Encore une intervention hilarante de War Nerd, sur la date fétiche de mondelibre depuis qu'il se conjugue unipolaire. Pour les lecteurs anglophones, trouver au lien ci-dessous :
LE
LENDEMAIN DU ONZE SEPTEMBRE
PAR THE WAR NERD, ALIAS GARY
BRECHER
(Traduit par TM)
Ça y est, on en est au gros
anniversaire. Le grand affrontement Islam/ Occident. Mais ça n’était pas le 11
septembre, c’était le 12. Et c’était pas l’effondrement de deux immeubles à
Manhattan c’est beaucoup plus important que ça. Ces deux immeubles de Manhattan
pourrait servir d’antonyme au vieux koan zen : « Si un arbre tombe en
forêt et que personne ne l’entend… ».
Cette version-là, c’est
plutôt : « Si deux immeubles s’effondrent à trois pâtés de
maison du QG des gros médias, est-ce qu’ils seront un jour capables de la
boucler sur cette affaire ? ».
Non,
laissez tomber cette vidéo surfaite. Je parle d’un véritable événement :
Vienne, 12 septembre 1683 : une armée ottomane , 140 000 Turcs, et leurs
alliés des Balkans et tatares, retranchés sous les remparts de Vienne. 30 000
villageois autrichiens pris en otages. Une minuscule garnison de 11 000 hommes
affamés qui défendaient la ville en rêvant d’un buffet de saucisses Bratwurst à
volonté.
Une
sacrée histoire qu’on m’a souvent demandé de raconter. Mais je reculais
l’échéance anniversaire après anniversaire, parce que le Siège de Vienne, c’est
une histoire qui attire encore plus les cinglés que le Livre des Révélations.
Souvenez-vous de Breivik par exemple, celui qui a donné au tir à l’éléphant
dans un couloir une allure quasi héroïque en massacrant des gamins scandinaves
socialistes piégés sur une île ? Eh bien, le blog qui l’a inspiré est un
machin craignos intitulé Les Portes de
Vienne, allusion lourdingue à 1683. Leur slogan est : « Nous
sommes dans une nouvelle phase d’une vieille guerre ».
Un peu
que c’est une nouvelle phase. La première était réelle, celle-ci est une farce.
Breivik est enfermé dans la prison la plus luxueuse jamais construite, et se
plaint qu’on ne lui fournit pas des jeux décents pour sa Playstation.
(…)
Il a aussi réclamé un divan ou un fauteuil,
parce que sa chaise lui fait mal au dos.
Ne vous
inquiétez pas — les féroces pacifistes norvégiens ont trouvé le moyen de punir
Breivik pour ses crimes. Ils lui ont chanté une chanson. Ouais, 40 000
Norvégiens rassemblés sur des places publiques de Oslo à Narvik ont entonné une
chanson de Pete Seeger intitulée « les enfants de l’arc-en-ciel »
jusque dans la cellule où il se tortillait sur la chaise inconfortable. Ça lui
apprendra à descendre 77 mômes !…
(…)
C’est
une question de goût, évidemment ; si Breivik avait tué quelqu’un que
j’aime, je me dirais quelque chose du genre : « Comment faire pour
payer deux taulards condamnés à perpette, histoire qu’ils lui arrachent les
yeux à la spatule de geôle ? ». Mais les Norvégiens sont décidément
une nouvelle espèce d’humanité édentée, et ils ont décidé que la seule revanche
assez noble et passive-agressive qui leur convienne c’était de chanter contre
ce meurtrier geignard. Le plus grand héros norvégien de l’histoire, Egill Skalagrimsson a du se retourner
dans sa tombe assez fort pour affoler les sismographes dans toute la Baltique —
parce qu’Egil n’était pas seulement
un fier guerrier, c’était aussi un talentueux poète, alors écouter les paroles
de Pete Seeger, ça a du être une vraie torture. On n’a jamais reproché à Seeger
le moindre talent littéraire.
