influence.
—La désinformation est une attaque ciblée.
On peut désinformer avec la vérité même. Si l’on attire l’attention de la
société sur un seul côté des évènements et des êtres… disait
Volkoff.
Il
s’agit d’une généralisation conceptuelle, mise au point pendant deux mille cinq
cents ans d’histoire secrète de la désinformation. Que les anglo-saxons
appellent éloquemment « Le Grand Jeu ». Vladimir Volkoff en fit l’objet d’une
anthologie : La désinformation comme
arme de guerre, éditions l’Âge d’Homme, 1986. Dans l’introduction, Volkoff
disait avoir entrepris ce travail dans un but de défense de l’Occident, pour
ouvrir les yeux du public sur le totalitarisme soviétique.
Volkoff
était un anticommuniste farouche, mais sans la moindre trace de russophobie. Et
lors de la chute du communisme en Russie, au contraire des « orphelins de
la Guerre Froide », il s’abstint d’ânonner que rien n’avait
fondamentalement changé. À l’époque Volkoff exprima ouvertement sa sympathie
pour Yeltsine « le maître du Kremlin ». L’auteur pensait réellement
que Yeltsine avait démantelé l’URSS au nom d’un retour vers la Russie
authentique. Bigre, il arrive que même les observateurs les plus affûtés soient
incapables de distinguer les artifices théâtraux sur la scène historique.
Heureusement,
la mentalité aristocratique enracinée chez lui ainsi que sa foi orthodoxe
protégea l’auteur de l’approche simpliste des dissidents en ce qui concerne la
Russie contemporaine.
Dans
ses livres, articles et essais, Vladimir Volkoff se dressa invariablement
contre la pensée unique politiquement correcte. Son grandiose roman « La
Crevasse » montre la manipulation des consciences occidentales à l’aide
des évènements du Kossovo. Les mass média
occidentaux dans leur ensemble étaient emplis, à l’époque des évènements
yougoslaves, de représentations présentant les Serbes comme des diables et les
Albanais comme d’innocentes victimes. Ainsi se forma l’opinion publique avec
laquelle les Français jugèrent cette guerre de façon très approximative.
Volkoff décrivit ce que taisaient les
médias occidentaux, plus précisément — la barbarie des Albanais à l’égard des
Serbes. Il considérait que la France devait soutenir les Serbes
inconditionnellement, rappelant l’alliance de la Première Guerre Mondiale, et
la lutte commune contre l’Allemagne à l’époque de la Seconde.
Il est
manifeste qu’un Volkoff, monarchiste jusqu’à l’os resta pour les médias
français de gauche un douteux excentrique. Même sa nécrologie dans la journal
néo-libéral Le Monde lui reprochait
ouvertement à titre posthume d’avoir gravité dans l’extrême-droite, et
employait sans vergogne le terme communiste éculé de
« réactionnaire ». Mais en fait, Vladimir Volkoff, adversaire des
idées toutes faites, se moquait caustiquement de l’intelligentsia
« engagée » et de sa pensée unique.
La
nécrologie du Monde ne l’aurait pas
surpris.
Kira Sapguir, La Pensée Russe, 2005.