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27.9.11

LImonov en automne




SANS TITRE

Vers d’Édouard Limonov, extraits du recueil Мой отрицательный герой, (Mon héros négatif), New York-Paris 1976-1982, Glagol, Moscou 1995.

(Traduit du russe par TM)


D’automne les prairies, la fragrance,
Le thé de l’empire Anglo.
Je charge avec mes espérances,
Du liquide déversé le flot.

Je le bois et souris en pensant,
Que je peux mon malheur liquider.
D’autant que je sais où et quand,
Sur mes pas, il s'est attardé.

Осении запах и прерии
Чай из Британской империи
Я возлагаю надежды мои
На этого струя

Пью улыбаясь и думаю
Может убью я беду мою
Тем более знаю где и когда
Ко мне привязалась беда

21.9.11

Limonov, poète mal embouché

Édouard et Natacha, années 1980

LA VIE MONDAINE
D’EDWARD LIMONOV
(Traduit par TM)

Enfile ta veste et va jouer des coudes sous la tente
Il est temps d’une vie mondaine servir de composante
Pour que champagne en main, sous la lueur du gaz brûlant,
Tu te dresses. Cerné du germe de la vie mondaine, purulent.

Tu viens débusquer la beauté, ayant vu ton comptant de cauchemars,
Tu descends, chercheur de beauté, du piédestal d’ancien taulard.
Courant d’air, souffle, fumée, odeur de lieu inquiet
Ça ne me suffira jamais, tout ça ne suffira jamais…

La vie mondaine, huitres et champagne mélangeant
Ne m’ont pas tué des prisons le contingent
Bandits et voyous en pagaille
Et quelles que soient les belles dont je n’ai pu serrer la taille
De Saratov, sombre centrale, l'image se grave en moi sans faille

Notre « trio », sous l’escalier, lascars en ordre strict
Jusqu’à l’éclipse lunaire totale, chacun risquait verdict
Les bulles de Veuve Cliquot meurent sur la langue, délétères,
Même en veste avec du fric, les gars je suis un Frère
Je n’ai pas oublié des prisons et des gares l’odeur funèbre,
Ça ne me suffira jamais, rien de tout ça jamais, ténèbres…

Enfile ta veste et va jouer des coudes sous la tente
Il est temps d’une vie mondaine servir de composante…

©Édouard Limonov, Старый пират, ( le vieux pirate),
éditions ad marginem, Moscou, 2010.

СВЕТСКАЯ ЖИЗНЬ
Надевай свой пиджак и иди потолкаться под тентом
Светской жизни пора послужить компонентом
Чтоб с бокалом шампанского, в свете горяшего газа
Ты стоял. А вокруг – светской жизни зараза...

Ты пришел за красивым, ужасного видел немало,
За красивым сошёл, бывший зек, с пьедестала.
Ветерок, дуновение, запах тревожного зала
Мне всегда будет мало, всего и всегда будет мало...

Светской жизнью, где устрицы вместе с шанпанским,
Не убить мне контенгентом
Бандитским и шпанским
И какой бы красавиц талию я не сжимал
Буду помнить Саратовский мрачный централ.

Наш «третьяк», и под лестницей все мы стоим пацаны
И у всех нас срока до замениев полных луни.

Пузырки «Veuve Cliquot » умирают на языке
Пацаны, я ваш Брат, хоть при «бабочке» и в пиджаке.
Я совсем не забыл скорбный запах тюрьмы и вокзала,
Мне всегда будет мало, всего и всегда будет мало...

Надевай свой пиджак и иди потолкаться под тентом
Светской жизни пора послужить компонентом...

© Э. Лимонов, Старый пират, ad marginem, Москва, 2010.



18.9.11

Limonov à Paris





Un cadavre dans la broussaille
Edouard Limonov
Extrait du Livre des morts,
Книга мертвых, Ad Marginem, Moscou 2000
(Traduit du russe par Thierry Marignac)

En novembre 1980 mon premier livre fit son apparition dans les librairies françaises. Certains journalistes ont commencé à s’intéresser à moi. Ça se passait d’une façon simple: ils obtenaient mon numéro de téléphone auprès de l’éditeur et appelaient. Ainsi sous le prétexte d’être journalistes sont apparues dans ma vie un certain nombre de personnes remarquables. Dominique Gauthier vint me voir, il représentait à l’époque le journal du 13ème arrdt, et il devait par la suite fonder avec quelques amis les éditions du Dilettante. Ils ont publié quelques-unes de mes nouvelles et sont à présent un éditeur en vogue. C’est dans ces circonstances que je rencontrai Thierry Marignac pour la première fois avec son inséparable ami Pierre-François Moreau. Ils venaient de la part d’une “radio libre”, c’est à dire n’appartenant pas à l’état. Cette radio fut bientôt interdite, Giscard gouvernait encore le pays, on imprimait encore de temps en temps la photo des condamnés à la guillotine en dernière page du Figaro, alors les radios libres… Plus tard celles-ci connurent une nouvelle heure de gloire sous Mitterrand. Thierry portait un blouson de cuir déchiré, Pierre-François un long imperméable. Leurs chaussures à tous les deux avaient vu des jours meilleurs. Nous devînmes amis, une amitié si solide que Thierry, il y a encore quelques semaines, refermait la porte de l’appartement moscovite dans lequel j’écris ces lignes.