(…)
Il
n’était ni question de licornes, ni d’arc-en-ciel sur la ligne de fracture
entre le Saint Empire Romain et l’Empire
Ottoman au cours du siège de Vienne. Le Sultan Mehmet IV expliqua son programme
à Léopold I, empereur Habsbourg, de façon simple et concise :
Nous vous ordonnons de Nous attendre dans
la ville de Vienne où vous résidez, où nous Vous décapiterons… Nous vous
exterminerons vous et vos partisans… Les enfants et les adultes subiront les
tortures les plus atroces avant d’être mis à mort de la façon la plus ignominieuse…
L’Europe
chrétienne était tout aussi grossière et précise. Martin Luther prêchait que
les Turcs étaient des agents du Diable — encore était-il accusé de mollesse par
des Soldats du Christ encore plus enragés.
Les
armées turques avaient avancé vers le Nord et l’Ouest, venues d’Anatolie, bien
avant de prendre Constantinople en 1453. La bataille du Kossovo, cette tragique défaite qui fait
encore pleurer les Serbes dans leur Slivovitz, se déroula en 1389, plus d’un
demi-siècle avant que Constantin XI, le dernier empereur de Byzance ne périsse
en combattant sur les remparts de sa citadelle. Et fois les Serbes écrasés, le
reste des Balkans succomba facilement aux Ottomans. Pour les élites terrifiées
d’Europe Centrale, l’empire ottoman du XVIe siècle explosait dans toutes les
directions — arrachant Chypre aux Vénitiens, Rhodes aux Templier et assiégeant
Vienne pour la première fois en 1529.
Ce
siège fut un échec et l’armée ottomane fit ce qu’elle faisait habituellement
après un assaut raté : elle massacra tous les prisonniers et les otages.
Au fait, on entend beaucoup sur les plages les plus crédules du Net que les
Ottomans étaient tolérants, incompris, en avance sur leur temps. Eh bien, non.
Demandez aux Assyriens, aux Grecs des îles ioniennes, aux Arméniens — Bon Dieu, les Arméniens n’ont même pas le droit de parler de ce qui leur est
arrivé !— Non, nos Ottomans n’étaient pas du bois dont on fait les enfants
de l’arc-en-ciel…
(…)
Même
parmi les puissances chrétiennes, personne ne se faisait d’illusions sur la
confiance ou la solidarité. En fait, trois cultes différents se combattaient en
Europe Centrale au XVIIe siècle : l’Islam, le Catholicisme, et le
Protestantisme. Les Habsbourgs, qui régnaient sur les terres allemandes et
l’Italie du Nord, vaguement fédéré dans le Saint Empire Romain Germanique,
était partisan de la Contre-Réforme Catholique. Mais après le cauchemar de la
Guerre de Trente ans, même ces prognathes avaient adopté la tolérance
religieuse au sein de leur principautés en capilotade. Le Nord était luthérien,
le Sud restait catholique.
Les
princes hongrois étaient le joker imprévisible, encore puissants, protestants
pour la plupart, et ils haïssaient les Habsbourg. On pourrait croire que la
Hongrie était un pays à dominante catholique, mais ça n’est venu que plus tard,
le résultat d’une tonne de prêches jésuites pour y remédier, et de l’esprit de
contradiction farouche des Hongrois. En 1683, ils étaient protestants à tout
crin et haïssaient les Habsbourg à mort. Leur chef, Imre Thokoly, s’allia avec
les Ottomans et combattit aux côtés des Turcs lors du Siège de 1683.
Les
renversements d’alliance même entre Chrétiens et Musulmans étaient courants.
Pour une dynastie d’Europe Centrale, c’est la seule façon de survivre. C’est un
truc que les concepteurs de Risk, le
jeu pour les Fous de Guerre débutants, ont compris. On ne démarre jamais son
empire en Europe, parce qu’il y a trop d’angles d’attaque.
