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16.11.11

Le Bloc de Jérôme Leroy


JÉRÔME LEROY DÉBLOQUE À LA SÉRIE NOIRE (J'VAIS T'EN REFILER!)
Le grand jour, que je reculais quotidiennement depuis quelques semaines, est arrivé : chroniquer le livre de Jérôme portant sur l’extrême-droite, à la SN. Plusieurs raisons à ma valse-hésitation, mais j’avancerai tout d’abord celle qui figure pour moi en haut de la liste : il n’est un secret pour personne que mon Fasciste, paru en 1988, m’a valu une casserole que j’entends résonner aujourd’hui encore à mes basques. Mon refus de me justifier à l’époque, moi qui n’ai jamais milité nulle part, en était la raison essentielle. Que la provo reste une provo. Mon éditeur, Olivier Cohen, fasciné au premier abord par le bouquin, avait suggéré de l’intituler Le Fasciste ou Un Fasciste, pour s’en distancier. Pas question, avais-je répondu avec l’arrogance de la jeunesse. Par la suite avec sa clique, il devait saboter le bouquin, qui ne se vendit correctement qu’en poche, chez Pocket. En effet, son accès média, constitué de la gauche qu’on n’appelait pas encore caviar, en dépendait. Les éditeurs font souvent preuve de ce genre de panique. J’ai connu ça plus tard avec Guérif (Rivages/Noir), et avec Masson (SN), lorsque j’ai osé défier la chapelle manchetto-ellroyenne du polar, celle, constituée de médiocres, qui a besoin d’une doctrine pour écrire, ceci expliquant cela.  Donc, il s’agit d’un souvenir mi-figue, mi-raisin. Pas travaillé pendant deux ans, ensuite. Crevé la dalle. Bon, j’en suis fier évidemment, mais surtout a posteriori— Un léopard meurt avec ses taches  comme dit Jérôme Leroy, sale type qui a réponse à tout. L’affaire restait un hématome, tout de même, dans ma mémoire.

LA NUIT DES LONGS COUTEAUX
Jérôme Leroy a repris dans Le Bloc l’équation de l’échec du romantisme en politique et des purges qui s’ensuivent, qui était le thème de Fasciste, et dont il me devait me dire, il y a quelques semaines : Oui, Thierry, La Nuit des Longs Couteaux, quel autre sujet ? Prouvant par là sa finesse, et notre communauté de vues spontanée. Pourtant Leroy est communiste et militant,  il pense que sa prose porte une partie de l’horrible travail à infliger au Vieux Monde, et Dieu sait que j’objecte. Pour le romancier, les idées sont matériaux de rêve et non outils pour l’action, si « engagé » qu’il se déclare. J’en veux pour témoin mon ami Limonov manœuvré à tous les carrefours par les briscards de la politique, et si on peut lui pardonner Douguine, génie théoricien parlant neuf langues, comment lui pardonner Jirinovski, médiocre bureaucrate mûri sous les soviets, histrion de seconde zone ? Le seul succès de Limonov — mais il était de taille —  ami qui me valut lui aussi tant d’inimitiés, c’était d’avoir réussi, dans le cauchemar des années Yeltsine, à constituer quasiment le seul pôle contre-culturel dans son pays de troubles et d’ignorance. Mais c’est encore un succès d’écrivain, fût-il politique au énième degré.
Amis depuis deux décennies, nous partageons, Jérôme Leroy et moi, loin d’être toujours d’accord, cette histoire déchirée des lettres, du continent d’abondance en perdition où nous vivons — régulièrement brouillés, puisque c’est un militant, et personnellement, je suis un engagé de l’anti-engagement.


CADRE-COMMANDO
Il devait, avec Le Bloc dédoubler en deux personnages le concentré de violence et de rêverie que j’avais placé pour Fasciste entièrement chez le bourgeois perdu Rémi Fontevrault —  réminiscence inconsciente de Genet, le Journal du voleur : …De toutes les centrales de France, Fontevrault, je crois, est la plus troublante. Il reprenait l’Histoire où je l’avais laissée : la désindustrialisation qui nous donne le lumpen du Nord de la France bientôt rouage essentiel, cadre commando,  Et le tour tordu qu’ont pris tous les rêves du monde sans issue de lavie.com  nous donne l’intellectuel revenu de l’engagement (Jérôme !… Tu ne recules devant rien, tu devrais avoir honte !…), Pygmalion du bas du front nordiste dont il a fait un soldat d’élite— avant de le  vendre finalement pour la femme leader du parti, un trait de l’intrigue où je vois pas mal de ruse de la part de l’auteur en quête d’une histoire à la hauteur de son originalité. Pour des raisons de goût et d’esthétique, je n’aime pas beaucoup le : Je suis devenu fasciste pour un sexe de fille. J’admets toutefois, que c’est une première phrase spectaculaire, ce qui a sa valeur en soi,  que l’âge m’a peut-être rendu puritain, ce qui est inquiétant, et contrairement à ce que j’ai lu jusqu’ici, j’y vois une vraisemblance. On a reproché à cette phrase de ne pas être crédible puisqu’une femme leader politique a autre chose à faire. Eh bien, au-delà de DSK — grand-bourgeois partouzard tout à fait classique qu’on aurait absous de ses péchés comme on exonère tout un chacun dans ces univers politiques de faux-semblants, s’il n’avait été un enjeu vital au FMI— je ne vois pas pourquoi les femmes n’auraient pas elles aussi une fringale sexuelle décuplée par l’ambition. Je ne vois pas pourquoi un rêveur congénital comme l’intellectuel qui lui sert de mari ne serait pas fasciné lui aussi, par rebond, par ce vertige de pouvoir. Au contraire, je pense que c’est une habileté supérieure de raconteur d’histoire chez Leroy qui met en place un mécanisme aussi subtil — et menant à la trahison  d’un ami homosexuel. Mais tout est déjà depuis longtemps délavé des fantasmagories grandioses de leurs débuts sur le théâtre du monde, et de l’extrême-droite. C’est le monde d’après.

SANS MERCI
Je note également que c’est un des meilleurs romans de Leroy, ne serait-ce que pour une simple raison : cette regrettable manie de la référence, il s’en sert ici de main de maître, elle est un élément de l’histoire qui a droit de cité. Dieu sait que je l’ai critiqué pour ces références constantes qui détournaient le lecteur de l’affaire en cours. C’est Jack Vance, auteur du genre de SF des années 1970 dont Leroy se réclame, qui ne voulait jamais qu’on le représente ou qu’on parle de lui, en se justifiant en ces termes : C’est déjà assez dur comme ça de faire avaler à un lecteur l’univers que vous lui proposez, sans s’interposer entre son imagination et votre roman. Parole d’Évangile, selon moi. Mais ce roublard de Leroy et sa culture littéraire de droite ont réussi à servir son dessein cette fois avec une justesse confondante.
Je remarquerai encore, que saisi par le livre — à mon corps défendant — je l’ai lu en une seule nuit, en raison d’une certaine qualité d’âpreté sans merci que Leroy avait rarement concentré avec tant de violence et d’efficacité dans ses livres « communistes », mais c’est surtout pour lui tirer la bourre.
(Le Bloc, Jérôme Leroy, Série Noire, Gallimard, vous verrez bien le prix vous-mêmes).
THIERRY MARIGNAC, NOVEMBRE 2011.