Victor Anpilov, allié de Limonov lors de l'assaut du parlement en 1993.
En exclusivité sur Antifixion, un extrait
« Gilets Jaunes » d’Édouard Limonov. Particulièrement touchant,
puisqu’il s’agit de sa dernière visite à Paris, il y a un an presque jour pour
jour, où nous l’avions accueilli avec quelques valeureux camarades, soucieux
de sa sécurité, dans la situation que l’on sait de répression sauvage à l’époque
d’un mouvement juste et calomnié au-delà des limites tolérables, notamment par
une intelligentsia vendue à tous les pouvoirs dont elle fait partie. Nos
lecteurs russophones peuvent retrouver l’extrait sur le site de l’édition russe
d’Esquire.
(Traduit du russe par Thierry Marignac)
Extrait du dernier livre d’Édouard
Limonov : « Le Vieux en voyage » :
Aux éditions Individuum vient de sortir le dernier
livre d’Édouard Limonov : « Le Vieux en voyage ». Il contient de
courts récits, des descriptions, des fragments d’essais — concentrant toute sa
vie, du premier juron à la disposition du soldat jusqu’à la thérapie par
rayons. À chaque page, le style reconnaissable de Limonov, son regard et son
invraisemblable soif de la vie dans sa totalité, pour laquelle on l’aimait.
Esquire publie ici
quelques extraits, consacrés aux visites en France d’Édouard Limonov en
2018-2019.
FRANCE / GILETS
JAUNES/ 2019
Que j’ai découvert en 2015-2016
que mon grand-oncle était le fils bâtard d’un conseiller occulte, gouverneur et
cavalier de la garde, n’a nullement influé sur mon goût des sans-culottes.
C’est pour cette raison que je les ai rencontrés un jour
pluvieux de mai dans les rues de Paris. Mon vieux camarade Thierry nous a mené
moi et l’équipe de tournage par les rues sinueuses et les boulevards et nous sommes arrivés là où ils avaient établi leur bivouac, comme des hussites,
ou des partisans d’Anpilov.
C’était au métro Jussieu.
En effet, en les observant je reconnaissais en eux, mes
anciens alliés et camarades — les partisans d’Anpilov. Vêtus de façon
grossière, avec des gilets couverts
d’inscriptions au stylo partant dans tous les sens. Comme les mômes écrivent
sur leurs vêtements d’écolier. Les uns ruminaient, les autres remontaient leurs
ceintures et leurs manches, certains chantaient, d’autres encore allaient et
venaient. Au centre, à une des sorties du métro se tenait un leader de cette
assemblée Faouzi Lellouche — prénom arabe et nom de famille français. Thierry
me mena à lui aussitôt, disant à Lellouche, que j’étais un de ses amis de
longue date.
Lellouche appelait Thierry « Le Bruxellois », ne
se souvenant visiblement pas que Thierry est Parisien d’origine, vivant à
Bruxelles parce que c’est moins cher.
Au fil des phrases, apprenant à faire connaissance l’un avec
l’autre, moi et Lellouche devînmes plus proches. Je lui dis que j’avais fait de
la taule, condamné à quatre ans. En réponse à ma franchise, il me raconta de
combien il avait écopé, lui.
Et autour, on allait et venait, on ruminait, et on chantait
des chansons dignes d’Anpilov. La pluie tombait par intermittences.
Non loin, les bâtiments cubiques, les salles de cours et les
foyers d’étudiants de l’université de Jussieu. Il pleuvait de temps en temps,
et une partie de la foule partit en manif sauvage. Mais des cars de gendarmerie
survinrent aussitôt, leur barrant la route avec efficacité.
On me montra le chef des « antifas ». Un type en surpoids manifeste. Et d’autres dont je ne me souviens plus.
On partit sous une pluie redoublée, la route s’annonçait
longue.