(…)
Alors,
les puissances chrétiennes n’avaient pas ce genre de scrupules ; elles ne
pouvaient se permettre d’être honorables. Les alliances étaient faites pour se
renverser, sans avertissement, selon la conjoncture.
Les
alliés du sultan n’étaient pas plus fiables. Les alliés chrétiens des Turcs —
hongrois, valaques, moldaves — haïssaient les Infidèles et devaient être
corrompus et menacés pour envoyer des troupes. Et même les vassaux musulmans,
tels que le khan de Crimée, en faisaient le moins possible.
La
seule exception à cette règle de trahison potentielle fut le roi polonais Jan
Sobieski, héros de Vienne. Aucun doute que ce furent Jan et ses « hussards
ailés » qui gagnèrent la bataille de la Chrétienté en 1683, mais si on
regarde sa carrière un peu plus attentivement on verra des changements
d’allégeance surprenants pour un roi se prétendant « Le Défenseur de la
Foi ». Quand ça l’arrangeait, il changeait de camp. Tôt dans sa carrière,
il se rangea du côté des Tatares musulmans contre les Russes chrétiens.
Difficile
de reprocher à un Polonais de s’allier à qui que ce soit contre les Russes. Sur
ce sujet, il y a une blague irrésistible :
Un
paysan polonais frotte une lampe, le génie en sort et lui propose un vœu. Le
Polonais se gratte la tête et dit « Je crois que je souhaiterais que les
Chinois envahissent la Pologne ». Le génie le contemple, incrédule, hausse
les épaules et bingo ! Les Chinois ravagent la Pologne, brûlent et éventrent
tout ce qui bouge sur leur chemin. Mais ce drôle de vœu pervers pèse sur la
conscience du génie qui apparaît à nouveau tandis que le Polonais est assis
dans les ruines fumantes de ce qui était sa maison.
(…)
Le
génie accorde un second vœu au Polonais qui demande la même chose. Le génie le
regarde, dégoûté et re bingo ! Les
hordes chinoises ravagent la Pologne de nouveau. Le génie retrouve le Polonais,
assis par terre parce que les Chinois n’ont cette fois rien laissé debout, et lui
demande pourquoi il fait un vœu aussi maso et aussi bête. Le Polonais sourit
enfin et lui répond :
« Parce
que pour envahir la Pologne, les Chinois sont obligés de passer par la
Russie ! ».
(…)
Le plus
froidement calculateur et cynique dirigeant chrétien, Louis XIV de France, observait
la lutte entre le Saint Empire Romain Germanique et l’empire ottoman avec une
satisfaction non dissimulée. Les Habsbourg envoyant des troupes en Autriche
pour contrer la menace turque, la France attaque à l’Ouest, s’emparant de
l’Alsace.
(…)
La France
pouvait se permettre de ne pas s’émouvoir de l’avance turque, mais la menace
était réelle, et manifeste, assez pour terrifier l’Europe Centrale au point
qu’elle s’unisse — il faut savoir que l’unité en Europe Centrale est aussi
fréquente que la neige à Los Angeles.
La
finesse et la ruse auraient accompli bien plus que la menace de couper la tête de
l’Empereur du Saint Empire, transformer la cathédrale St-Pierre en mosquée et
tuer les civils dans « les plus atroces tortures ». Mais la finesse
n’était pas une spécialité ottomane. La terreur avait donné par le passé
d’excellents résultats, alors pourquoi s’en défaire. La terreur, du reste,
accomplit quelque chose comme un miracle : une véritable alliance stable
et efficace entre Allemands, Autrichiens, et Polonais.
Comme
la plupart des grosses armées multinationales d’empire, les forces ottomanes
mettaient du temps à se mettre en branle et ne brillaient pas par leur rapidité
de mouvement. Elle fut mobilisée au début 1682, mais se mit pas à marcher vers
le Nord-Ouest avant le printemps 1683. À ce moment-là, les vassaux chrétiens
des Turcs avaient déjà tous révélé les plans de bataille des Ottomans à chaque
prince de la Chrétienté par des missives secrètes.
