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21.7.15

Car le tombeau toujours comprendra le poète


LE TESTAMENT
DE BORIS RYJY
(Traduit du russe par TM)
Mettons-nous d’accord : quand je mourrai moi,
Tu planteras une croix sur ma tombe comme un pieu,
Qu’elle soit semblable à toutes les croix,
Mais nous, mon pote, on saura tous les deux,
Que ce n’est qu’une fresque. Comme sur le papier
Laisse sa trace l’illettré,
Sur ce monde, une croix je veux laisser.

Une croix je veux laisser. En désaccord
J’étais avec la grammaire de la vie.
J’ai lu le destin, mais je n’ai rien compris.
Ne me suis habitué qu’aux seuls coups du sort
Les coups qui font tomber, comme les dents,
Les lettres de la bouche entièrement.
Et s’élève une odeur de sang.
Boris Ryjii,  Le Testament, novembre 1993.

ЗАВЕЩАНИЕ
В.С.
Договоримся так : когда умру,
Ты крест поставишь над моей могилой.
Пусть внешне будет он как все кресты,
Но мы, дружище, будем знать с тобою,
Что это – как роспись. Как в бумаге
Безграмотный свой оставляет след,
Хочу я крест оставить в этом мире.

Хочу я крест оставить. Не в ладах
Я был с грамматикою жизни.
Прочел судьбу, но ничего не понял.
К одним ударам только и привык
К ударам, от которых, словно зубы,
Выпадывают буквы изо рта.
И пахнут кровью.
 Ноябрь 1993, Борис Рыжий


16.7.15

Des villes et des poètes III

DLR face à son œuvre, Frédéric Saenen, éditions Infolio.
Des atomes suspendus entre quelques nébuleuses
DES VILLES ET DES POÈTES (SUITE ET FIN) :
         Et quand on s’est promené, au moment de sa jeunesse, dans Paris, les mains nues, il vous reste entre les doigts une limaille subtile de grâce qui fait qu’on ne peut plus les serrer comme un poing barbare et qui fracasse. Cette unique Venise de cinq heures d’hiver sous la pluie. On fait encore là quelques tableaux et quelques robes. C’est pourquoi aussi c’est le point de la pire pourriture, de la pire sénilité, de la pire solitude, car leurrée par les derniers mouvements d’un art condamné, détournée par une nostalgie trop fine, ici fléchit et flanche la seule énergie que puisse nourrir cette époque : une énergie de destruction. (…)
         Drieu La Rochelle,  Le Jeune Européen,  (1927).