Créature charmante
Ils réussirent tout de même à placer l’interview réalisée avec moi, pas à la radio, mais dans le magazine “Actuel”. Quelques temps plus tard, ils m’invitèrent”chez eux”. Pierre-François habitait Pigalle, le quartier des prostituées et des travestis. Pour trouver mon chemin je dus demander à des putains et à des travestis fardés. À cette époque, elles sillonnaient les ruelles. Je ne me souviens plus si Alain était là. On était tous assis par terre à fumer, à boire du whisky et du gin. Les jeunes Parisiens de ce temps-là méprisaient le vin français. Il y avait également avec nous une créature charmante, des jambes fines dans des bas blancs, une crinière blonde, la frimousse légèrement maquillée. Elle s’appelait Nicole. C’était la voisine de Thierry. Je m’intéressais beaucoup à elle.

Le dressage du tigre à Paris
Je me souviens très bien de nous ensuite, sur la place de la République dans le magasin à moitié vide du père d’Alain. Au milieu des boîtes de chaussures traînaient des piles d’une brochure agrafée — le premier numéro de la revue “Acte Gratuit”. Les rédacteurs en étaient, bien sûr, Pierre-François et Thierry. L’impression en était payée par le père d’Alain. Il se révéla par la suite qu’il était prêt à payer pour n’importe quoi du moment que son fils travaille. Très mince avec un grand nez, plein d’humour, les cheveux noirs coiffés en arrière, toujours vêtu avec élégance, Alain est une figure de mon livre “Le dressage du tigre à Paris”. Il a été retrouvé il n’y a pas si longtemps sur un trottoir parisien : mort.
En 1981 nous nous penchions avec plaisir sur “notre revue”. J’y avais publié quelque chose et devais ensuite participer à tous les numéros. Il y en eut sept. Elle était illustrée par des photos de Serge Van Pouke, et il était avec nous ce jour-là. Son destin à lui aussi fut tragique : Il devait mourir en 1986 d’une congestion cérébrale dans sa salle de bains, lui un grand costaud aux jambes solides qui jouait le rôle de père auprès de tous les autres gars de la bande. Mort, écrasé comme une mouche ! Mort alors qu’il était en passe de devenir un photographe célèbre — un de ses clichés, son propre visage et celui de son amie figurent en couverture d’un plan de Paris publié à un tirage énorme, sur fond de Tour Eiffel, les traits étirés à l’infini hors de la page… Et c’est dans cette posture qu’il nous a quitté pour l’éternité. Pour quelle raison fut-il rappelé vers sa dernière demeure, arraché à sa femme et à ses enfants qui l’adoraient, à une carrière couronnée de succès ?… C’est, bien entendu, impossible à savoir. Soit dit en passant, l’éternité, c’est ce qui nous attend, tous.

Toutes classes confondues
Avant de mourir dans sa salle de bains, Serge eut le temps de sauver Alain. Cela se passa de la manière suivante. Il faut tout d’abord préciser que leur histoire — une bande de jeunes gens talentueux, mais des Parisiens gâtés pourris— c’est l’histoire de leur génération. La France est un vieux pays aux normes strictes où les jeunes n’ont pas leur place. On s’efforce de les faire vieillir le plus vite possible, de les mener à marche forcée vers le rythme “travail-week-end”. Alain désirait un loisir permanent, ses parents avaient de l’argent, la vie l’ennuyait. Ces gars-là étaient tous nés à l’époque où Paris vivait encore selon une structure verticale. L’époque où dans le même immeuble, la concierge habitait au rez-de-chaussée avec sa famille, les étages suivants étaient occupés par les bourgeois, et tout en haut des chambres pour les pauvres, aux plafonds bas ou mansardés, qui étaient occupées par les domestiques souvent avec leurs enfants, et des étudiants. Et la marmaille, toutes classes confondues, jouait dans la même cour, les jeunes bourgeois, les enfants des domestiques et travailleurs des étages supérieurs. C’est ainsi qu’ils s’étaient connus. Thierry, Pierre-François, le fils des marchands de chaussures Alain, Serge Van Pouke, le fils d’émigré arménien Rodolphe, et le fils de la concierge Fernand. Celui-la avait été cambrioleur, petit trafiquant ; il avait fait de la prison et mourut au début des années 90 d’une overdose, devenu alors vendeur de la revue “L’idiot International”. Voilà quelques-uns des tours que peut réserver le destin ! À ce propos, le féodal directeur de la revue, Jean-Edern, se servit de cette mort, la présentant comme le décès héroïque d’un vendeur à son poste de combat, diffusant une publication subversive et dangereuse. Il alla jusqu’à acheter le silence de la veuve, une créature malheureuse, restée seule avec un enfant à élever, et ne la paya pas, ce qui fait fulminer Thierry aujourd’hui encore.
La structure verticale de la ville était sans discussion possible, plus humaine. Nous rendîmes un jour visite, moi et les fils de bourgeois, je m’en souviens parfaitement, à la femme de Fernand, dans un minuscule appartement aux cloisons dont le papier peint arraché laissait apparaître le contreplaqué. Un enfant en pleurs, il faisait froid, les gars de la bande lui apportaient de l’argent, Fernand était en prison.
La génération suivante vit déjà sur un schéma horizontal : les travailleurs n’habitent plus à Paris. Ce qui signifie que la prochaine génération de voleurs comme Fernand ne pourra compter que sur ses semblables pour l’aider, parce que les petits-bourgeois grandissent déjà sur le modèle urbain horizontal du Paris contemporain et ne connaissent pas de voleurs.

