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30.8.22

Épisode peu connu de l'histoire des services spéciaux cubains

 

On connaît en détail la vendetta du Mossad après les JO de Munich en 1972 et l’assassinat par l’OLP des athlètes israéliens, notamment grâce au film de Spielberg « Munich ». Ordonnée, dit-on, par Golda Meir. On connaît moins l’histoire qui suit, la longue vengeance des Cubains après le meurtre de Guevara en Bolivie. Quelles étaient les sources de feu mon ami Limonov ? Aucune idée. Je n’avais jamais entendu parler de cette affaire. Certains médias grand public la démentent.



(…) Les services secrets cubains, dans les années qui suivirent l’assassinat de Che Guevara liquidèrent 28 personnes qui avaient participé à son élimination en Bolivie en octobre 1967. Le tueur direct du Che, celui qui avait vidé un chargeur entier de son UZI de fabrication belge dans le corps du héros, Mario Teran, tomba du quatrième étage de l’immeuble où il vivait en avril 1968. Rapide.

Si je ne m’abuse, le dernier fut le colonel des forces spéciales boliviennes pourchassant Guevara,  Joachim Zenteno Anaïa, tué par balles le 11 mai 1976 à Paris. Il était déjà ambassadeur de Bolivie en France, mais cela ne l’empêcha pas d’y trouver la mort.

Edouard Limonov, Écrits.



8.8.22

Grinçant humour d'un caustique bolchévique à la veille de la purge

     Chez Antifixe, on aime bien Oleïnikov, dont on a publié une dizaine de poèmes au fil du temps. Ce 

personnage hautement mystérieux rappelle les idoles Dada, Vaché, entre autres. Auteur d'un recueil  

de poèmes au titre évocateur: Au diable la pudeur. Une amie nous envoie cette description du poète 

entomologiste, combattant de la Guerre Civile aux côtés des communistes, et fusillé en 1937 pour 

complot trotskiste. Dans la tradition énigmatique, elle ne nous envoie aucune indication des sources de 

ces informations. En cette époque de désolant conformisme, il est toutefois utile d'évoquer ce genre de 

fantômes…

Les services anthropométriques se perdent en conjectures sur l'identité de cette trogne…


("Biographie" du poète et vers traduits du russe par Thierry Marignac)

Nikolaï Oleïnikov, poète assassiné.

 

         Le 20 juillet 1937, l’acteur Anton Schwartz, cousin du poète Evguéni Schwartz rencontra Nikolaï Oleïnikov dans une rue de Pétersbourg, accompagné par deux inconnus.

         —Comment ça va, Nikolaï ?

         Nikolaï se retourna :

         —La vie est parfaite, Anton…

         Ce matin-là, Irakli Andronikov, le rencontra lui aussi flanqué des deux mêmes plantons, raconte-t-il :

         —Où vas-tu de si bonne heure ?

         Nikolaï Makarovitch ne répondit rien, se contentant, d’après Andronikov, de grimacer un sourire. Les deux types qui l’accompagnaient, se souvient-il, portaient des fusils.

         Ce qui, évidemment, ne semble pas très vraisemblable. Il était peu probable qu’un convoi armé escorte un suspect appréhendé jusqu’à la Grande Maison sur la rue Liteïniy. C’était contraire aux règles du jeu (la vie devenait meilleure et plus gaie).

         Mais un tel dédoublement du dernier acte de la vie énigmatique de Nikolaï Makarovitch Oleïnikov, qu’on dirait écrite pour le théâtre de l’absurde, semble prédestiné dans le tableau maladivement trouble et dédoublé, comme vu par l’œil de la diplopie. Oleïnikov le poète et Oleïnikov l'homme se dédoublent. Comment, en cinq ans environ, un railleur « intelligent et méchant comme un reptile » ( Marchak : «prends garde à toi Nikolaï Oleïnikov, dont la devise est de ne jamais avoir pitié de personne ») était-il né d’un « révolutionnaire enflammé » qui avait percé les lignes de Blancs à la veille d’être fusillé pour foncer chez les Rouges ? Et cinq ans plus tard, un sombre philosophe existentiel ?




         Toutes les questionnaires, autobiographies, procès-verbaux écrits et signés par lui contiennent les informations les plus variées sur sa famille, son appartenance au parti, son éducation, son métier. On ne sait rien d’établi sur son enfance. On sait qu’il haïssait son père, mais personne ne sait si le fils ulcéré a effectivement commis un parricide.

         « Nous avons écouté : l’affaire du membre du Parti depuis 1920, Nikolaï Makarevitch Oleïnikov. Il est né en 1898 dans la région du Don. Son père était employé. Il est lui-même employé. Éducation secondaire. À l’époque de la Guerre Civile, sur le fondement de désaccords politiques, il a tué son père. Il a servi dans l’Armée Rouge de la fin 1919 jusqu’en 1920. Il est dans un syndicat depuis 1920. Dans le parti depuis 1920. Maintenant directeur du service « La vie du Parti » à la rédaction du journal « Le Marteau ».(…). Nous avons décrété : il est considéré comme sûr. Son développement politique est satisfaisant. On propose d’approfondir ses connaissances. » (Rapport du procès-verbal d’inspection du personnel non travailleur de la cellule du Parti à la rédaction du journal « Le Marteau » de la ville de Rostov, le 15 juin 1925).

