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6.10.15

Dans ma noire Sibérie


Lorsque je rouvris le recueil d'Essenine, mon héros popstar, ivrogne et cocaïnomane avant l'heure, poète incomparable spécialiste du coup de boule en fin de soirée, certains de mes amis russes et moi étions en désaccord. C'était très grave, les sujets qui fâchent: on les avait gavés, à l'école, et leur aversion rivalisait avec la mienne pour Rimbaud, cet esbroufeur de manuels académiques. Ensuite, à mesure qu'on s'échauffait, ils reconnaissaient son génie, mais prétendaient que sa meilleure production, c'est quand il était sobre. Ses poèmes de vodka ne valaient rien, disaient-ils. Je m'insurgeais, je pensais exactement le contraire. Nous finîmes par trouver un terrain d'entente: les meilleurs vers du voyou, c'est quand il avait la gueule de bois…

(Vers traduits par TM)

Le vent siffle sous les palissades en dur
Planqué dans l’herbe entière.
En ivrogne et voleur, j’en suis sûr
Je finirai centenaire.
Le jour s’abîme derrière les collines rouges
Fanal aux intervalles.
Loin d’être le seul à traîner dans le monde qui bouge
 Le seul à errer sans aval.
À perte de vue, l’étendue des russes labours,
Herbe ou neige sans tache,
Qu’importe qu’ils soient lituaniens ou Tchouvaches,
Ma croix à moi comme tous autour.
Je crois, comme aux icônes miraculeuses,
À mon heure mystérieuse.
Vagabond des barrières, il viendra à son heure,
L’indéfectible Sauveur.
Mais, possible, dans les volutes de fumée bleue,
Des fleuves ténébreux,
Je passerai sans le voir dans un sourire d’ébriété
Sans savoir, pour l’éternité.
À mes cils, pas une larme ne scintillera
Le songe ne pas effrayer.
Des bleues colombes, simplement, la gaité,
Dans l’ombre sombrera.
Et encore, comme avant, avec une sauvage méchanceté
Le cafard va chanter.
Que le vent au moins, au cimetière du village retiré,
Danse une gigue endiablée.
Sergueï Essenine, 1917.
Pour avoir plus, il faut produire plus, pour produire plus, il faut savoir plus


Свищет ветер под крутым забором,
Прячется в траву.
Знаю я, что пьяницей и вором
Век свой доживу.
Тонет день за красными холмами,
Кличет на межу.
Не один я в этом свете шляюсь,
Не один брожу.
Размахнулось поле русских пашен,
То трава, то снег.
Все равно, литвин я иль чувашин,
Крест мой как у всех.
Верю я, как ликам чудотворным,
В мой потайный час
Он придет бродягой подзаборным,
Нерушимый Спас.
Но, быть может, в синих клочьях дыма
Тайноводных рек
Я пройду его с улыбкой пьяной мимо,
Не узнав навек.
Не блеснет слеза в моих ресницах,
Не вспугнет мечту.
Только радость синей голубицей
Канет в темноту.
И опять, как раньше, с дикой злостью
Запоет тоска…
Пусть хоть ветер на моем погосте
Пляшет трепака.
С. Есенин, 1917.

<1917>