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18.10.17

La mort d'Hervé Prudon


…Verser de l'encre sur les tombes… disait Drieu à propos du deuil de son ami Jacques Rigaut qu'il avait tant maltraité dans La Valise vide, avant de se repentir, alors qu'il était déjà trop tard. Un de nos amis communs vient de m'avertir de la mort de Prudon. Je l'attendais, il y a beau temps déjà que, bien que nous ne soyons pas vus depuis une quinzaine (une vingtaine?) d'années, les nouvelles que j'avais de lui étaient toutes mauvaises — il était malade. Il était malade depuis longtemps. Je l'avais vu, il y a déjà une éternité, à l'hôpital Cochin —cancer du tube digestif. Je l'avais aimé comme un oncle —un des rares écrivains professionnels m'admettant dans son cercle quand j'avais 20 ans et rêvais de publier des romans, avec Limonov, qu'on me reproche tant — un ami de bientôt 40 ans, comme Hervé. À sa manière, Prudon fut un de mes mentors, et comme Limonov, ne cherchait pas à m'apprendre le style, que j'avais sans rien demander à personne, mais le mode de vie — ô combien plus utile !…Je ne lui en serai jamais assez gré. C'est grâce à Prudon que j'eus la chance de travailler à Cosmopolitan, et nourrir ma vie de poète dans ces années de chambres de bonne, et de repas à éclipses, à l'époque où j'avais une faim de loup !… C'est lui qui avait cette combine !… La rédac-chef de l'époque était folle de lui !…
Il fallait bien qu'il se rattrape en journalisme, il s'était fait bannir de l'infâme Libération,  dont les nécrologies d'aujourd'hui prêtent à rire, pour les avoir traité d' aventure fonctionnaire, de bonne conscience baba… de Poulidor du prix Albert Londres !… C'est surtout ce dernier vanne qui n'avait pas plu au Journal Officiel du miterrandisme. Les subventionnés du PS, n'avaient pas trouvé ça drôle.
D'un autre côté, il me confia un jour qu'avec sa première Série Noire en 1978, Mardi-Gris, il avait écrit un roman Libé, ciblant un lectorat répertorié.
Il écrivait de bons romans, et certains très mauvais — quand il avait la flemme et bâclait, travaillant pour l'avance d'un éditeur quelconque — ramier !… Mais même dans ses pires productions, il y avait toujours quelque chose à ramasser. Dans un de ses pires, la première phrase était extraordinaire:  J'étais dans un compartiment fumeurs avec la plus belle fille du monde… Incompréhensible dans le puritanisme protestant(!) à présent de rigueur en Phrance, et la chasse au tabac…
Quand on allait chez lui, blanc-becs, à l'époque de sa première femme, il était d'une générosité frôlant la folle prodigalité. Ceux qui ont vu ça sont ça sont presque tous morts, à l'heure actuelle — cette déchéance.  On aidait Hervé Prudon par tous les moyens, on l'avait publié dans Acte Gratuit, notre journal gratuit des Halles, quand il sortait un nouveau roman. Il était parfois complaisant, pourtant capable d'une fierté superbe, celle de n'avoir pas perdu l'amertume, comme dans La Femme du chercheur d'or (Flammarion), ou La Langue chienne (Série Noire, Gallimard), roman sans concession à l'identification obligatoire, roman prolétaire, ce qui était peut-être sa définition. Contrairement aux pourris du polar gauchiste et post-gauchiste, défenseurs d'opprimés qui n'ont jamais sauté un repas de leur vie. Dans des romans comme Banquise (Fayard Noir) ou Tarzan malade (Éditions des autres), Hervé Prudon démontrait qu'il n'y a rien de noble dans la pauvreté, rien d'agréable, et que la souffrance ne rend pas bon. Un  certain Boukovski ( pas l'Américain, mauvaise copie de Céline,— je parle du Russe dissident, rien à voir) posait la même question sur le peuple, qu'est-ce que je vois, à part la castagne et l'ivrognerie ?… Chez Prudon, ce scepticisme était naturel.
Puis ce fut un frère, quand il accumula les mariages désastreux, et les échecs commerciaux qui sont parfois, chez les auteurs-nés comme Hervé Prudon, synonymes de réussite littéraire. Et c'était sa noblesse de fils du peuple, qui n'avait jamais pu oublier ce détail essentiel, semblable en cela à un autre frère récupéré par les parasites à bonne conscience mièvre (et dents de rongeurs qui raient le parquet) — Hafed Benotman.
Comme je regrette à présent de ne l'avoir pas vu plus souvent, j'ai eu peu d'amis en littérature, Hervé en était un, qui écrivit en 1989, la plus belle critique de mon premier roman Fasciste, percutant du premier coup ce que j'avais fait. Ces lignes sont disponibles dans ces pages aux archives Antifixion.