C’était
une troupe énorme, conçue pour submerger Vienne par l’avantage du nombre :
au moins 140 000 hommes commandés par Kara Moustapha, un cousin de la famille
des Kopruru, qui étaient plus ou moins héréditairement vizirs de père en fils.
Comme de nombreux chefs militaires tardifs de l’empire ottoman, Kara Moustapha, était un mauvais général sur le terrain, qui se débrouilla pour offenser tous
les subordonnés importants et semi-autonomes, tels que le Khan de Crimée qui se
vengea en en faisant le minimum dans l’assaut de Vienne. Encore ce
manque de finesse, né du sens originel d’invincibilité parce qu’on accomplit la
volonté de Dieu, qui condamna leurs campagnes ultérieures à l’échec.
Les
Turcs avaient de bonnes raisons d’être fiers. Ils avaient joui d’une domination
sans partage les plus longues de l’Histoire, leur plus grande victoire
stratégique sur les Byzantins survenant à peine cinq ans après la bataille
d’Hastings. Ils avaient achevé la conquête de la Crète en 1669. Des victoires s’étalant sur cinq siècles, inouï
pour n’importe quel empire.
Mais la
victoire apporte l’enrichissement, et l’opulence affaiblit les traditions
guerrières — surtout chez les peuples des steppes comme les Turcs. Les peuples
des steppes s’appuient sur des talents très difficiles à maîtriser, notamment
l’usage de l’arc sur un cheval au galop. Une fois que le peuple des steppes
conquit des villes, soumit des esclaves, accéda à une vie facile grâce à ces
armes, ses soldats descendirent de selle pour s’installer sur des divans, ce qui
signifie que leurs qualités de guerrier des steppes s’érodèrent, de même que
l’éthique du guerrier. Lorsqu’on en est là, un peuple impérial doit se reposer
sur d’autres qualités, la flatterie, la diplomatie et la propagande — mais les
talents des Turcs pour ce genre de choses ne s’étaient pas développés à mesure
que leur férocité diminuait. Lors de l’avance de Kara Moustapha, les villes qui
acceptaient de se rendre subissaient un carnage — une erreur classique,
garantissant que, dans les futures villes assiégées, on se battrait jusqu’au dernier.
Les
Viennois savaient très que l’armée ottomane venait pour prendre leur ville,
mais avec une population de 80 000, ils ne pouvaient envoyer que 15000 soldats
sur les remparts. Ce qui signifiait que les Turcs qui arrivèrent sous les murs
de Vienne le 14 juillet 1683 avait une supériorité de dix contre un par rapport
aux défenseurs. Une attaque frontale aurait sans doute emporté la ville, mais
Kara Moustapha décida de l’assiéger.
Curieuse
décision, au vu de la supériorité numérique. Elle n’était pas guidée par une
quelconque compassion pour les soldats ottomans risquant de perdre la vie dans
l’assaut. On n’a jamais pu reprocher à
un chef militaire ottoman de se soucier des pertes. Peut-être que Kara
Moustapha voulait prendre la ville encore intacte, pour s’enrichir lui-même
ainsi que ses cousins Kopruru, en vue des futures luttes d’influence à
Constantinople.
(…)
Kara
Moustapha était un conservateur dans l’âme. Il choisit de se retrancher sous
les murs de Vienne et se mit à faire creuser des tranchées, toujours plus
proches de la ville, pour que ses sapeurs puissent creuser sous des points
d’appui vulnérables et faire sauter quelques dizaines de barils de poudre.
Cette " guerre souterraine" était une des façons les plus brutales et les
plus efficaces de se servir de la poudre à canon — beaucoup plus efficace que
d’essayer de culbuter les remparts en les bombardant au canon toute la journée.