Suicide
Alain lisait constamment. Il était d’une érudition remarquable, il avait le sens de l’humour, il était élégant, c’était un brave garçon. Mais il n’y avait absolument rien à faire, sur cette terre, pour lui. Qui plus est son premier amour— une certaine Loulou — était morte prématurément d’une overdose d’héroïne et avait brisé la vie d’Alain, faisant de lui un veuf éternel. Durant ces années, la fidèle Cécile vivait avec lui, prête à endurer tous les feux de l’enfer. C’était une femme de petite taille au grand nez à la coiffure iroquoise plantée en avant, dont la teinture s’intensifiait progressivement jusqu’à des mèches jaune tournesol. Comment était Loulou, je ne l’ai jamais su. Si elle ressemblait à cette jeune pécheresse de Nicole (Je la voyais sans arrêt, à présent, mais elle était maquée avec un drôle de zèbre, on disait même qu’il la battait) alors elle méritait bien ce chagrin infini. Alain essaya sérieusement d’en finir avec la vie à plusieurs reprises. La fois où Serge le sauva il avait organisé son suicide de façon extrêmement esthétique, dans la plus belle tradition du dandysme français et de la décadence parisienne. En effet, c’était un garçon très cultivé. Alain se procura tout ce qui était nécessaire à son suicide : Il fit un très bon dîner, prit une chambre dans un hôtel de luxe, acheta des fleurs qu’il disposa dans toute la pièce. Il s’injecta une dose d’héroïne par voie intra-veineuse en écoutant “Cosi Fan Tutti” de Mozart. Remit le disque au début et s’injecta une nouvelle dose. Il avala ensuite le contenu d’une boîte entière de somnifères et attendit d’aller retrouver Loulou. Quelque chose dans la manœuvre ne fonctionna pas comme prévu : ou Loulou lui intima de vivre, ou elle lui commanda de faire ses adieux à Serge. Quoi qu’il en soit, il appela Serge pour un dernier au revoir.
— Où es-tu, espèce d’imbécile !
—À l’hôtel du rêve et des fleurs, répondit Alain. Au septième ciel.
Et il lâcha le combiné en déclamant du Baudelaire.
Serge, avec une compréhension intuitive de son ami qui s’étendait au-delà des pensées humaines ordonnées, prit un taxi et visita tous les hôtels du septième arrondissement. Dans l’un d’entre eux, dont le nom comportait le mot “fleur”, il trouva son ami Alain. Le médecin sauva le jeune homme. Ensuite, Serge mourut.