         Peut-on résumer Paris avec autant de précision, peut-on résumer l’errance du jeune Parisien dans cette ville aujourd’hui défigurée, avec autant de pertinence et de poésie simultanées ?… Peut-on être aussi Dada ?…
Debord, malgré ses évocations de sa jeunesse dans le Paris de l’après-guerre suivante, pourtant poignantes (Au bord de la rivière recommençait le soir, et l’importance d’un monde sans importance… Sur le Passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps, GD), peut aller se rhabiller, desservi par son pesant hégelianisme de post-marxiste. La contradiction est trop aigüe entre cette hypersensibilité urbaine, et la « froideur » du matérialisme historique dont il se réclame — sécheresse dialectique et mallarméenne, cadrant mal avec les larmes difficilement ravalées du paradis perdu.
Tout Parisien ayant dissipé sa jeunesse dans des rues de nos jours méconnaissables, éternellement blessé par l’amour, disait Maïakovski, y reconnaîtra sa malédiction. Elles sont extraites du chapitre Le Sang et l’encre, que j’eus le plaisir de retrouver comme un fil rouge à travers l’excellent ouvrage critique (et Dieu sait que je déteste les critiques, race en principe mesquine et parasitaire) de Frédéric Saenen, Drieu La Rochelle face à son œuvre, aux éditions Infolio.
Qu’est-ce qu’un homme, une femme ?… Une mince note singulière (dans le meilleur des cas…), devenu(e), petit à petit, au fil du temps, une chambre d’échos cacophonique, peuplée de Voix chères qui se sont tues (Verlaine) ?… Jusqu’à ne plus savoir quelles sont les voix qui se mêlent à la sienne ?… Et consoler les voix qui pleurent dans ta voix… entonnait une goualeuse rive gauche d’autrefois dans une très belle chanson d’amour…
Et comment parler aujourd’hui, dans les plus abjectes complaisances de l’ère post-industrielle, d’un auteur mûri à vingt ans dans la chiourme militaire — chambre d’échos éternelle  du million de cadavres français de la Grande Guerre, marqué à jamais — comme aucun des petits pourfendeurs actuels du IIIe Reich, sans risque 70 ans après sa ruine finale, ne peut se le représenter ?…  Faisant preuve au contraire du conformisme contemporain le plus veule et le plus manichéen, le plus arriviste sous ses dehors transgressifs de tabous qui n’ont plus cours depuis Pompidou, celui qui prouve qu’ils auraient été Travail Famille Patrie comme tout le monde dans les années 1940 — sans parler des balances modernes, petits commissaires du peuple dont on se doute bien chez qui ils auraient émargé à l’époque ?… Parce que le plus clair, de tous temps, chez les révolutionnaires de salon — c’est le tiroir-caisse.
Où — pour parler comme Drieu aux surréalistes (Vous vous promettez aux supplices et à la mort avec cette facilité de la jeune recrue qui choqua toujours celui qui a vu le feu ? Troisième Lettre aux Surréalistes sur l’amitié et la solitude, 1927, in Sur les écrivains, Gallimard) — ces gauches confortables ont-ils éduqué leur courage rétrospectif et sans autres conséquences que de favoriser leur carrière à la faveur de la « nouvelle » idéologie dominante ?… À la fac ?… En passant deux nuits au violon, il y a quarante ans, pour avoir fait la quête pour Pol Pot,  à l’époque héros de la lutte anti-impérialiste version Cambodge ?… Ah, ils n’aiment pas beaucoup qu’on s’en souvienne, ni des camps de concentration maoïstes, auxquels ils ont tous adhéré, comme le rappelait l’ex-situationniste René Viénet, il y a peu — ils ont le génocide sélectif et la mémoire à éclipses. Leur devoir de mémoire idéologique présente de curieux trous.  En général, là où se profilent les prébendes de la bien-pensance. Je repose la question : qu’aurait-on pu attendre de cette servilité crasse dans les années 40 ?… Chez ces résistants de la 25e heure ?… Pas la moindre pudeur sur des évènements  d’une cruauté qu’ils n’ont jamais éprouvé ?…
C’est toute la déchéance de ce temps qui éclate un peu plus loin… écrivait encore Drieu.
Pierre Drieu La Rochelle photographié par Man Ray