Pour les hommes affectés aux tunnels souterrains, c’était un cauchemar —
creuser des galeries susceptibles de vous ensevelir à n’importe quel instant, écouter
le mouvement des sapeurs adverses, et faire rouler des tonneaux de poudre noire
au long de passages éclairés à la torche, faire sauter les mines adverses avant
qu’ils ne fassent sauter les leurs. La seule distraction était la rencontre
impromptue des sapeurs ennemis, menant à des combats à mort de rats dans un tunnel à l’aide de couteaux, de pelles, à coups de dents —
ce qui tombait sous la main.
Les
Turcs disposaient de 5000 sapeurs entraînés qui trimaient sous les murs de
Vienne, un tiers de la garnison autrichienne dans sa totalité. Mais bien que
les sapeurs turcs parviennent à faire sauter plusieurs bastions, les défenseurs
de la ville construisirent de nouvelles défenses à l’intérieur, et les Ottomans
échouèrent à se frayer une la brèche conséquente qu’il leur fallait.
Et le
temps pressait. Les forces polono-allemandes de secours avait fini par se
mettre en mouvement après s’être bouffés le nez de la manière européenne
classique, sur le pognon, et le commandement. Le roi polonais Jan Sobieski
finit par obtenir le commandement suprême grâce à ses victoires passées contre
les Ottomans, et un marché raisonnable fut passé sur la rétribution des
troupes. Le Saint Empire Romain Germanique paieraient tous les soldats présents
sur son territoire, les Polonais paieraient leurs hommes jusqu’à ce qu’ils
pénètrent dans l’empire. Au fur et à mesure que les renforts avançaient vers le
Sud, ses officiers se fondirent dans un chaîne de commandement simple et
efficace — encore un miracle exceptionnel dans ce genre de troupe multi-ethnique.
Les
Turcs devaient faire face à un nouvel ennemi, qu’Homère lui-même
craignait : les maladies infectieuses venues de l’eau plus ou moins
potable, qui entamaient toute armée tentant de passer l’été dans des camps
surpeuplés, puant la merde devant une ville ennemie. La dysenterie se
propageait.
(…)
Les
soldats ottomans mouraient dans des tranchées dégueulasses, et la ville ne
semblait toujours pas prête à tomber.
Pourtant
la vie à l’intérieur des remparts était assez effrayante. La nourriture était
si rare que les sentinelles s’évanouissaient pendant leur tour de garde. Le
chef militaire autrichien, le Comte Von Stahremberg, compatit de la manière
qu’on attend d’un général autrichien ; il décréta que la syncope en tour
de garde serait punie de mort. Ça réveille mieux que des pilules de caféine.
À ce
moment-là, un rien de souplesse à l’égard des villes conquises aurait servi les
Turcs. Si les Viennois avaient eu le moindre espoir d’être épargné, ils se
seraient peut-être rendus. Mais pourquoi se rendre, si on va être exécuté de
toute façon. Il valait mieux mourir sur les remparts que succomber aux lentes
tortures très créatives, pour lesquelles les Turcs étaient célèbres.
(…)
À
travers l’histoire, de nombreuses villes ont attendu les renforts, l’expédition
de secours, pour découvrir qu’elles l’avaient fantasmée, ou bien qu’elle avait
été vaincue en route, détournée de sa route pour telle ou telle raison politique, voire
inventée par les assiégeants. La plupart du temps, c’est du bidon. Mais pas
cette fois. Les troupes allemandes battirent les Hongrois de Thokoly, qui avait
été placées là par Kara Moustapha pour verrouiller la position. Les renforts
s’étaient ouverts la route de Vienne. Ils touchèrent au but à l’aube du 12
septembre 1683, et allumèrent des bûchers pour donner du courage aux Viennois
et démoraliser les Turcs.