Je suis de gauche avec une goutte de droite. Ou bien
l’inverse. Les trous dans l’asphalte remplirent d’eau, soit la chaussure
gauche, soit la droite. À un certain moment, sur les parapluies s’abattit
l’averse. Je fis la connaissance d’un type d’un âge respectable, lui aussi
corpulent, portant une casquette. Il s’avéra que ce vieux était l’avocat des
Gilets Jaunes. « J’ai beaucoup entendu parler de vous » me dit-il, je
pense par politesse.
Par la suite, il s’avéra que j’étais l’unique intellectuel
russe qui les soutenait. Et l’un des rares intellectuels européens.
Devant nous on chantait "La Marseillaise ". Nous
aussi l’avons entonnée, ça aidait à marcher.
« On est là ! On est là !…», criaient les
Gilets Jaunes. Devant nous à cinq ou dix mètres avançait une automobile au
volet arrière relevé. À l’intérieur on voyait des haut-parleurs et un type qui
les faisait fonctionner.
Des filles — deux ou trois, ou plus —dansaient derrière
cette voiture, entre moi et elle, se déhanchant sur, me dit-on, des airs
bretons, réinventés pour le folklore
Gilets Jaunes.
Aux coin des rues se dressaient les CRS dans leur tenue
caoutchoutée avec la matraque en main, comme des rugbymen. Ils avaient des
gueules contractées par la tension et méchantes, ne promettant rien de bon. En
ce qui concerne la méchanceté, ils étaient surtout comiques.
L’opérateur russe a levé le nez en l’air et s’est tourné
vers moi d’un air de reproche comme si c‘était de ma faute, s’ils respiraient
ça. « Ça sent l’herbe ou le haschich ».
L’ami Thierry de mes années parisiennes disparaissait et
resurgissait avec sa casquette, grand, émacié, pas content, il riait de temps
en temps du rire du Joker, la bouche largement ouverte.
Le type qui fréquentait tous les défilés Gilets Jaunes pour
lui-même, et en partie pour moi, qui portait le prénom russe Ivan que lui
avaient donné ses parents 100% français, marchait à mes côtés sans s’émouvoir,
en costume. De quelle manière s’était-il uni aux Gilets Jaunes ce type aux
allures de gestionnaire, je ne me l’expliquais pas.
Plusieurs fois sur le parcours du cortège survinrent des
situations tendues entre les Gilets et la police. On appelait alors un vieux
assez louche. Lellouche avant le défilé me l’avait désigné, le présentant comme
un « flic », et ce flic arrangeait la situation.
Quelque part dans la rue de Tolbiac, au bord du trottoir,
des Musulmans jetèrent des confettis verts, bleus et blancs en nous saluant.
Nous nous arrêtâmes quelque part, piétinâmes un certain temps, impatients,
avant de repartir.
Dans leurs rangs, on compte surtout des gens simples et non
sophistiqués.
FRANCE/ FAOUZI LELLOUCHE/ 2019.
Pour décrire la rencontre, il vaut mieux passer au gros
plan, le regard sur le nez, les pores de la peau, la coupe de cheveux et la
barbe. Ce n’est pas pour rien que le gros plan a vaincu les grands tableaux.
C’est mon vieil ami Thierry, auteur de romans noirs et son
ami Ivan au prénom russe qui m’ont emmené directement voir Faouzi Lellouche. On
descendait, et on voyait la tache noire de la sortie du métro Jussieu, devant
laquelle se tenait Lellouche avec un groupe de ses copains français.
J’ai remarqué la lueur rafraîchissante de ses yeux et sa
calvitie naissante, décidant qu’il n’avait pas encore la cinquantaine. Nous
avons fait connaissance et bavardé vigoureusement, puisque je n’ai pas besoin
de traducteur, je connaissais bien cette langue, même si parfois je me heurte à
des obstacles (J’ai un vocabulaire infini, mais il arrive que je ne sache pas
l’utiliser).
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