Guest stars

9.10.12

Vladimir Kozlov : enfin un auteur honnête (interview 2e partie)


Critique littéraire, concurrence, tartufferie des GENSDELETTRES.

Notre intraitable camarade Vlad Kozlov poursuit, avec l'intelligence déconcertante qu'on lui connait, le dynamitage des éternelles antiennes d'un pitoyable milieu littéraire dont l'activité essentielle consiste à cirer les pompes. Ceux qui seraient tentés de croire que cette mascarade n'a lieu qu'en Russie feraient bien d'entreprendre un brin d'introspection locale, et notamment en Phrance. Nous soulignerons la qualité la plus remarquable des réflexions ci-dessous, en tous points semblable à celle des romans de Kozlov — ce qu'un certain Raymond Chandler appelait: réserve implacable.

(Traduit du russe par TM)


Vladimir,  comment envisages-tu le fait que des auteurs tels que Elizarov, Prilepine et Roubanov aient frappé avec autant de force ces derniers temps en Russie ? Considères-tu que ces auteurs sont tes concurrents ? Et as-tu des amis dans l’establishment littéraire moscovite, c’est à dire avec les auteurs avec lesquels tu as des relations de camaraderie ?
                    Je ne considère personne comme un concurrent. Il me semble qu’un auteur doit écrire ses romans et ne pas faire attention au reste, à ceux qui en écrivent d’autres. Oui, sur le plan commercial — c’est important. Mais il s’agit d’une sphère complétement différente, avec laquelle je ne veux avoir aucun rapport. En bref, non, je n’ai pas de concurrents. Je n’ai sans doute pas non plus d’amis… Je suis unique en mon genre. En littérature, comme dans n’importe quelle activité créative, il faut appartenir à un cercle, mais j’y ai toujours répugné.En ce qui concerne les noms que tu as cité, je ne connais qu’Elizarov, avec qui j’entretiens de bonnes relations, et ce, depuis l’époque où nous étions publiés tous les deux par Ad Marginem. Nous ne sommes vus que rarement ces derniers temps. La dernière fois c’était au marché du livre de Perm.

Mais ne penses-tu pas, que si nous parlons des cercles littéraires, ta distance vis-à-vis d’eux t’a privé d’obtenir des prix littéraires importants ( « Best-seller national » «  Booker») ?
                    Oui, je pense que c’est lié. D’autant plus que je sais un certain nombre de choses concernant ces récompenses, des informations de l’intérieur, qui ne sont pas censées être révélées. Encore une fois, ce genre de choses me laisse froid. Comme je n’ai pas de prix, gloser sur l’honnêteté de l’obtention de ceux-ci ne me semble pas nécessaire. Mon affaire, c’est d’écrire. On aime ou l’on n’aime pas. Et dans ce cas, au-revoir. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas l’intention pour autant de me glisser dans les cercles littéraires à cette fin particulière. Même si j’ai compris que l’appartenance à ces cercles permet d’obtenir des contrats plus juteux.
Mikhaïl Elizarov, l’écrivain auquel nous avons déjà fait allusion était lui aussi écarté des prix littéraires, et il a reconnu ouvertement que cela avait provoqué chez lui une certaine impatience vis-à-vis de la critique, et une colère redoublée. Mais après avoir obtenu le prix Booker russe, il a également reconnu s’être calmé, devenant moins réceptif aux reproches du monde littéraire. Ressens-tu toi aussi une certaine agitation par rapport au fait que tes livres ne sont pas reconnus, et souhaites-tu forcer les critiques à lire tes romans de façon tonitruante ?
—Absolument pas. Si je pensais au potentiel prix littéraire de mes bouquins ou à l’écho qu’ils auront, ce serait une catastrophe. Dans ce cas-là, mieux vaut ne pas écrire. Penser à ce genre de choses, c’est se vouer à être sous le joug. Il n’agit plus alors de littérature, mais de la conception d’un produit.
S’il est question de la critique, je suis toujours très serein par rapport à ses avis.
Il arrive bien sûr qu’on traverse des moments agités… Par exemple, l’année dernière, un critique du nom de Korovine a écrit un compte-rendu de « Retour à la case départ » (en français, Éditions Moisson Rouge, traduit par TM). Ce livre a été poussé à concourir au prix Best-Seller National mais par l’intermédiaire d’Internet et non de la société littéraire. Les membres du jury devaient lire les livres, leur mettre une note, et composer la liste des nominés à partir de celles-ci. En réalité, que le critique ait éreinté le livre sur un ton inadmissible ne m’a que peu ému… Ce qui m’a mis en pétard c’est qu’il ait été le seul à le lire. Les membres du jury ne lisaient que les livres pour lesquels ils avaient d’avance l’intention de voter. Cette situation m’a énervé au point que j’ai traité le critique Korovine de suceur de queues, sur mon site. Et je n’en éprouve aucun regret ; il avait écrit « Tu récoltes un doigt d’honneur, et pas un prix ! ». Qu’est-ce que ça signifie, d’écrire ce genre de truc ?…

À ce propos, les avis de la critique sont à ton égard assez contradictoires et assez changeants. Je me souviens que ton premier roman « Racailles » (éditions Moisson Rouge, traduit par TM) avait éveillé l’ire du critique moscovite connu Lev Danilkine, du magazine « Aficha », qui considérait que les bouquins de Irvine Welsh étaient bien meilleurs . Mais ensuite, lorsque ton livre « Schkola » (non traduit en français) est sorti, Danilkine a changé du tout au tout, et t’a baptisé « le Dieu du dialogue ». On a à ce moment-là multiplié les comparaisons flatteuses pour toi. Est-ce que ce genre de bienveillance de la critique à ton égard, t’aide à te mobiliser sur ton travail d’auteur?
Non, ça n’a pas la moindre importance. Je vois bien que cette bienveillance ne tient pas à ce que les gens me pigent de quelque façon que ce soit. Le goût du jour est ici seul en cause. En Russie, la majorité des critiques dont l’opinion est entendue, qu’on considère comme les arbitres du goût sont, au mieux des gens aux critères quand même très subjectifs — au pire des gens très limités vivant dans des cercles étroits, au sein desquels il peuvent accepter un texte s’il correspond à un certain cadre de pensée et sinon, ils n’y comprennent rien. Comment une telle critique pourrait-elle être mobilisatrice ?
Si les critiques pensent qu’ils participent au processus littéraire, qu’ils créent quelque chose, facilitent la découverte de certains auteurs, qu’ils se détrompent ! Il y a très peu d’auteurs dont la popularité doive quelque chose à l’influence des critiques.
Je recommande aux lecteurs de ne tenir aucun compte de l’avis des critiques, ne pas prêter attention aux slogans publicitaires idiots du « Le meilleur livre de l’année », « Le meilleur roman russe contemporain », etc — ces bêtises commerciales sont destinées à vendre et c’est tout. Il ne faut surtout pas non plus écouter les conseils des autres écrivains (rires). Il est plus approprié de fouiller un peu, de chercher des fragments du roman  sur la Toile, de lire les commentaires de lecteurs. Nous ne sommes plus dans les années 1980, lorsqu’il n’était pas possible de se procurer les livres désirés.