Il faut sans doute un Belge, comme Frédéric Saenen,  pour considérer l’œuvre avant tout, comme il fallait les provinciaux venus de Normandie (Frébourg, Leroy, et même ce frimeur de Parisis, qui semble-t-il finalement, venait d’un bled paumé, lui aussi) des Éditions du Rocher, version 1990, pour remettre les hussards à la mode — les ploucs ont un regard neuf sur ce qu’on connait par cœur, qu’on intègre sans plus y penser, parce que c’est dans notre ADN ( Quadruppani, immigré rital de province, va encore me faire la morale sur mon arrogance de parigot — qu’est-ce que je vous voulez que je vous dise, il est loin d’être idiot, mais il n’a aucun humour dans ces cas-là, formaté gauche de la gauche, la déchéance des anarchos-situs en fin de parcours. Je crois toujours que c’est un humain normal, mais au final, lui aussi — je rêve — il milite. 
P.S. Il ne dira rien, vu que c'est l'été, il fait du trekking alternatif dans l'Himalaya, où il prêche la bonne parole grecque à des Australiens, paraît-il, eux aussi sûrement là grâce à Nouvelles Frontières, l'organisation altermondialiste bien connue).
C’est Drieu lui-même, dans l’inoubliable préface de Gilles, qui recommandait d’observer comment le livre était reçu à Carpentras, plutôt qu’à Paris.
Et il nous faut peut-être Liège pour ce rappel, peut-être Frédéric Saenen,  véritable critique, au sens noble du terme, un homme qui sait lire et même entre les lignes. Son ouvrage est fidèle à son titre, il oppose  ou peut-être qu’il se contente de poser, l’homme Drieu et son œuvre. Des encadrés, Drieu et Barrès, Drieu et le sport, etc, définissent les rapports de l’écrivain avec les thèmes évoqués.
En quasi filigrane, Saenen  expose aussi les suites de la Grande Guerre : la débauche des années 1920, opium, coucheries, inversion, gigolisme, et il a l’intelligence de comprendre qu’il s’agissait d’une seconde épreuve de réalité pour l’écrivain. La pierre angulaire que signifie le suicide de Jacques Rigaut, voire, sur un plan plus mineur, les errements des surréalistes réunis chez Irma la voyante pour dénoncer Mussolini, cette bouffonnerie tragique, au final, démontre — comme le savent tous ceux qui se sont frottés à la toxicomanie — que se mettre dans des conditions de guerre en temps de paix ne peut avoir que peu d’issues. Un choix entre la mort, le rejet de l’animal jouisseur onaniste au profit de l’homme si mystifié soit-il comme chez Drieu —, la complaisance malhonnête du bourgeois indemne qui enrichit ses collections sur le sang des maudits (Breton), et fonce à New York quand le temps se couvre. Ce que souligne Saenen, dans son extra-lucidité de véritable lecteur — ce que devrait être un critique, et qu’il n’est presque jamais. Ce rejet — nous vivons sur terre — sera sans doute entaché de tous les raidissements nécessaires pour s’arracher à la fange autodestructrice.  Et finira par rendre mythologiques aux yeux de Drieu une crapule comme Doriot, et Les ombres des soldats allemands portant la mitraillette des films américains (L’Ami du front, Le Figaro,  1940 }, les bêtes blondes de Nietsche dans Généalogie de la Morale.
Les écrivains ne sont pas faits pour la politique, car pour eux, les idées sont des éléments de fiction, et non des plans d’action, si concrets qu’ils se proclament. J’en ai eu un exemple parlant avec mon vieux copain Limonov : ses meilleurs succès ont été dans la constitution d’une contre-culture jusqu’alors inconnue dans l’ex-URSS. Sur le plan strictement politique, il s’est souvent fait manœuvrer, naïf, romanesque. Il vivait dans des circonstances presque aussi tragiques (la Russie de la Défaite, la Russie de Yeltsine) et tout aussi emmêlées. C’est un des grands mérites de l’ouvrage de Saenen, de nous faire ressentir, à quel point tout le monde se connaissait, communiquait, à quel point il était bien plus difficile de se déterminer qu’il ne semble à 70 ans de distance dans la réécriture de l’Histoire à des fins atlantistes. À quel point il est facile de se réclamer des Justes quand on ne risque rien, et qu’on n’a plus aucun lien avec cette époque maudite. Que l’Homme se taise, disait Rilke dans une lettre à Lou Andreas-Salomé. En tout cas, qu’il se taise, quand il n’a pas vu le feu. Malraux soutint jusqu’au bout l’indéfectible amitié qui le liait à Drieu, parrain de sa fille en 1944.
Plus tard, Malraux  soulignera cette divine pudeur de Drieu, en disant qu’il cachait sa fermeté, pour créer la légende littéraire du Drieu  mou et incertain. Cette pudeur à elle seule, confirmée par tout d’abord sa désillusion des nazis, puis par le suicide de l’écrivain, démontre la fermeté, insiste Malraux, cité par Saenen.
Saenen n’aborde l’homme que pour parler de l’œuvre où se trouve sa vérité, celle qui explique la collaboration et cette fin sans gloire, et c’est un grand souffle d’air frais, de prendre à rebours toutes les leçons atlantistes ressassées, pour se retrouver en franco-France face à sa grandeur déchue, et sa vérité d’alors — introuvable dans les présents manuels d’Histoire qui ânonnent le catéchisme socialo-néo-con (c’est la même chose, comme chacun sait) post festum — à chercher en littérature.
Et dire que dans ces temps de déchéance, c’est en Belgique, chez des Wallons tels que Saenen  ou Christopher Gérard,  que cette lucidité du destin français s’épanouit.
Quelle gratitude est la mienne vis-à-vis d’eux. Et pourtant, ils n’étaient pas là, en 1977, quand on gerbait tant sur les gauchistes en chemin vers le pouvoir qu’ils détiennent encore aujourd’hui, que sur les giscardiennes, puis miterrandiennes républiques du malheur.
TM, juillet 2015.