         Le décret le considérait comme sûr. Cependant, personne ne vérifia. Et personne, cela tombe sous le sens, ne pensa à vérifier sa version du parricide. Nikolaï lui-même déclara à différentes époques que son père l’avait flanqué dehors, ou bien qu’il s’était précipité sur le front par dégoût de son ascendance cosaque ; on dit tour à tour que le père était employé, ou paysan, ou cosaque du Don, ou encore « habitué du débit de boissons ».



         Nikolaï Makarevitch fut un joueur toute sa vie. Son théâtre intérieur de parodie totale le rapprochait naturellement des Obériouts (Union de l'art réel, groupe de Leningrad comprenant des écrivains et des activistes de la culture dans les années 1920-30) et de leur manifeste du carnaval. Mais il ne se joignit jamais au groupe de l’art réel. Jacob Drouskine écrivait : « Kharms jouait son propre personnage, mais quel personnage jouait Oleïnikov — je ne sais pas ». À la différence des Obériouts, toutes leurs folies et absurdités, Oleïnikov s’exprimait moins dans son personnage qu’il ne se cachait derrière celui-ci.

         Nikolaï Oleïnikov tua-t-il son père Makar ? Personne ne peut l’affirmer à cent pour cent. Était-il capable de tuer ? Probablement. Cholokhov, l’auteur du « Don paisible » a parlé de ça. Et Oleïnikov faisait partie des personnages du « Don paisible », le fils d’un cruel cosaque illettré : avec un plaisir étrange, Oleïnikov montrait à tous ceux qui le souhaitaient son dos couvert de cicatrices des raclées à coups de baguettes grâce auxquelles, insistait-il, son père « l’élevait ». Lorsqu’en 1918 les Allemands coupèrent le Don des détachements des Rouges, Oleïnikov, qui avait déjà choisi les bolchéviques, décida de choisir son salut et la protection du domicile dans sa bourgade natale. Mais son père féroce le dénonça. On battit Nikolaï presque à mort. Il parvint par miracle à s’enfuir du sous-sol qui servait de cellule des condamnés à mort, rampa littéralement jusqu’à la bourgade voisine, chez son oncle. Celui-ci le prit en pitié, l'hébergea.



         Oleïnikov était « intelligent, fort et surtout passionné. Il aimait avec passion son métier, ses amis, les femmes et — essence fatale de la passion — se dégrisait aussi brutalement, dès qu’il aimait… Il vécut beaucoup plus longtemps dégrisé qu’amoureux ou ravi. Par conséquent, c’était un puissant destructeur… Et il ne pardonnait jamais rien… » (Schwartz).

         Et il prit le pseudonyme qui convenait : Makar Enragé. Bonjour Papa. Ce Makar Enragé était le fiévreux cavalier rouge, héros des bandes dessinées publiées  dans les magazines pour enfants qu'il dirigeait « Tchij » et « Iej » — ce fut l’unique legs de l’expérience guerrière de l’ancien soldat rouge. À la différence de beaucoup, Oleïnikov se taisait sur le temps passé au front. Il appelait avec mépris les descriptions des horreurs de la guerre de la « merde ». La réalité était pour Oleïnikov avant tout un objet de parodie. Aucune de ses liaisons amoureuses importantes (et Oleïnikov était spécialiste en la matière) ne connut jamais d’incarnation littéraire. Les nombreuses dédicaces aux dames de ses poèmes étaient exclusivement des canulars, aucune des destinataires n’eut jamais de liaison réelle avec Oleïnikov.



 

         L’amour passe. La passion trompe. Mais de tromperie exempt

         Est l’enchanteresse structure du rat.

         Ô les pattes étalées, il y en a six, du rat !

         Elles disent quelque chose, dans l’atmosphère, elles écrivent en astrakan,

         Leurs contours sont plein d’un sens secret…

         Oui, dans les rats quelque chose résidait,

         Lorsqu’il bouge les pattes et que sa moustache frémit.

         Et où sont les dames, demandez-vous, où sont les amies chéries,

         Partageant avec moi les loisirs de la nuit,

         Dont les corps rappellent des baignoires, des amphores

         Où sont-elles tout à coup parties ?

         D’autres, il n’y en a pas. Et celles-ci sont plus loin encore.

         Elles se sont toutes consumées, comme des bougies.

         Mais je suis consumé par un désir différent —

         L’émulation et le travail de choc violent !

         Nikolaï Oleïnikov.

 

Любовь пройдет. Обманет страсть. Но лишена обмана
Волшебная структура таракана.
О, тараканьи растопыренные ножки, которых шесть!
Они о чем-то говорят, они по воздуху каракулями пишут,
Их очертания полны значенья тайного...
                     Да, в таракане что-то есть,
Когда он лапкой двигает и усиком колышет.
А где же дамочки, вы спросите, где милые подружки,
Делившие со мною мой ночной досуг,
Телосложением напоминавшие графинчики, кадушки,—
Куда они девались вдруг?
Иных уж нет. А те далече.
Сгорели все они, как свечи.
А я горю иным огнем, другим желаньем —
Ударничеством и соревнованьем!

Николай Олейников