Il
restait à Kara Moustapha deux possibilités : virer de bord et affronter
les renforts à terrain découvert, ou bien attaquer la ville en espérant la
prendre avant l’arrivée des renforts. Il ne fit ni l’un, ni l’autre. Ses
sapeurs lui avaient dit qu’ils allaient faire sauter la plus grosse charge
depuis le début du siège sous les remparts de la ville, et ses subordonnés le
persuadèrent qu’ils allaient écraser les Polonais à terrain découvert. Il prit
donc une décision insensée pour un chef militaire : il ordonna des
attaques simultanées de la ville et des renforts. Il jouissait toujours de la
supériorité numérique, même après l’été qui avait creusé les rangs : les
renforts comptaient 70 000 soldats, la moitié de l’armée ottomane. Mais en
divisant ses forces, il perdit l’avantage. Pire encore, ses meilleures troupes
étaient toujours face aux remparts de Vienne, laissant des troupes de valeur
moindre affronter la cavalerie fraîche et lourdement armée massée sur les
collines.
Et il y
eut encore une diversion supplémentaire des forces ottomanes : l’exécution
de 30 000 paysans autrichiens. Confronté à une bataille sur deux fronts pour la
survie de son armée, Kara ne dévia pas d’un poil de sa ligne de conduite en ordonnant
à un nombre important de ses soldats de massacrer des enfants et des femmes qui
hurlaient. Les Ottomans n’étaient certes pas, quelle que soit l’opinion de
votre prof de science-po, des enfants de l’arc-en-ciel. Cette brutalité n’était
même pas sensée, vu qu’il s’agissait d’un gâchis complètement idiot d’hommes
d’armes à un moment critique.
Il
s’ensuivit la plus grande charge de cavalerie de l’histoire militaire — 20 000
lanciers déferlant sur une troupe ottomane d’assiégeants importante, mais épuisée, hagarde,
et mal dirigée.
(…)
La
plupart des fantassins ne restaient pas en face des « hussards
ailés » polonais, horde de centaures fonçant vers eux la lance pointée
vers leurs yeux écarquillés. Les Ottomans, si. Mais sans commandement digne de ce
nom, épuisé après deux mois à moisir dans leur crasse, ils n’eurent pas le
courage de résister à une telle apparition. Ils perdirent pied et s’enfuirent.
La
garnison viennoise, au vu de la déroute turque, s’élança hors des vestiges des
remparts et attaqua les troupes assiégeantes de Kara Moustapha. Un moral
stimulé fait des miracles, même sur des soldats qui n’ont mangé que du rat
pendant des mois. Les troupes d’élite ottomanes, les janissaires et les sipahi,
n’eurent d’autre choix que de battre en retraite.
Ils
parvinrent à protéger Kara Moustapha, et le ramenèrent à la maison pour qu’il
s’explique sur ce qui était parti en vrille. Apparemment, ses explications ne
furent pas très convaincantes (bien qu’il ait disposé de trois mois pour le
mettre au point) parce qu’il fut exécuté à Belgrade à Noël 1683.
(…)
Chez
les vainqueurs, on connut un petit temps d’amitié austro-polonaise, qui dura le
temps de réchauffer une saucisse dans un micro-onde.
(…)
L’Autriche,
la principauté figure de proue des Habsbourg, entra en décadence presque dès le
départ des troupes turques, s’abîmant dans le grotesque empire austro-hongrois,
qui, comme le dit Hemingway, fut créé pour donner des victoires à Napoléon.
La
seule consolation des citoyens d’Europe Centrale fut que les Ottomans partaient
en sucette plus vite encore que les Polonais ou les Autrichiens, bientôt
« homme malade de l’Europe », surnom cynique franco-anglais au sujet
des Russes.
(…)
À
présent, les seuls vestiges de cette gloire éphémère de septembre 1683 sont les
tentatives vulgaires des Européens réacs de relier leurs fascisme de nains à ce
qui s’est passé devant Vienne ce jour-là. Breivik est typique du genre — des
cinglés sans descendance se lamentant sur le déclin de l’Europe, faux Croisés se
plaignant de ne pouvoir obtenir le dernier jeu Playstation dans leur cellule de prison confortable. On est
loin de 1683, et c’est une déchéance interminable.
Gary Brecher, alias War Nerd, 12 septembre 2014.