Suite et fin de l'entretien réalisé à Moguilev (Biélorussie) par Sergueï Gribanovski.
(Traduit du russe par TM)
(Traduit du russe par TM)
Étant
donné que tu travailles et habites à Moscou depuis un certain temps, je me sens
dans l’obligation de te demander ce que tu penses de la situation en
Biélorussie. J’ai lu une comparaison entre Minsk et Pyongyang, la capitale de
la Corée du Nord, dans un livre de Victor Erofeev. Il affirme l’identité
absolue de l’ordre existant en
Biélorussie avec celui des états les plus totalitaires de la planète. En tant
qu’écrivain de Russie, possédant un passeport moscovite, tu vois tout ça à
travers la même lorgnette assez sévère, ou bien ton opinion sur notre pays
diffère de celle-là ?
—J’essaie de considérer la situation en
Biélorussie d’une façon un peu plus profonde. Une comparaison de ce genre est à
mes yeux très stéréotypée. La Biélorussie d’aujourd’hui a de multiples aspects.
D’un côté, elle possède un état autoritaire, de l’autre, elle est en quelque sorte
intégrée à l’Europe, quoiqu’au plus bas niveau.
Il y a quelques années j’ai appelé le régime
biélorusse l’incarnation même du rêve de Mikhaïl Gorbatchev et de la
nomenklatura du Kremlin lorsqu’ils ont entrepris la pérestroïka au milieu des
années 1980. La seule chose qui manque c’est l'idéologie communiste. Tout le
reste a été réalisé : la possibilité d’acheter des marchandises
étrangères, acquérir des voitures d’importation, voyager au-delà des frontières
(si on se l’autorise). Naturellement, on a conservé des attributs
soviétiques : éducation et médecine gratuite. Bien, sûr avec toutes sortes
de modifications. Je sais que tout évolue petit à petit, par exemple jusqu’à il
y a peu, on pouvait acheter un logement à des prix préférentiels et non aux
prix du marché. Toutes ces particularités
créent un mélange curieux, pittoresque de socialisme, de capitalisme et
d’autoritarisme.
Cependant, je comprends les Russes qui viennent
à Moguilev et qui apprécient ce calme, cette propreté, ce bien-être. Ou bien
ceux qui se promènent au centre de Minsk, à présent nettoyé et redécoré. L’habitant de Moscou vivant à trois stations
de la ligne circulaire contemple chaque jour d'immenses foules asiatiques, des ivrognes, des clodos en pagaille, le chaos, les embouteillages. S’il débarque à Minsk, il en a une impression fausse.
Volodia,
ressens-tu un problème d’identité ? Comment te considères-tu, un écrivain
biélorusse de langue russe, un écrivain russe ou biélorusse ? En effet, tu
vis à cheval à la frontière et tu es partagé entre deux mères patries.
Ce n’est pas un problème qui me tourmente beaucoup.
Je me qualifie parfois d’écrivain russe, de mec qui écrit en russe. Je dis
parfois que je suis écrivain biélorusse/russe, ou l’inverse. En effet, il est
impossible de voir ça dans un seul sens. 70% de ce que j’écris concerne la Biélorussie.
D’autre part, je suis souvent confronté à
l’opinion selon laquelle on ne peut considérer être un écrivain biélorusse, que si
l’on écrit en biélorusse. Je considère qu’il s’agit de pures foutaises. Je
crois qu’il est erroné que la littérature non officielle (ne parlons pas de
l’officielle) biélorusse soit promotionnée par des auteurs de seconde, voire de
troisième catégorie écrivant en biélorusse, et ignorant les auteurs qui
écrivent en russe, tout en étant souvent publiés en Russie — j’en connais personnellement
un certain nombre. Si on dresse un portrait de la réalité et de la vie
contemporaine en Biélorussie, alors quelle importance peut bien avoir la langue
dans laquelle on écrit ?
La majorité de la population biélorusse parle
russe. Telle est la situation linguistique. En ce domaine, il n’y a rien
faire !
Si l’on lançait un processus de
« biélorussisation », il faudrait s’y prendre de façon très précise,
très lente, pour que les gens soient portés par une impulsion stimulante, et
non pas forcés.
Je me souviens qu’au début des années 1990,
lorsqu’on nous a dit à l’université que toutes les matières seraient désormais
en biélorusse, les gens l’ont accueilli de façon très négative, naturellement.
Considérer les gens qui écrivent en russe comme des étrangers, c’est idiot, de
mon point de vue.
Pour
finir, je te poserai une question sur l’affaire qui scinde la société russe en
deux parties opposées, c’est une question qui te concerne et a des rapports
avec le punk… Je pense à la prière punk retentissante des Pussy Riot dans l’église moscovite du Saint-Sauveur. Quels
commentaires ferais-tu sur cette action en termes artistiques, politiques et
autres ?
—Je considère qu’il s’agit d’un développement du
punk-rock dans la réalité d’aujourd’hui. Faire des concerts punk était
d’actualité dans l’Angleterre des années 1970, et dans l’Amérique du début des
années 1980 (Je parle de la scène punk-hard-core). Tout ça, c’est du passé.
Si l’on veut évoluer dans le cadre du punk-rock, il faut
entreprendre ce genre d’action. La réaction qui a suivi celle-ci n’est pas
adéquate. J'ai appris il y a peu que l’église du Saint-Sauveur
n’appartient pas à l’église orthodoxe de Russie. Dans ces conditions,
je ne comprends pas les prétentions absurdes qui poussent à juger ce qu’ont fait des gens à cet endroit. D’un autre côté,
je vois une grande quantité de gens qui vivent dans des univers différents.
Nous vivons dans un seul pays, mais dans des mondes séparés. Il est sans
doute impossible d’y échapper. Tout le monde, je veux dire suivant l'appartenance à différents groupes de gens,
vit aujourd’hui dans un univers en rupture avec celui des autres.