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13.8.13

Kozlov en guerre, version originale

Guerre de Vladimir Kozlov, dans la collection "Prose russe contemporaine" chez Fluid Freestyle.

Compte-rendu d'un prochain livre de notre auteur fétiche et ami Vladimir Kozlov, à paraître à Moscou cet automne:
On avait découvert Vladimir Kozlov avec Racailles[1] , tour de force consistant à décrire la vie d’une cité-dortoir soviet dans un vocabulaire de trois cents mots, volontairement restreint, puisque, comme devait l’écrire un critique : « Dans cet univers, ce qui ne peut être décrit dans cette langue de brutes n’existe pas ». Les nuances et la poésie de ce livre jouaient sur des variations infimes, où l’on retrouvait toute la richesse de l’inspiration du romancier, marqué à jamais par son adolescence pendant la Pérestroïka à Moguiliev, trou péquenaud de Biélorussie, ville d’importance moyenne sans âme et sans avenir. Ce roman eut un certain succès en France, du à une chronique de Gérard Guégan dans Sud-Ouest, intitulée : La Vie à bout portant. Le second roman de Kozlov publié en France[2], plus complexe, ne put jouir de la même notoriété, dérogeant au plus petit commun dénominateur de l’intrigue familière au lecteur de Télérama, en vigueur dans le polar-grue-de-bénitier : un clochard flingué à la Gare du Nord, parce que le député de droite est corrompu, que les pauvres sont bons, et les riches des pourris — dormez bien. Ce roman parlait de Russie contemporaine, un paysage moins familier que la Phrance, ou les bas-fonds de Chicago de la servilité américanisante, qui n’ont du reste rien à voir avec le tableau présenté dans l’Hexagone.

         Dénicheur et traducteur de Kozlov, je prêche pour ma paroisse, je n’ai jamais fait mystère de l’admiration que j’ai pour cet auteur à contre-courant des modes dans son propre pays. Sa « réserve implacable », comme disait Chandler, n’a rien de « manchettien ». Il s’agit d’une réaction aux « dérives métaphysiques » dont l’auteur russe est si friand pour peloter sa clientèle, mais aussi au commerce ultramoderne à l’anglo-saxonne, une tendance non moins prononcée en Fédération Russe. C’est André Breton qui disait dans Nadja aimer les femmes très peu maquillées au théâtre, où c’est recommandé, et au contraire très maquillées en ville, où ça donne une allure de putain. Dans la transgression le contexte joue un rôle majeur — les Dadaïstes étaient passés maîtres en la matière.
         À ma décharge, je chroniquerai ici — un roman qui ne paraîtra en Russie que ces jours-ci, à l’automne[3]. Il est intitulé Voïna, « Guerre », et comme Kozlov, son épouse et moi-même nous sommes croisés à New York au printemps 2013, qu’on est potes comme c’est pas permis entre auteurs par nature concurrentiels, il m’a refilé le manuscrit. Ce livre est fondé sur un « fait divers » survenu en Sibérie dans la deuxième partie des années 2000. C’est Limonov qui m’avait éclairé là-dessus, en mai 2012, à Moscou. Il fallait absolument que j’écrive un bouquin sur le sujet, disait Édouard qui ne doute de rien, en me refilant un rapport d’un journaliste d’une organisation humanitaire russe, intitulé : « Partisans ». Des gamins, révoltés par la violence et le racket des forces de l’ordre, avaient posé des bombes et descendu des policiers, jusqu’à ce que les forces spéciales du FSB les liquide un par un au cours d’une opération de nettoyage. Limonov pensait sans doute à mes descriptions précises des techniques d’extorsion des drogués séropositifs par la police dans l’enceinte même des hôpitaux en Ukraine (mais c’est pareil), dans Vint, et Milieu Hostile.
         Mais c’est Vladimir Kozlov qui s’y colla, à sa manière inimitable, et c’est tant mieux. « On va croire à une conspiration entre nous trois », dis-je à Kozlov, à la troisième Indian pale Ale, au bord de l’Hudson, un peu bourré. « Si ça me permet de le publier, c’est parfait », répondit-il, lui qui ne connaît pas Limonov personnellement et n’avait pas encore trouvé d’éditeur.
         Quelques individus, dans une province indistincte de Fédération Russe,  une grise bourgade sans rien de particulier, décident d’exercer des représailles contre les exactions (racket et torture) de la police locale. C’est un groupe hétéroclite, composé d’étudiants, et de paumés, qui ne prend forme que lorsqu’une des filles du groupe rencontre et tombe amoureuse d’un truand en cavale, professionnel susceptible  de transformer leur révolte instinctive en violence efficace. Celui-ci (qui a quelques comptes à régler avec la maréchaussée) accepte de s’en mêler. Personnage étrange, en retrait, cherchant une ultime aventure.
Le groupe ouvre le bal avec l’incendie du parc de voitures des policiers, suivi d’un passage à tabac en règle de quelques flics réputés pour leur vice et leur cupidité. Branle-bas de combat à l’état-major. Le vieux général de la milice, alcoolique et corrompu au dernier degré,  exige des résultats de son subordonné, une âme en peine, rentré dans la police au seuil des années 1990, lorsque tout s’effondrait en URSS, consommateur de marijuana et de putains autochtones, ambigu jusqu’à l’absurde. La presse locale suit les évènements à travers un journaliste, qui connaît tout le monde, père d’une des « terroristes », ami intime du flic qui fume des joints. Malgré les communiqués vengeurs du groupe, la police n’a pas un seul indice et fait pression, sans résultat, sur tout le monde, le flic drogué allant jusqu’à menacer son dealer. Mais, dans le groupe « terroriste », des dissensions se font jour petit à petit. En effet, il est composé d’individus qui diffèrent du tout au tout. De l’étudiante fascinée (elle écrit une thèse) par les groupes terroristes européens des années 1970, au skin-head raciste enragé contre une  police de vendus au plus offrant, lui aussi amateur de prostituées, en passant par une ancienne victime des interrogatoires musclés de la police et le truand au jeu trouble blanchi sous le harnais — tout un kaléidoscope des personnages possibles d’une ville anonyme de Russie est présenté au lecteur, dans leur rage inextinguible contre l’ordre établi. Le dénouement est trop habile pour que je le révèle ici, il est bien entendu sans espoir.
Le point fort de Kozlov réside, entre autres, dans la description sans merci des villes de province.
Un tableau sans concessions que j’aimerais avoir l’occasion de fourguer à un éditeur français, un de ces jours. Un superbe antipolar, puisqu’il n’y a plus que ça de digne, dans le paysage.
Thierry Marignac
        


[1] Èditions Moisson Rouge, 2010.
[2] Retour à la case départ, Moisson Rouge, 2011.
[3] Война,  éditions Fluid Freestyle.