         

13.7.15

Des villes et des poètes II

         DES ATOMES SUSPENDUS ENTRE QUELQUES NÉBULEUSES II :



         Une fois n’est pas coutume, je vais étaler sur la place publique mes divergences avec mes bons copains anarcho-monarchistes de l’excellente revue littéraire Livr’Arbitres. Oui, ça nous arrive, les divergences, quand ils deviennent plus monarchos, par exemple et que votre serviteur, entraîné par le mouvement inverse, plus Gracchus Babeuf que Montloye St-Denis, se met à râler comme tout « compagnon de route » doit le faire de temps en temps, c’est une question de standing.
         Pensant me réduire au silence sur sa dernière livraison (printemps 2015) grâce à une très bonne chronique de la réédition de Fasciste, sous la plume alerte de Xavier Eman, la rédaction a préparé un dossier de Roux sans m’avertir, sous le fallacieux prétexte que j’ai parfois laissé percer ma lassitude des dossiers « hussards » succédant aux dossiers « para-hussards » et aux dossiers « néo-hussards ».
         Le malentendu ne pouvait être plus manifeste. En effet, si je pense que Nimier était un romancier quasi-parfait et que sa noblesse ne fait guère de doute en dépit des ragots ; si je pense que Blondin avait l’humour éternel parigot qui doit figurer d’urgence au patrimoine UNESCO de l’humanité ; si je pense que Kléber Haedens était un personnage comme on n’en fait plus ; si je tiens Pol Vandromme pour un des stylistes les plus accomplis de la langue française au XXe siècle ;  je sais, je ne suis pas le seul à le dire : les « hussards », c’est la France provincialisée des années 1950. Une tentative — amoureuse de son propre échec, et se mirant dans la grandeur passée — de polir non le « Chinois » d’Un Singe en hiver, mais le français de D’Artagnan amoureux. Le but étant de lui rendre un lustre terni par les Défaites et sa dégradation, non pas les agences de notation de Wall Street, mais par les superpuissances détentrices de la bombe H, au rang de puissance moyenne.  La planète parachevait le règne absolu de la marchandise que nous connaissons aujourd’hui et qui ne va pas s’améliorer. Dans ce stade antérieur tout était déjà contenu, et quelques beaux et tendres romans, à une époque où les mass-media ridiculisaient la portée de la littérature, n’allaient pas changer grand-chose. Si j’aimais certains romans hussards, je les considérais comme une anecdote jaunie et flétrie par le temps, la manifestation tardive d’une vigueur en fin de parcours. Émouvant, certes, mais régionaliste. Un écho épuisé d’une force enfuie. Quant au provincialisme, le Tournoi des Cinq Nations, les Aston-Martin, et le Harry’s Bar ne faisaient que le souligner.
Extrait d'un journal sulfureux dont le titre m'échappe, mais qui fait fait sans vergogne et simultanément la publicité de Livr'Arbitres et de mon premier roman.