Trauma
C’est après qu’apparut Cécile. Ils prirent un appartement rue Joseph de Maistre ! la rue des philosophes et des mystiques où Alain s’endormit un soir un joint au bec pour se réveiller à l’épicentre d’un incendie. Il prit calmement le chat dans ses bras et sortit. L’appartement meublé grâce au père d’Alain partit en fumée. La veille du mariage de ces jeunes gens, qui avaient tout pour être heureux (pour l'occasion ils avaient tous deux teint leur iroquoise en jaune paille et portaient des vestes trois fois trop grandes), le frère de Cécile mourut d’overdose. Je me brûlai moi-même un peu plus tard au feu qui les consumait, cherchant à émerger d’un traumatisme crânien, grâce auquel, d’ailleurs, je m’étais retrouvé face à face pendant un mois avec une araignée velue couleur d'orange, qui progressait vers moi sans se presser. J’ai raconté ça dans mon livre « Le dressage du tigre à Paris ». Je me permettrai d’en citer un extrait concernant l’araignée: “Le malade contemplait le corps rampant et ondulant de l’araignée, et cela lui faisait du bien. De celle-ci émanait une sérénité éternelle. Par son allure, le poil orange de l’insecte lui indiquait que tout était bien qui finirait bien. Qu’il était bon de mourir comme de vivre, de mourir aujourd’hui ou dans trente ans.”
Cela se déroula de la façon suivante. Invités au vernissage de l’exposition du peintre William Brui dans un restaurant de l’Ile Saint-Louis, Natacha et moi nous nous étions enivrés assez rapidement. Alain et Cécile firent leur apparition à la fin de la soirée. Alain, assis à notre table, lâcha une poudre blanche dans un verre d’eau, qu’il s’empressa de boire. Et me proposa d’en faire autant. Habitué à la vie new-yorkaise des années 70, où l’on proposait toutes sortes de pilules dans les soirées, je bus. Et sombrai dans un état d’inconscience. Les conséquences furent un traumatisme crânien, des yeux au beurre noir, plaies et bosses, un mois au lit, l’araignée. J’oubliai la poudre blanche, m’en souvins peut-être six mois plus tard, retrouvant dans le smoking que j’avais porté ce soir-là le deuxième paquet ayant contenu la fameuse substance. Un médecin de ma connaissance me déclara qu’il s’agissait d’une poudre anti-alcoolique, utilisée comme remède dans certaines cures, et provoquant des réactions violentes.
Votre ami est fou, ou c’est un très mauvais plaisant, déclara le docteur. Vous auriez pu en mourir.

Les feux de l’enfer
Je tentai d’appeler Cécile et Alain pour… je ne savais même pas pour quelle raison, au fond : exprimer ma colère ? Personne ne répondait chez eux. En fin de compte, j’appris par Thierry que le père d’Alain avait décidé d’éloigner son fils de Paris et avait acheté une boutique sur la Côte d’Azur où le couple vivait désormais, vendant des t-shirts et des chemises à fleurs, des lunettes de soleils et des articles de station balnéaire. Ma colère s’évanouit. Je décidai qu’Alain était en relation directe avec le mal, et donc avec le diable. Qu’il se chauffait aux feux de l’enfer, extraordinairement dangereux pour lui-même et son entourage ; d’autant plus dangereux, que c’était un charmant garçon.
« À chaque nation son genre de diable, décida l’écrivain. Le diable américain est un mass-murderer ennuyeux, aux traits lourds, au postérieur disproportionné avec le reste du corps, en jean distendu d’une façon indécente, aux mains et aux joues rouges - pleines de taches de rousseurs, aux épaules étroites et à l’estomac proéminent. Les Français ont une version à l’ancienne mode, mince, d'un commerce agréable, de mœurs dissolues, comme un comte d’autrefois, ou un Jean Cocteau ».
Sur la côte d’Azur, le couple eut à gérer une relation compliquée avec les truands locaux. Il semble qu’Alain ait refusé de les payer, alors la boutique fut cambriolée deux fois de suite. Il lui fallut acheter des armes pour se défendre. Alain acheta trois revolvers et fit peur à Cécile en lui proposant de jouer à la roulette russe. Les revolvers ne servirent à rien. La boutique fut incendiée. Cécile supplia Alain de vendre les armes. Il en vendit deux, et garda le troisième. Ils vécurent à l’hôtel à Bordeaux, près de la mer. Un soir que Cécile était endormie, Alain s’injecta de l’héroïne dans la pièce voisine. D’après ce qu’il devait dire plus tard, il avait commencé à s’ennuyer et avait pris le revolver. Il se tira deux balles dans la tête. La première ne causa aucun dommage sérieux, et la deuxième entra dans une tempe et sortit par l’autre. Il resta en vie, sain d’esprit (pour autant qu’il l’ait jamais été) mais il était aveugle.
À quel moment survint sa fin, je ne le sais pas. Les dernières années de sa vie passèrent vite et d’une façon encore plus effrénée. Son père lui donnait de l’argent. Il trouvait des gens pour lui acheter de l’héroïne. Cécile le découvrit quelquefois au lit avec des prostituées et finit par le quitter. Son entourage était composé de gens qui vivaient à ses crochets, lui volant de l’argent et de la drogue. Un beau jour, l’aveugle s’effondra et on le retrouva quelques temps plus tard dans les broussailles parisiennes. Mort. Il voulait tant rejoindre sa Loulou. J’espère qu’il l’a retrouvée.
— This is very good for you…
J’entends encore sa voix pendant qu’il versait sa poudre empoisonnée dans mon verre. Et derrière lui se profile un élégant diable français.
© Edouard Limonov, 2000.