         Il en va tout autrement de Dominique de Roux. Parce que c’est un formidable broyeur de formes, batterie de mortiers qui dégage la route, nourri aux années 1920/1930, où la France était ouverte directement sur le monde, et non par l’intermédiaire du Grand Frère Américain. C’est ce qu’il a percuté chez Céline, passer l’art à la concasseuse. Sans compter d’autres influences.
Parce que si de Roux ne tient pas en grande estime le surréalisme et ses pantalonnades, il a tout de même retenu les leçons du premier Dada :
Tout art véritablement vivant sera irrationnel, primitif et complexe, il utilisera un langage secret, et laissera derrière lui non pas des documents édifiants mais des documents paradoxaux.
Hugo Ball, Zurich, novembre 1915, La Fuite dans le temps, Journal.
         Les succès du modernisme des avant-gardes — d’Appolinaire  à Warhol, en passant par Cendrars et Soupault — ne peuvent que plaire à un esprit qui garde un pragmatisme militaire pour contrebalancer le génie incontrôlable que de Roux est parfois. Alors il s’intéresse à Burroughs et à Pélieu, à John Rechy, en son temps.
…Et pourtant il a un énorme défaut, cette concision qui tourne à l’obscur… Chaque phrase est un morceau de métal que la concision a rendu horriblement tranchant, mais qui souvent frappe et déchire l’esprit du lecteur sans le percuter au point décisif… disait Drieu sur Malraux, or j’ai toujours clamé que de Roux, c’était Malraux sous acide.
Par ses parasites volontaires du message télescopé, à base de raccourcis saisissants à apprendre comme une langue étrangère,  mêlant fiction, autobiographie, philo, benne-broyeuse des genres définis, dissolvant les frontières par sa seule conviction, de Roux confirme Dada. Une tentative réaliste, grâce à son ouverture sur les littératures étrangères et les conquêtes de l’avant-garde, de rendre aux lettres françaises l’éclat des années 1930, planétaire.
Bref, j’aurais bien aimé évoquer cette gloire chez Livr’Arbitres, mais ils se sont dit : le vieux, il va encore râler…
Alors je regardais tout ça avec le scepticisme qui nait de la frustration. Et le dossier de Roux, s’il était assez complet, bien écrit, d’une intelligence raisonnable, me semblait très attendu. 
À l'exception, bien entendu, d'un certain nombre de témoignages personnels — toujours intéressants, quand il s's'agit d'une personnalité aussi insaisissable que de Roux. Des coups de projo sur tel ou tel masque.
Et puis, brusquement… Dans le désordre :
Dominique de Roux et les Beatnicks, de Pierre Marquand-Guérard, qui concentre avec efficacité et concision quelques histoires. Pélieu révolté par l’assimilation au fascisme de la Beat Generation, par l’intermédiaire de de Roux et de La mort de L-F Céline. Quand on connaît la visite de Burroughs au vieux fou de Meudon relatée par je ne sais plus qui (trouvable sur Internet), et la dette qu’il se reconnaissait envers celui-ci, on mesure la portée de cette fatwa (déjà !…). Mais c’est Céline et Genet que de Roux suivait chez les Beat, et l’article nous le transmet, très simplement, à travers quelques anecdotes.
En 1997,  lors du tournage à Manhattan du documentaire sur Norman Mailer (diffusé le 20 janvier 1999, sur FR3), pour l’émission Un Siècle d’écrivains, j’eus la chance d’interviewer Allen Ginsberg, six semaines avant sa mort, chez lui dans le Lower East Side, près d’une mosquée. Il avait déjà subi plusieurs attaques cardiaques, portait un  pace-maker, parlait parfois avec difficulté. Il m’expliqua ainsi la raison de son absence à la Convention Démocrate de Chicago en 1968, qui fut le théâtre d’émeutes gauchistes et de troubles dans le style que le poète beat affectionnait alors :
J’avais été invité par Ezra Pound chez lui, pour un séminaire de poésie, et rien n’aurait pu me faire manquer ce rendez-vous avec le vieux maître…
Les affinités entre les beat et un de Roux, se passent en effet de trop de commentaires, elles sont subliminales — courants d’énergie souterrain, relayés par d’indéchiffrables poèmes.
Ensuite, une autre pierre angulaire de Livr’Arbitre : de Roux et les hussards, avec Fidélité au miracle, de Barthelet, dont la fidélité est iconoclaste — chez les gentlemen, c’est une question de principe. L’auteur y opère une distinction radicale entre Les lanciers du ressentiment bourgeois et Les mousquetaires, incluant de Roux, mais aussi Nimier dans cette dernière catégorie. Au passage, il ne cache pas son dédain pour Blondin et Laurent, notamment. Avec des arguments très personnels, très vifs, donc tabous, mais loin d’être toujours faux. Le ton à contre-courant du discours habituel de la revue nous remplit d’admiration pour son audace.  Barthelet est paraît-il auteur d’une biographie de de Roux. Miam-miam.
Frédéric Saenen

Last but not least, Frédéric Saenen, avec Correspondance fulgurante (T’aurais pu te fouler un peu pour le titre, Frédéric, j’ai l’air de quoi, maintenant), offrant l’analyse en profondeur qui s’imposait : celle du style de de Roux. Eh bien, Saenen est le seul à aborder la seule  question qui importe : celle du style insurrectionnel de de Roux. Parce que Saenen, pas mauvais romancier (nous y reviendrons), est un critique d’un discernement et d’une finesse remarquables. De quoi vous réconcilier avec cette profession honnie. Son article est d’une pertinence qui n’a pas besoin de moi. Lisez-le.
Le troisième volet de ces Atomes suspendus aura du reste pour thème l’ouvrage critique de Saenen, Drieu La Rochelle face à son œuvre,  aux éditions Infolio, que ce bâtard s‘est débrouillé pour me faire parvenir, je me demande bien qui lui a refilé mon adresse.
TM, juillet 2015.